Digitalisation des infrastructures et si on commençait par les parois rocheuses dangereuses?

Mardi 31 décembre 2019
Gouvernance, Sécurité et Aménagement, Technologie, Gestion de la circulation, Infrastructures de transport, Logistique, Mobilité durable, Viabilité hivernale
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Anthony-Victor Mehl
Directeur Commercial & Marketing
Altamétris

Un milliard de voyageurs par an. C’est le nombre de voyageurs que transporte le groupe SNCF sur l’ensemble du paysage français : un paysage qui, bien qu’il présente bien des charmes, présente aussi de nombreux dangers.  

 

En effet, sur 100 000 sites recensés comme ouvrages en terre ou parois rocheuses, 4 000[i] environ font l’objet d’une surveillance adaptée à un risque potentiel ; on parle alors d’ouvrages en terre sensibles. Afin d’atteindre les objectifs de sécurité au meilleur coût, il faut alors réaliser le diagnostic précis de ces ouvrages pour en programmer la maintenance. La caractérisation de ces parois rocheuses fournit à l’expert les données qui lui permettent de décrire sa structure et d’évaluer ses propriétés mécaniques et hydrauliques. À l’heure actuelle, ce travail fastidieux est généralement réalisé de manière empirique et repose sur l’expérience des spécialistes.

Avec la création de son Pôle Drone en 2012, puis d’une filiale autonome – ALTAMETRIS, en 2017 - SNCF Réseau a décidé de réaliser de nombreux tests en vue d’industrialiser le recours aux drones pour mieux connaître l’état de ses infrastructures. Une première phase de développement a ainsi permis de faire foisonner les cas d’usages tandis qu’une deuxième phase de développement focalise sur l’émergence de services industriels avec une haute valeur ajoutée.

En combinant drones et data-tech, il devient ainsi possible d’agir à différents niveaux : 

  • Diagnostic des prédispositions au risque : c’est-à-dire l’analyse d’aléa rocheux ou encore la trajectoire de chute de blocs par la modélisation 3D jusqu’aux enjeux d’analyse et de caractérisation des risques posés par la végétation;
  • Inspection régulière des dispositifs de protection (écran filets pare blocs par exemple) : pour s’assurer qu’ils sont toujours en bon état pour remplir leur rôle; 
  • Gestion de Crise : la possibilité de lever un doute ou de mesurer l’ampleur d’un événement (éboulement, effondrement, coulée de boue) afin d’organiser rapidement l’intervention curative nécessaire.

 

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Figure 1 : Drone Phantom 4 équipé d'un appareil photo pour la photogrammétrie.

 

L’outil drone permet de s’affranchir de nombreuses contraintes liées à l’évolution à pied sur un site escarpé et accidenté : il s’avère donc plus agile, réactif et sécuritaire. En outre, les modèles dynamiques en 3D ou la mise à disposition de jumeaux numériques permettent de s’assurer de la pertinence des analyses diachroniques.

Cette approche  a été testée au sein de SNCF au cours des années 2017 puis en 2018 et aussi au sein des Chemins de fer fédéraux suisses. En effet, c'est dans le cadre du Projet Européen In2Smart de Shift2Rail qui porte sur la validation de nouveaux moyens technologiques pour la détection, la prévention et la modélisation des aléas naturels pouvant affecter les infrastructures qu’ALTAMETRIS est intervenue sur le site de Brienz/Brinzauls à plus de 1 100 m d’altitude dans les Alpes suisses. Le versant de 500 m de haut sur près de 900 m de large, situé dans la région de l’Albula, Canton des Grisons, présente une instabilité caractérisée par des mouvements de l’ordre de 1 à 10 mm par jour et des chutes constantes de pierres.

La mission, réalisée début juillet 2018 puis à nouveau en septembre 2018 dans le cadre du cas d’usage Natural Hazards du programme In2Smart est la première d’une série qui consiste à capter, tous les trimestres environ, des données LiDAR pour modéliser le versant. Il s’agit donc d’établir un véritable suivi dans le temps du versant dangereux en déployant des moyens innovants.

Dr Nicolas Ackermann, agent de liaison pour CFF et Ingénieur Développement Drone témoigne : « Brienz présente toutes les caractéristiques d’une mission complexe : la pente rocheuse est en altitude avec une aérologie qui rend difficile la captation de données ». Dangereux et difficile d’accès, ce versant présente donc de nombreuses caractéristiques qui invitent à penser la collecte des données brutes par drone plutôt qu’en envoyant de précieuses ressources humaines sur un site potentiellement dangereux.

Le déploiement d’un matériel de type drone multirotors Riegl RICOPTER d’une masse de 25 kg et d’une envergure de 2 mètres doté d’un LIDAR de type VUX-1 UAV de Classe 1 a permis de réaliser un modèle 3D du versant d’une très haute densité de presque 1000 points au mètre carré par endroits. Cela signifie que le drone a permis de réaliser 1000 points de mesure au mètre carré. Cette opération s’est faite en toute sécurité et sans mobilisation de moyens lourds au sol ou héliportés.  

 

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Figure 3 : Drone Ricopter équipé d'un LIDAR en opération.

 

Afin de réaliser des modèles numériques, il existe principalement deux méthodes d’acquisition. La première, la photogrammétrie repose sur le traitement de données photographiques réalisées dans le spectre visible. La seconde – mise en œuvre pour le versant rocheux de Brienz - la lasergrammétrie - repose sur le traitement de données laser. ALTAMETRIS a réalisé pour le compte de SNCF Réseau une étude comparative permettant de mettre en avant les avantages et les inconvénients de chaque méthode.

 

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Source : ALTAMÉTRIS.

 

La photogrammétrie par drone vient apporter de la résolution aux modèles tandis que la lasergrammétrie apporte de la précision. Pour le cas de Brienz, le modèle 3D du versant est de précision centimétrique. Il permettra donc au gestionnaire d’analyser dans le temps les moindres mouvements du versant afin de programmer des actions correctives ciblées et finalement, d’optimiser les coûts. Ces résultats sont en phase avec les études menées par SNCF et ALTAMETRIS depuis de nombreuses années.  

La lasergrammétrie par LiDAR multi-echo permet aussi de réaliser le modèle numérique du terrain en s’affranchissant des contraintes de débroussaillage ou d’élagage[ii], donc de modéliser la surface du terrain nonobstant la présence de végétation.

Sur le modèle numérique de terrain réalisé pour la tranchée de Saint-Arcons nous pouvons, par exemple, voir que le versant rocheux surplombe la voie ferrée de façon importante et est en partie recouvert par de la végétation. Cette portion de voie présente donc de nombreux risques : éboulements rocheux, coulées de boue, mais aussi un risque posé par la végétation.

 

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Source : ALTAMÉTRIS.

 

La maintenance de la végétation aux abords des réseaux est un enjeu important pour les gestionnaires d’infrastructure. Elle pose des enjeux aussi bien en termes de sécurité (contact avec les lignes électriques, chute sur une route ou une voie ferrée, départ de feu en région sèche) que financiers (taille normale des végétaux, qui est le deuxième plus gros coût de maintenance des voies ferrées après l’entretien de la voie, coût de non-fonctionnement des installations et coût de réparation en cas d’incidents). 

Les dangers posés par la végétation sont principalement le contact avec les installations (caténaire, transformateurs électriques, patrimoine) ou la chute d’arbre sur les infrastructures.

Cela rend l’infrastructure sensible aux incendies ou aux accidents et donc à l’arrêt de l’exploitation.  Pour un suivi efficace de cette première nature de danger, une analyse dite “curative” est préconisée, car elle détecte les branches qui sont effectivement trop proches des infrastructures et doivent être élaguées. Les données LiDAR rendent possibles ces analyses puisqu’elles permettent de visualiser la végétation de façon précise dans un gabarit donné et centré sur la voie. Répété dans le temps, cet inventaire peut être utilisé aussi bien pour prioriser les opérations d’élagage que pour contrôler les travaux de maintenance ou pour réaliser un suivi temporel de la pousse des arbres sur les différents segments du réseau. 

Une approche dite “préventive” peut être proposée, au sens où elle vise à détecter l’intégralité des arbres susceptibles de causer des dégâts par chute et d’en anticiper le danger posé.   

« Ces premiers niveaux d’analyse invitent naturellement à penser de façon intelligente la gestion des actifs du futur, où les exploitants, s’appuyant sur des modèles digitaux dynamiques et mis à jour régulièrement, ont à la fois une vue d’ensemble qualifiée et objective de leur patrimoine, et peuvent le cas échéant, mieux comprendre dans le détail les risques et besoins de maintenance que présentent … ou présenteront leurs actifs dans le futur » commente ainsi Flavien VIGUIER, directeur adjoint d’ALTAMETRIS.

Ce déploiement de technologies s’inscrit dans la tendance générale de digitalisation des actifs industriels et ouvre donc la voie à de nombreux cas d’usage. Aujourd’hui les ouvrages en terre, et demain l’ensemble du patrimoine comme les ouvrages d’art vieillissants et les sites industriels. Les drones n’ont donc pas fini de nous faire prendre de la hauteur.  

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Figure 2 : Drone Ricopter équipé d'un LIDAR en opération.
 

[i] Assali, P., Fivel, A., Pollet, N., and F. Viguier (2016). UAV systems for linear outcrop inspection. Proceedings of 3rd RSS Rock Slope Stability conference. Lyon (France)

[ii] Hinaux, M., (2018). Mise en place de procédures automatisées pour les reports topographiques en milieu ferroviaire à partir de données photogrammétriques et LiDAR acquises par drones. INSA Strasbourg

Sur la toile

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https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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