La pérennité de nos infrastructures, le modèle de l’A25 : la frénésie du développement
Dans la période d’après-guerre, la très grande majorité des pays développés se sont lancés dans des programmes d’investissements massifs dans les infrastructures de transport, et plus particulièrement dans les ouvrages autoroutiers. Au Québec, ces investissements sont apparus un peu plus tard, soit à la fin des années 1950 et au début des années 1960. La tenue de l’Expo 67 à Montréal a certes été un catalyseur de grands travaux de cette nature. Que ce soit le métro de Montréal, l’autoroute métropolitaine, l’échangeur Turcot ou le tunnel Louis-Hyppolite- La Fontaine, ces grands projets structurants ont largement contribué à stimuler le développement économique du Québec et de la région métropolitaine, à rehausser le niveau de vie de la population et à arrimer notre filet social.
Cette concentration dans le temps de nouveaux ouvrages a eu toutefois des effets négatifs, puisqu’un demi-siècle plus tard, nous nous retrouvons avec de nombreux ouvrages en fin de vie utile, où les effets du temps, conjugués avec des déficits d’entretien importants, nous laissent devant une tâche colossale de réhabilitation ou de reconstruction. En effet, la frénésie du développement nous a fait oublier que ces actifs auraient un jour besoin de soins, et ce, probablement plus tôt que nous l’avions planifié, si planification il y eut. Notre système parlementaire et la procédure gouvernementale d’appropriation et d’allocation des crédits qui en découle font en sorte qu’il existe une vive concurrence entre les ministères pour obtenir l’argent nécessaire à l’accomplissement de leurs missions respectives. Une fois les crédits d’un ministère obtenus, cette concurrence se déplace à l’intérieur même de ce ministère. Ainsi, au ministère des Transports, les différents modes de transport (routier, collectif, ferroviaire, maritime) se disputent les budgets, et à l’intérieur d’un même mode, il faut répartir les affectations entre le développement et l’entretien. Nous ne pouvons que constater que l’entretien des actifs s’est retrouvé assez loin dans l’ordre des priorités gouvernementales, d’autant plus qu’il était moins rentable politiquement de se prévaloir d’un pont entretenu que de couper le ruban qui inaugure un nouvel ouvrage.
Plusieurs pays ont réussi à atténuer leur carence d’entretien en créant des fonds dédiés à l’exploitation et à l’entretien, souvent par l’intermédiaire d’une agence des routes (Highway Agency au Royaume-Uni, par exemple). Une autre façon de faire, sans créer de nouvelles structures étatiques, consiste à recourir au secteur privé pour construire, entretenir et financer un ouvrage sur une longue période, assurant ainsi sa pérennité. La réalisation du projet de parachèvement de l’autoroute 25 en partenariat avec le secteur privé est un exemple éloquent d’une nouvelle façon de faire qui laissera aux générations futures un actif en bon état.
Un lien attendu
L’idée d’un lien entre la Rive-Sud et la Rive-Nord de Montréal dans l’axe du tunnel Louis-Hippolyte-LaFontaine remonte au début des années 1960 (voir l’encadré au sujet de l’historique). Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que le projet reprit de l’intérêt, alors que le gouvernement entreprenait d’explorer de nouveaux modèles d’affaires pour sa réalisation. Le ministère des Transports s’attarda plus particulièrement à l’idée d’une mise en concession du lien manquant en s’associant au secteur privé. Ce dernier se verrait confier le financement, la conception, la construction, l’exploitation, l’entretien et la réhabilitation de l’ouvrage. En contrepartie, le concessionnaire obtiendrait le droit d’établir un péage qui permettrait d’amortir les investissements sur une période prédéterminée. Le financement étant désormais assumé par le secteur privé, cette formule permettait d’accélérer la réalisation du projet, mais elle offrait aussi l’avantage de garantir l’entretien de l’ouvrage sur toute la période de concession et d’assurer sa réhabilitation à la fin du terme.
Bref historique du parachèvement de l'A25 en partenariat
- Mars 1967 - Inauguration du tunnel L.-H.-LaFontaine et de l’A25 jusqu’à l’autoroute métropolitaine (échangeur Anjou).
- Décembre 2000 - Adoption de la Loi concernant les partenariats en matière d’infrastructures de transport.
- Septembre 2001 - Mise en place du Bureau de la mise en oeuvre du partenariat public-privé (BMOPPP) au sein du ministère des Transports du Québec.
- Décembre 2004 - Création de l’Agence des partenariats publicprivé au sein du Conseil du trésor.
- Décembre 2005 - Obtention par le ministère des Transports du Québec du certificat d’autorisation de réalisation (CAR) et lancement de l’appel de qualification.
- Mars 2006 - Sélection des candidats retenus.
- Juin 2007 - Sélection du partenaire privé.
- Septembre 2007 - Signature de l’Entente de partenariat entre le ministère des Transports du Québec et Concession A25. Début du projet.
- Mars 2008 - Début des travaux de construction.
- Juillet 2011 - Ouverture du lien A25
Le cycle de vie du projet
L’approche traditionnelle de réalisation de nos infrastructures scinde les projets en deux phases distinctes : la construction et l’entretien1. La préoccupation de l’entretien ne vient que beaucoup plus tard dans le cycle de vie de l’ouvrage, généralement lorsqu’apparaissent des signes inquiétants de détérioration. À la figure 1, nous présentons les principales étapes du cycle de vie économique du projet de mise en concession de l’A25. Il est à noter que la période de 35 ans débute avec la signature de l’Entente de partenariat, au moment où s’amorcent les dépenses en capital, et se termine par la remise à l’État d’un ouvrage réhabilité à neuf.
Le partenaire privé doit élaborer son modèle financier en tenant compte de toutes les phases de la durée de la concession afin de présenter à l’État, aux investisseurs et aux prêteurs un projet économiquement viable. C’est ainsi qu’à l’étape de préparation de leur proposition, les firmes retenues doivent calibrer le dimensionnement de tous les ouvrages en fonction des dépenses en capital (investissement initial), des coûts d’entretien annuels et des coûts de réhabilitation. Cette approche permet évidemment d’optimiser les investissements, mais elle permet aussi d’allouer avant même sa construction les budgets nécessaires à la conservation de l’actif. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les interventions d’entretien dans un projet traditionnel ne se font généralement qu’au moment où l’on observe d’importantes dégradations. Il tombe sous le sens que ces interventions tardives sont beaucoup plus coûteuses qu’un entretien suivi et régulier qui permet de détecter les zones à risque et d’agir plus efficacement. Par exemple, le nettoyage régulier d’un joint d’expansion d’un pont dès les premiers jours de la mise en service prolongera considérablement sa vie utile, réduisant ainsi son coût global.
Les partenaires de concession A25
L’équilibre que l’on doit retrouver entre les dépenses en capital (construction) et les dépenses d’entretien et de réhabilitation ne peut être atteint que si l’on confie la gestion de ces activités à des firmes maîtrisant parfaitement les risques associés à leur prestation respective. Pour mener à bien le parachèvement de l’autoroute 25, le chef de file Macquarie a conservé les risques financiers, incluant le risque d’achalandage, mais s’est adjoint trois principaux partenaires qui assument des risques spécifiques, pour lesquels ils ont développé une grande expertise de gestion.
Le risque « conception et construction » des infrastructures (ponts et chaussées) a été confié au groupement Kiewit-Parsons (CC) qui, dès le début de la proposition, s’est résolument attelé à la tâche de répondre aux exigences techniques du ministère des Transports et de concevoir un ouvrage économique. Cette optimisation s’est réalisée à l’intérieur même du groupement CC afin d’harmoniser et d’optimiser le design et les méthodes de construction. Elle s’est aussi faite en étroite collaboration avec la firme responsable de l’entretien, de l’exploitation et de la réhabilitation de l’ouvrage, le groupe Miller (EER), et la firme responsable du système de péage électronique, TransCore (SPE). Il est à souligner que chacune de ces firmes s’est adjoint des experts (Génivar, Holcim, Canam, Talon-Sebeq, Neolec, etc.) qui ont largement contribué au succès de la proposition et à la bonne marche du chantier à ce jour.
Le processus de sélection du partenaire privé mettait en concurrence trois soumissionnaires (choisis lors de la phase de préqualification). La solution proposée, éventuellement retenue par l’État, se devait donc d’être la plus avantageuse sur le plan de la valeur actualisée de toutes les sorties de fonds. Le succès de l’exercice pour le concessionnaire choisi reposait sur la capacité des firmes à interagir et à s’insérer dans un processus itératif d’optimisation de la valeur économique globale de la proposition. La participation précoce des « porteurs de risques » dans le processus de conception et d’évaluation des coûts a fait en sorte que les risques que l’État souhaitait transférer au partenaire privé se retrouvent assumés par des entités qui en maîtrisent bien la gestion et qui ont surtout la capacité financière d’offrir à l’État les garanties nécessaires à une bonne performance.
En conclusion
Cette première expérience de partenariat en matière d’infrastructures de transport doit maintenant faire ses preuves. Il y a cependant lieu d’être optimiste, puisque la structure de gouvernance (obligations, responsabilités et bénéfices) mise en place par l’Entente de partenariat fait en sorte qu’il y a de façon systémique une convergence des intérêts entre les parties. Le ministère des Transports a imposé aux soumissionnaires de respecter des niveaux de qualité de service élevés afin d’assurer aux usagers confort et sécurité. Il va sans dire que le concessionnaire ne peut que partager cet objectif, puisqu’il souhaite offrir à ses clients un service de qualité afin de les inciter à utiliser l’infrastructure.
Le responsable EER doit s’assurer, au cours de la conception et de la construction, de la qualité des ouvrages qu’il s’est engagé à entretenir sur une longue période. Il était donc primordial qu’il ait pleine confiance en son partenaire CC. Nul doute que la réputation, l’expérience et les valeurs de Kiewit-Parsons ont largement contribué à établir auprès de Miller et des partenaires public et privé le climat de confiance approprié, qui n’est certes pas démenti par le progrès et la qualité des ouvrages déjà mis en place.
Tous ces ingrédients font en sorte que nous sommes en droit de nous attendre à circuler pendant de nombreuses années sur une route confortable et sécuritaire, et que nous léguerons aux générations futures un actif en bon état qu’ils devront préserver à leur tour. Il y a toutefois lieu d’être rassurés, puisque le modèle financier prévoit déjà les montants nécessaires, que nous pouvons aisément assimiler à un fonds dédié à l’entretien. Ce fonds est maintenu principalement par les sommes perçues des usagers, qui en obtiennent quotidiennement un bénéfice direct.
1 Il est à noter que lors de la conception de projets en mode traditionnel, certains éléments des ouvrages (type et dimensionnement de la chaussée, par exemple) font l’objet d’une comparaison économique pour leur durée de vie.