L’implantation d’un programme d’efficacité énergétique dans un parc de véhicules : l’exemple d’Énergie NB Power

Lundi 21 mars 2011
Technologie, Mobilité durable, Mobilité durable
Un camion nacelle typique de la flotte Énergie NB Power
Anthony Proust
Chercheur – Énergie et émissions
FPInnovations

C’est au cours de l’année 2009 que les premières discussions ont eu lieu entre Énergie NB Power (l’équivalent d’Hydro-Québec au Nouveau- Brunswick) et le ministère des Ressources naturelles du Canada au sujet de l’efficacité énergétique. Alors que la société d’État souhaitait développer une stratégie dans ce domaine au sein de son parc de véhicules, Ressources naturelles Canada désirait soutenir l’action des compagnies intéressées par ce type de démarche pour faire bénéficier l’ensemble de l’industrie canadienne des meilleures pratiques mises en œuvre.

Mais Énergie NB Power n’étant pas spécialiste de la réduction de la consommation de carburant et des émissions de gaz à effet de serre (GES) des véhicules, il ne suffisait pas de se laisser convaincre par la première technologie présentée lors d’un salon ou d’adopter les yeux fermés les solutions d’un concurrent. Cette façon de faire aurait en effet nécessité l’investissement de montants élevés tout en conduisant probablement à des résultats décevants.

Un programme d’efficacité énergétique en transport doit au contraire être bâti rigoureusement en tenant compte des particularités de chaque cas, chaque entreprise étant différente, que ce soit sur le plan de la composition de son parc, du profil de ses conducteurs (s’ils sont, par exemple, des conducteurs professionnels ou non) ou de ses activités.

Ressources naturelles Canada, qui a déjà réalisé de nombreux projets et études en partenariat avec FPInnovations, a donc proposé à Énergie NB Power de solliciter les services de cet institut de recherche et de développement situé à Pointe-Claire dans la région de Montréal. FPInnovations dispose à cet effet d’une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs et de techniciens spécialisés en transport, en énergie et en émissions, qui étudient les meilleures solutions pour l’industrie du transport routier.

Ambition et réalisme quant aux objectifs de réduction des GES

Une fois le contact établi entre Énergie NB Power et FPInnovations, la première phase, qui est certainement la plus importante pour tout projet de ce type, pouvait commencer : il fallait définir les objectifs de réduction de la consommation de carburant et des émissions de GES, et les moyens de les atteindre, en tenant compte du contexte et des contraintes propres au client. Dans le cas d’Énergie NB Power, des facteurs comme le nombre élevé d’employés syndiqués ou le fait que les conducteurs soient avant tout des opérateurs-électriciens qualifiés qui sont amenés à conduire un véhicule, et non des chauffeurs professionnels, devaient absolument être pris en considération pour éviter de faire fausse route.

La cible initialement fixée, une réduction de 10 % des émissions de GES au bout de deux ans, est apparue rapidement trop ambitieuse en regard du budget alloué à ce projet et des nombreux changements à effectuer sur une si courte durée. L’objectif a donc été abaissé à un niveau plus réaliste de 7 %, ce qui demeurait considérable pour un parc qui consomme annuellement plus de quatre millions de litres de carburant et émet dix mille tonnes de CO2.

Toute compagnie doit comprendre que l’implantation d’un plan d’efficacité énergétique impose une évolution importante des habitudes de travail des salariés concernés, mais qu’il est difficile de leur demander un grand effort d’adaptation de façon très rapide sans risquer de provoquer l’effet inverse : un blocage. Il est donc en général conseillé d’adopter une approche progressive, qui consiste par exemple en la mise en place de projets pilotes portant sur un petit nombre de véhicules et de conducteurs, afin d’évaluer les bénéfices du plan et d’appliquer ensuite celui-ci plus largement en cas de réussite.

Un préalable indispensable : l’état des lieux des dépenses énergétiques

Le client doit également coopérer dès le début, parce que c’est évidemment lui qui connaît le mieux ses activités : il participe à l’identification des opérations qui génèrent les plus fortes consommations de carburant. C’est seulement une fois ce bilan effectué que les mesures appropriées peuvent être ciblées. On imagine aisément qu’il serait par exemple peu efficace de consacrer beaucoup de temps et d’énergie à essayer de réduire la consommation des véhicules légers dans une compagnie qui comporterait une majorité de camions lourds consommant cinq fois plus de carburant. Toutefois, il ne faut négliger aucune piste, car parfois un ensemble de petites actions simples peut être globalement plus profitable qu’une seule mesure complexe à mettre en oeuvre et longue à faire adopter.

Dans le cas d’Énergie NB Power, les camions capables de transporter des charges supérieures à une tonne constituent seulement environ 30 % du parc et pourtant ils génèrent près de 60 % des frais de carburant. Il s’agit principalement de camions-nacelles dont le moteur tourne souvent au ralenti, de manière parfois injustifiée. Ces éléments, somme toute assez évidents, ont déjà permis de cerner deux des principaux domaines où des changements devaient être apportés en priorité : celui des camions mi-lourds et lourds, et celui du ralenti.

Peter Michaud, responsable du projet chez Énergie NB Power, résume bien l’importance de cette étape : « Dans le cadre de son projet d’efficacité énergétique, Énergie NB Power s’est entouré de FPInnovations et de Ressources naturelles Canada qui nous ont assisté dans le choix des technologies qui pourraient nous aider à faire face au défi du suivi des véhicules en service. Lorsque nous avons compris quels étaient les facteurs influençant majoritairement l’utilisation des véhicules, nous avons réussi à surmonter la résistance au changement des opérateurs en leur faisant prendre conscience des impacts financiers et environnementaux de leurs habitudes de conduite ».

Des indicateurs internes et externes importants

Des informations connues de l’industrie du transport permettent également de déterminer le champ d’action d’une entreprise en ce qui a trait à l’amélioration de l’efficacité énergétique. À titre d’exemple, différentes études font état d’un écart de consommation de carburant pouvant atteindre 35 % entre le conducteur d’un véhicule adoptant les meilleures habitudes de conduite et celui détenant les pires (sur un même véhicule et dans les mêmes conditions). Cet écart devait forcément aussi exister dans une société comme Énergie NB Power, qui compte plus de 800 conducteurs. D'où l’idée de prévoir également un programme de formation en écoconduite, qui concernerait principalement les véhicules utilitaires visés par le plan d’amélioration. Un tel programme n’existait cependant pas, donc FPInnovations, qui a déjà développé une formation similaire pour le transport forestier, a proposé d’adapter cette approche aux spécificités de ce type de véhicules.

D'autres critères moins concrets peuvent aussi être pris en considération. Il s’agit par exemple de la volonté de certaines compagnies d’améliorer leur image « verte », soit auprès de leurs employés, soit auprès du public (de la population, des clients, des partenaires, etc.), ou même souvent auprès des deux à la fois. Dès le départ, Énergie NB Power démontrait clairement sa détermination à créer une réelle culture de l’efficacité énergétique, qui rayonnerait à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise, et qui serait reliée à sa culture déjà très présente de la sécurité au travail. Ces deux aspects sont en effet parfaitement complémentaires : un conducteur « écoénergétique » est également un conducteur sécuritaire.

En somme, le programme d’efficacité énergétique d’Énergie NB Power a finalement été mis sur pied de manière assez spontanée et s’est articulé autour des lignes directrices suivantes : l’établissement d’une politique de réduction du ralenti, l’observation des effets d’une formation en écoconduite sur un petit groupe d’individus dans un premier temps (au moyen d’un projet pilote), le suivi d’indicateurs sur l’activité des véhicules (distance parcourue, durée de ralenti, utilisation de la prise de force, etc.) et une meilleure spécification des nouveaux véhicules.

Sans dévoiler en détail le contenu de l’ensemble des mesures mises en oeuvre dans ce plan, notons que pour sa politique anti-ralenti, la société a décidé entre autres de diffuser à tous les employés une charte décrivant la bonne attitude à adopter, de délimiter au moyen de panneaux de signalisation les sites d’Énergie NB Power comme des zones où il est interdit de laisser tourner son moteur au ralenti et de publier des témoignages et des exemples de bonnes habitudes dans la revue de la société.

La gestion du changement : un élément clé

En parallèle, Énergie NB Power a également décidé de recourir aux services d’un consultant spécialisé en gestion du changement. Ce détail peut effectivement être la clé de la réussite ou de l’échec d’une démarche en amélioration de l’efficacité énergétique, en particulier dans une entreprise fortement syndiquée. Divers sujets ont été abordés avec ce consultant, comme les raisons expliquant les mauvaises habitudes au volant (par exemple, certains conducteurs laissent tourner leur moteur au ralenti pour s’assurer d’être au chaud l’hiver ou d’autres par crainte de ne pas pouvoir redémarrer leur véhicule dans un endroit isolé) et les mobiles justifiant ces attitudes (par exemple, l’absence de dispositif de chauffage auxiliaire peut conduire un opérateur à laisser tourner son moteur au ralenti). L’idée générale entourant le processus de changement est qu’il faut axer les efforts d’amélioration sur les comportements qui ont un fort impact sur la consommation de carburant et les émissions de GES, même si ces comportements risquent de n’évoluer que très peu. Il est souvent conseillé de cibler aussi quelques comportements qui risquent fort probablement d’évoluer, même s’ils ont un impact moindre sur l’efficacité énergétique, afin d’habituer et de rassurer les employés en ce qui concerne les changements qui s’annoncent.

D'autres catalyseurs de succès : la communication, l’identification d’un « champion » et l’évaluation de la performance

Rappelons également que trois autres éléments clés doivent être pris en compte dès la préparation du plan d’efficacité énergétique, sans quoi les actions entreprises n’apporteront pas tous les bénéfices escomptés : il s’agit de la communication, de l’identification d’un « champion » et de l’utilisation d’un outil de mesure des résultats. À propos de l’importance de la communication, citons l’exemple de certains opérateurs d’Énergie NB Power, dont la conduite était évaluée à l’aide d’un ordinateur de bord installé dans leur véhicule qui, au début du projet pilote, n’utilisaient pas systématiquement la clé d’identification qui leur avait été attribuée, pourtant indispensable pour analyser les données par la suite. Or, en discutant avec ces personnes, nous avons très vite compris qu’elles n’avaient pas été suffisamment bien informées du contenu du projet et qu’elles ne s’étaient donc pas senties impliquées. En revanche, après notre rencontre, elles ont confirmé en avoir saisi les enjeux et nous ont fait part de leur engagement quant à la réussite du projet.

L’identification d’un employé « champion » est tout aussi primordiale. Le rôle de cet employé est d’agir en quelque sorte comme le capitaine d’une équipe sportive : il maintient la solidarité entre les employés concernés par le programme, il montre l’exemple, il doit comprendre les réticences de certains pour mieux arriver à les convaincre, mais il doit aussi rapporter à la direction les éventuels problèmes rencontrés par les chauffeurs. Il est donc souvent conseillé de choisir quelqu'un qui a fait ses preuves sur le terrain et qui est respecté par les autres employés, quelqu'un qui a commencé sa carrière au bas de l’échelle hiérarchique de la compagnie, par exemple.

Enfin, l’utilisation d’un outil de mesure des résultats a au moins deux fonctions : la première est de fournir à la direction de l’entreprise des indicateurs permettant de connaître les bénéfices du plan d’efficacité énergétique et de réorienter certaines de ses activités si nécessaire; la seconde est d’offrir aux employés une rétroaction détaillée leur permettant d’évaluer leurs progrès dans le temps et par rapport aux autres, de façon à maintenir leur motivation. L’outil le plus couramment utilisé lorsqu'il s’agit de collecter des données sur des véhicules est l’ordinateur de bord, dont des modèles plus ou moins sophistiqués proposent une large étendue de fonctionnalités (comme la mesure des habitudes de conduite et de la consommation de carburant, le positionnement GPS, etc.). Les logiciels fournis avec chacun d’eux permettent en général d’analyser et de présenter les résultats sous forme de rapports, de tableaux de bord ou de fiches de pointage.

Aujourd'hui, le plan d’efficacité énergétique d’Énergie NB Power continue à suivre son cours. Comme il s’agit de mesures visant une amélioration à long terme, il est encore trop tôt pour en évaluer les résultats, mais il ne fait aucun doute qu’à force de volonté et de persévérance, les efforts de la société en vue d’atteindre son objectif de réduire son empreinte environnementale porteront leurs fruits.

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