L’accessibilité universelle ou comment offrir des services au profit de tous les usagers

Mardi 21 juin 2011
Sécurité et Aménagement
Boulevard de Maisonneuve
Sophie Lanctôt
Directrice générale
Société Logique

L’accessibilité universelle n’est pas une nouvelle religion ni un nouveau credo destiné à sauver le monde… C’est plutôt le gros bon sens, le retour à l’usager et à ses besoins en matière d’aménagement, d’accueil, de communication et d’accès aux programmes et aux services. Avec, en trame de fond, les besoins des personnes handicapées qui révèlent des difficultés vécues par l’ensemble des citoyens…

L’accessibilité universelle est issue des revendications des personnes handicapées relatives au droit à l’égalité. Citoyennes à part entière, ces personnes veulent étudier, travailler, se récréer, s’informer, communiquer, avoir une famille, une maison, voyager, consommer, voter, se déplacer comme tout le monde. Or, notre société, dans son ensemble comme dans ses parties, n’est pas toujours facilitante. Et, par conviction ou pour nous donner bonne conscience, nous mettons en place, selon nos moyens, quelques mesures ou services parallèles destinés à réduire les inégalités, sans toutefois arriver à retirer aux personnes handicapées cette étiquette de citoyen de seconde zone. En 1954, la Cour suprême des États-Unis a pourtant statué, dans un jugement en éducation, que « …separate is not equal »1.

Comprendre comment une personne devient handicapée permet d’apprécier la force de l’accessibilité universelle comme moyen d’intervention

Une personne ayant une limitation fonctionnelle est handicapée lorsqu’elle rencontre des obstacles qui font qu’elle ne peut réaliser ses aspirations. La situation de handicap n’est pas uniquement la conséquence des capacités et des incapacités d’une personne, elle est aussi causée par l’environnement où elle évolue. En fait, c’est l’interaction entre l’incapacité d’une personne et les obstacles de son environnement qui cause le handicap2. Par exemple, la personne qui ne peut pas marcher et qui se déplace en fauteuil roulant sera en situation de handicap devant l’escalier d’un autobus.

Le contraire est aussi vrai : une personne ayant une limitation fonctionnelle qui évolue dans un environnement facilitant, lui permettant de faire ce qu’elle doit ou souhaite faire, n’est pas une personne handicapée. Elle pourra être une personne différente, mais en y regardant bien, nous sommes tous différents… Ainsi, la personne se déplaçant en fauteuil roulant qui utilise la rampe pour accéder à l’autobus se déplace en transport en commun régulier, comme les autres usagers. Elle conserve ses caractéristiques propres, sans restriction à ses habitudes de vie.

Éviter de créer des obstacles et mettre en place des facilitateurs sont des approches favorisant l’inclusion des personnes ayant des limitations fonctionnelles, que tout un chacun peut contribuer à mettre en place, au quotidien. En effet, qu’il s’agisse d’aménagement, de technologie, de service à la clientèle, de communication, d’entretien, etc., de multiples actions sont possibles.

Comment agir sur les obstacles devient alors très important…

L’adaptation : agir au cas par cas

Il est possible d’agir au cas par cas, en adaptant nos pratiques et nos installations aux besoins individuels formulés par certains utilisateurs. Une série de mesures spécifiques seront alors mises en place, sans garantie qu’elles constitueront également la solution pour d’autres individus ayant eux aussi des besoins.

Un exemple d’adaptation : le transport adapté qui, dans plusieurs régions, a été instauré pour pallier la non-accessibilité des véhicules et du réseau de transport en commun régulier. Longtemps proposé comme l’unique moyen de transport collectif aux personnes admissibles, ce service porte-à-porte ne répond pas aux besoins des personnes qui, notamment, veulent plus de spontanéité et de flexibilité dans leurs déplacements et dans leur vie. Comprenons-nous bien, le transport adapté est et sera toujours nécessaire, car il répond bien aux besoins de certains utilisateurs. Cependant, il ne peut pas constituer la seule solution pour les personnes handicapées en matière de transport collectif…

L’accessibilité : agir minimalement par des mesures spécifiques

Il est également possible d’agir sur les obstacles de façon minimale, par des mesures parallèles répondant à certains besoins collectifs. Il s’agit alors de rendre accessibles les installations.

En architecture, le Code de construction du Québec regroupe des exigences en matière d’« accessibilité ». Prenant en compte presque exclusivement les besoins des personnes se déplaçant en fauteuil roulant manuel, la règlementation de construction suggère des aménagements, telle la rampe d’accès, qui sont conçus pour les personnes handicapées. Ainsi, l’accessibilité est par définition incomplète et implique souvent une utilisation différente des lieux et des aménagements.

L’autobus urbain avec rampe à la porte arrière est un bon exemple d’accessibilité. Grâce à ces autobus, les personnes se déplaçant en fauteuil roulant ont la possibilité de prendre le transport en commun régulier, avec toute la spontanéité et la flexibilité de déplacement recherchées. Cependant, elles doivent entrer par la porte arrière, à l’inverse des autres usagers pour qui cette pratique est interdite. De plus, comme la boîte de perception est située à l’avant de l’autobus, elles ne peuvent pas payer leur droit de passage comme tout le monde. Le paiement sur l’honneur, par l’achat d’une carte mensuelle ou d’un chèque expédié à la société de transport, n’est pas connu des autres voyageurs qui pensent, à tort, que les personnes handicapées prennent l’autobus gratuitement, en plus de prendre de la place et de ralentir le service…

Rendre accessible est souvent le compromis retenu, pour répondre en partie aux besoins des personnes handicapées tout en considérant les ressources disponibles. Parce que, entre vous et moi, il est plutôt rare de voir une personne se déplaçant en fauteuil roulant prendre l’autobus régulier… et plusieurs s’interrogent, sans oser le dire à voix haute, si l’investissement, en vertu du droit à l’égalité, en vaut vraiment la peine…

L’accessibilité universelle : agir de façon concertée, au bénéfice de tous

Agir en matière d’accessibilité universelle consiste à se donner les moyens de rentabiliser nos investissements.

Le principe est simple : les obstacles rencontrés par les personnes ayant des limitations fonctionnelles révèlent des difficultés vécues, à un degré moindre, par tous les usagers. Pensons seulement aux aînés qui peuvent avoir des difficultés de vision, d’audition ou de mobilité; aux parents avec poussette et aux voyageurs avec sacs et valises, pour qui les portes et les escaliers constituent des défis angoissants; aux nouveaux arrivants et aux personnes analphabètes qui ont des difficultés de lecture et de compréhension de la langue, s’apparentant à celles des personnes ayant une déficience intellectuelle…

Les actions entreprises pour réduire les situations de handicap peuvent ainsi bénéficier à tous les usagers, à la condition qu’il ne s’agisse pas de mesures parallèles, destinées uniquement aux personnes handicapées…

Ainsi, l’autobus urbain avec rampe à la porte avant est un bon exemple d’accessibilité universelle. Tous les usagers montent par la même porte et la rampe peut être déployée au besoin pour les parents avec poussette, pour les personnes ayant une valise ou un sac d’épicerie sur roues et, bien évidemment, pour les personnes nécessitant une aide à la mobilité! Tous les passagers acquittent également leur droit de passage de la même façon, dans la boîte de perception à l’avant. Logique et simplicité!

Mais le diable est dans les détails… Installer la rampe à l’avant a obligé l’élargissement de la porte du véhicule, réduisant l’espace entre la porte et la roue, impliquant le déplacement du siège réservé à une personne à mobilité réduite, situé à proximité immédiate du chauffeur… Or, ce siège était très important pour les personnes âgées, les personnes ayant une déficience visuelle ou intellectuelle ou un trouble du langage ou de la parole, notamment afin de limiter leur déplacement dans le véhicule et de recevoir les instructions du chauffeur lorsque celles-ci arrivent à destination. Des discussions ont eu lieu, avec des représentants des différents groupes, afin de déterminer le compromis acceptable, répondant bien aux besoins de chacun, sans nuire à ceux des autres. Ainsi, un siège réservé avec espace pour un chien guide est maintenant aménagé derrière le chauffeur. Le siège réservé à une personne à mobilité réduite a été déplacé juste derrière la roue avant, un peu plus loin, mais de façon à permettre encore l’échange avec le chauffeur. Des mains courantes supplémentaires ont été ajoutées pour que les personnes dont l’équilibre est fragile puissent bien se tenir jusqu'au siège réservé. Et, faute d’espace, les personnes se déplaçant en fauteuil roulant ont dû renoncer à la deuxième place qu’elles souhaitaient obtenir dans l’autobus.

D'autres exemples d’accessibilité universelle

La présence d’ascenseurs dans certaines stations du métro montréalais fait suite à des revendications du milieu des personnes handicapées. La réponse à ces demandes aurait pu être marginalisée, peu intégrée. Au contraire, la Société de transport de Montréal a voulu en faire un exemple d’accessibilité universelle, au profit de toute sa clientèle. Ainsi, le modèle d’ascenseur retenu, complètement vitré, génère un sentiment de sécurité en permettant de voir et d’être vu. De plus, les emplacements choisis font en sorte que les ascenseurs sont majoritairement sur le parcours usuel de tous les voyageurs, incitant ceux qui considèrent en avoir besoin à les utiliser. Et ces ascenseurs deviennent un investissement d’autant plus rentable, contribuant à la qualité du service pour tous!

La signalisation est un autre exemple où le concept d’accessibilité universelle peut faire la différence. Les personnes ayant une déficience intellectuelle ont souvent de la difficulté à s’orienter dans l’espace. Une signalisation repérable, visible, simple, explicite, facile à comprendre, utilisant des pictogrammes et placée de façon stratégique aux lieux de décision aidera grandement ces usagers à se déplacer et à se sentir en sécurité dans un lieu. Or, le visiteur analphabète, le nouvel arrivant ou celui qui fréquente un lieu pour la première fois vivra les mêmes difficultés, à un degré moindre, que celles éprouvées par une personne ayant une déficience intellectuelle. Ainsi, concevoir la signalisation d’un lieu en considérant les besoins de ces personnes génèrera une signalisation plus adéquate pour tous!

L’accessibilité universelle a également sa place en aménagement urbain. La cohabitation des différents modes de transport que sont la marche, le vélo, le transport en commun, l’automobile est un véritable défi. Mieux comprendre les besoins des personnes ayant une déficience visuelle, intellectuelle ou motrice favorise la conception de places publiques, de rues commerciales, d’intersections qui permettront à tous de se déplacer plus aisément et en toute sécurité.

La recette du succès?

Faire en sorte que les mesures mises en place soient utilisables par le plus grand nombre et s’assurer que les solutions aux obstacles de certains ne créent pas d’obstacles pour d’autres… L’accessibilité universelle et la concertation doivent faire partie du coffre à outils de tous les intervenants en matière de transport, de développement urbain, d’aménagement, de communication, d’accueil et de service! Ainsi, les mesures prises ne serviront pas uniquement à un petit groupe, mais contribueront au confort et à la qualité de vie de tous les usagers, vous y compris! Voilà une réelle optimisation des efforts consentis!

Quelques ressources :

Société Logique est un organisme à but non lucratif et une entreprise d’économie sociale ayant pour mission de promouvoir et d’intervenir dans le développement et la création d’environnements universellement accessibles. Société Logique, qui célèbre cette année son 30e anniversaire, réalise sa mission par la promotion du concept d’accessibilité universelle et la consultation en aménagement.

1- PREISER, W., E. & OSTROFF, E. (2001). Universal design handbook. États-Unis, McGraw-Hill, 69, 18 p.

2- FOUGEYROLLAS, P., CLOUTIER, R., BERGERON, H., CÔTÉ, J. et ST-MICHEL, G. (1998). Classification québécoise, Processus de production du handicap. Québec, Réseau international sur le Processus de production du handicap (RIPPH)/SCCIDIH, 166 p.

Sur la toile

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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation