L’intégration : une perspective d’aménagement reconnaissant la valeur patrimoniale du port urbain actif

Samedi 21 mars 2009
Infrastructures de transport, Infrastructures de transport
Terminal « Cast » du port de Montréal
Alexandre Lambert
Faculté de l’Aménagement
Université de Montréal (UdeM)

Dans les cas semblables à Montréal, où l’activité portuaire subsiste au cœur de la ville, l’affirmation selon laquelle « (…) l’association entre la ville et le port devient de plus en plus contingente, voire obsolète (…) »1, suggère une logique de conversion graduelle des sites portuaires urbains et de développement de nouveaux ports en périphérie urbaine. Cette option, à l’évidence, engage la communauté qui la choisit dans un processus d’urbanisation/ ré-urbanisation complexe et coûteux. il n’est pas certain, dans le contexte contemporain, qu’un tel modèle soit à la portée des sociétés vieillissantes.

Le port urbain comme patrimoine utilitaire

L’évaluation des besoins et des potentiels de l’infrastructure et de l’usage portuaires néglige trop souvent la valeur patrimoniale de ce qui devrait être considéré comme une « ressource économique non renouvelable »2 . À l’heure du développement durable et de l’intermodalité, la voie d’eau serait devenue l’un des éléments structurants d’une stratégie de transport durable qui tire parti des avantages écologiques indéniables de la batellerie et du transport maritime3.  Cependant, un déficit de perception joue un rôle fondamental dans les conflits indéniables qui résultent de la coexistence d’activités logistiques portuaires et de milieux de vie. Ce problème est une conséquence de deux phénomènes. d’une part, l’eau, du point de vue des perceptions, est pratiquement élevée au rang d’« objet de culte » dans un contexte où le concept de la « ville bleue » se superpose à celui de la « ville verte » dans la « nébuleuse de l’amour de la nature »4.  d’autre part, le paysage portuaire vivant, bien que riche et diversifié, a été évacué de la conscience publique par les actions relativement récentes des administrations portuaires, qui l’ont isolé derrière des clôtures de tout acabit, ce qui a pétrifié son image dans un bagage iconographique vieux de 40 ans5.

Évacuer le problème de la coexistence par le déplacement, c’est occulter du même coup deux réalités qui s’imposent : 1) l’étalement, celui des réseaux et de leurs nœuds, a un prix, d’autant plus lorsqu’il touche un milieu aussi sensible que le littoral : 2) la mise en place de stratégies de transport durable nous oblige à envisager des solutions de transport alternatives à la route, en particulier au sein des milieux urbains.

En regardant le port, il faudrait donc se souvenir que le terme « patrimoine » sous-entend aussi, dans une perspective de « longue durée », une valeur dynamique liée à la perpétuation de la société par la transmission de ses outils, de ses usages et des espaces qui les reçoivent au sein d’un milieu urbain fondamentalement hétérogène6. Ainsi, l’apparente dissociation du port et de la ville représente un défi posé aux aménagistes : tenir compte du rôle urbain du port.

Le processus d’intégration ou la genèse d’espaces polyvalents

Si l’on cherche des pratiques d’aménagement qui puissent à terme générer un espace où l’outil logistique qu’est le port existe en osmose avec les milieux de vie qui le côtoient dans la ville, il faut définir et comprendre le processus qui nous guide dans cette recherche, soit l’intégration, et son objectif, la polyvalence. l’intégration est bel et bien un « processus »7, qui consiste à « (incorporer)… un élément nouveau à un système (…) antérieurement constitué »8 « même si (…) (celui-ci) évolue en fonction de ce qui s’y intègre9. » l’intégration n’est donc pas la fin mais le moyen, « l’action d’insertion »10 par laquelle on rend lisible un élément d’un site par rapport à l’autre11. Cette lisibilité correspond à l’achèvement de l’incorporation qui crée un espace où les objets sont assimilables et constituent ainsi une nouvelle unité qui est « plus que la somme de ses parties », « le concept d’intégration possède bien ces deux significations : celle d’agrégation et celle d’appropriation »12. Or, l’appropriation d’un lieu, d’une idée de l’objet est dépendante de la valeur que le sujet (celui qui exécute l’action d’appropriation) lui accorde. Ceci sous-entend d’abord qu’il y a un sujet, donc que l’objet a une force d’attraction, et ensuite que l’objet peut être mis en lien avec la complexité variable du sujet pour qu’il agisse en se l’appropriant.

On peut ici faire un parallèle instructif avec une notion fondamentale de la chimie; la valence : le nombre de liaisons (appropriation) chimiques qu’un atome ou un ion (objet/sujet) engage avec d’autres atomes ou ions (objet/sujet) dans une combinaison (système, agrégation). or, si le processus d’appropriation de l’objet résulte de la valence de celui-ci par rapport au sujet, alors le processus d’intégration qui comprend aussi l’agrégation d’objets « appropriés » résulte dans la polyvalence.

La prise de conscience de la complexité du milieu urbain appelle une remise en question de la logique linéaire du zonage au profit de la logique des réseaux13.  de la même façon, il nous faut distinguer l’infrastructure de son rôle de nœud des réseaux d’usagers. la fonction fondamentale de l’espace portuaire, à l’image du « médium » n’est pas conditionnée strictement par la technique particulière à son exploitation à une époque donnée, mais par son utilité en tant que lieu fonctionnel, pour les usagers : le « message »14. le port, en tant qu’allocation du littoral, a une fonction collective particulière; il est le produit du déploiement physique de réseaux d’intérêts dans un contexte culturel de gestion de l’espace, modulée par les sensibilités, les relations, les jeux d’intérêts persistants.

L’observation du port nous fait prendre conscience de la logique de réseaux qui s’implante autour de lui, qui l’active et l’engendre. Cette logique de réseaux, c’est la liaison des espaces de production et de consommation locales et globales découlant de nos modes de vie et de l’utilisation de l’infrastructure fondamentale qu’est un fleuve ou une étendue maritime. le processus d’intégration du port et de la ville s’inscrit donc dans une réinterprétation générale de l’utilisation de la voie d’eau et de la bande littorale urbaine pour que cette dernière corresponde à sa nature non pas de simple infrastructure, ou de friche à urbaniser ou à naturaliser, mais bien de quartier polyvalent, vecteur d’une multitude de réseaux économiques, sociaux et culturels.

Les traditions locales d’intégration, une source de solutions pour l’avenir

L’analyse des cas de Hambourg et de Rotterdam révèle l’importance des acteurs locaux, et particulièrement des usagers locaux du port, dans l’organisation d’une relation polyvalente entre milieu portuaire et milieu urbain15. le rôle des intervenants locaux dans ce processus continu d’intégration, qu’ils soient gouvernement municipal, autorité portuaire, compagnie logistique ou maritime, est déterminant dans la résolution des conflits de cohabitation. leur intérêt commun dans le développement local durable et leur connaissance profonde des caractéristiques spécifiques de leur territoire, de leur population et de leur infrastructure facilitent l’atteinte de solutions mutuellement acceptables et profitables.

Dans ce contexte, on ne peut s’étonner de la persistance ou de la résurgence de traditions d’aménagement qui tablent sur un consensus historique entre les divers acteurs et sur l’utilisation maximale des infrastructures existantes. les manières de faire, développées autrefois, sont dans bien des cas susceptibles de porter les germes d’une adaptation contemporaine à un phénomène – la transformation des techniques du transport maritime – phénomène qui tient tout autant du cycle que de la révolution.

Nous avons échantillonné à travers l’histoire du développement portuaire de Montréal une série, non exhaustive, d’éléments qui nous semblent démontrer l’existence d’une tradition d’aménagement local fondée sur la riche culture d’une véritable cité portuaire16. d’une part, la construction du port urbain avait contribué à monumentaliser le paysage et en particulier l’espace public montréalais. d’autre part, le port n’était pas considéré isolément du reste de la trame urbaine.

Enfin, le port agissait comme pivot de l’industrie des services portuaires et maritimes publics et privés dans l’environnement urbain du quartier portuaire. la mise au jour de traditions locales d’aménagement de l’espace urbano-portuaire nous montre une approche à la réalité portuaire qui traite non seulement cet espace en tant qu’infrastructure répondant à des impératifs technicoéconomiques, mais aussi comme une fonction qui se construit dans l’identité et les intérêts locaux de longue durée.

La persistance de la valeur d’usage de la voie d’eau au sein des villes, véritable manifestation physique des marchés, appelle une reconnaissance de la valeur patrimoniale des espaces et des fonctions qui l’animent et qu’une longue histoire a stratégiquement inscrites dans le territoire. Cette reconnaissance impose un traitement raffiné d’une réalité trop complexe à reproduire pour qu’on se lance tête baissée dans la création de nouveaux espaces portuaires dépourvus de cet enrichissant bagage. Bagage précieux qui retrouve toute sa valeur à l’aune des problèmes environnementaux et énergétiques auxquels les sociétés occidentales vieillissantes sont confrontées sans pouvoir compter sur une croissance économique infinie.

  1. CHALINE, C. (1994)
  2. CHARLIER, J. (1994); NAUD, l. (1994)
  3. COMPTOIS, C. et SLACK, B. (2005); OCDE (1996)
  4. PRELORENZO, C. (1998)
  5. PRELORENZO, C. (1998)
  6. CHOAY, F. (1992); MEYER, H. (1999); GONTIER, C. (1994);  
  7. GUILLERMIN, B. (1994); VERMEERSCH, l. (1998) AMAR, G. (2004)
  8. LALANDE, A. in.; MERLIN, P. et CHOAY, F. (1988)
  9. AMAR, G. (2004)
  10. CALSAT, J.-H. (1993)
  11. GAUTHIEZ, B. (2003); LOISEAU, J.-M. et al. (1993)
  12. AMAR, (2004)
  13. DUPUY, G (1991); CASTELLS, M. (1998)
  14. McLUHAN, M. (1964)
  15. MEYER, H. (1999); LAVAUD-LETILLEUL, V. (2002); LAMBERT, A (2006)
  16. LAMBERT, A (2006)

Bibliographie

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LAMBERT, A (2006) Tradition locale d’intégration du rivage portuaire et du tissu urbain : le cas de Montréal et de deux villes portuaires d’europe du nord-ouest : Rotterdam et Hambourg, « Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université de Montréal pour l’obtention du grade de Maîtrise en Urbanisme », thèse (M. Urb.), Université de Montréal, 2006, 206 p.
LAVAUD-LETILLEUL, Valérie. (2002) Mutations récentes et aménagement dans les villes-ports de la Mer du Nord, thèse pour obtenir le grade de docteur de l’Université Paris i, sous la direction de Jacques MALÉZIEUX, Paris, 2002, 644 p.
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Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

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https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

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https://aqtr.com/association/actualites/deposez-votre-candidature-devenez-membre-comites-techniques-groupes-detude-lassociation-mondiale
4 juillet 2023

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