Comment les entreprises québécoises peuvent-elles réussir dans les projets en partenariat?

Mercredi 21 décembre 2011
Infrastructures de transport, Sécurité et Aménagement, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
Réussir dans les projets en partenariat

Le Québec a connu ces dernières années un nouvel élan pour les projets en infrastructure. Que ce soit pour un projet routier, ferroviaire ou hospitalier, les besoins en nouvelles infrastructures, et en infrastructures de remplacement, au Québec, sont considérables et se chiffrent en dizaines de milliards de dollars au cours des prochaines années. En effet, selon la conférence de presse du ministre des Transports du Québec en date du 28 février 2011, les investissements routiers au Québec seulement, en 2011 et 2012, se chiffreront à près de 4 G $ et créeront, ou maintiendront, plus de 53 000 emplois. Face à ces besoins criants, est-ce que l’entrepreneur québécois est bien équipé pour travailler de concert avec les acteurs du secteur public? Ici et ailleurs dans le monde, on mise de plus en plus sur de nouveaux modes de réalisation pour la mise en oeuvre d’un projet d’infrastructure, en particulier les partenariats. Mais qu’entend-on au juste par un projet en partenariat? Il existe justement plusieurs formes de projets en partenariat et il serait pertinent de mentionner les trois formes de partenariat les plus couramment utilisées dans le domaine, soit les modes Conception-construction (CC), Conceptionconstruction- financement (CCF) et Conception-construction-financement-exploitation- maintien (CCFEM).

Mode CC

Le mode CC implique le regroupement de la quasi-totalité des activités de conception et de construction d’une infrastructure en un seul contrat. Une fois la construction terminée, le donneur d’ouvrage, habituellement un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec (Gouvernement), paie pour l’infrastructure et l’actif est ainsi remis à ce dernier. Le concepteur-constructeur est payé selon l’avancement des travaux. Ce mode est celui retenu par Transports Québec pour une partie importante des travaux du projet Turcot.

Mode CCF

Le mode CCF est en tout point similaire au mode CC à l’exception que le concepteur-constructeur est seulement payé par le Gouvernement à la fin des travaux. Celui-ci doit donc avoir suffisamment de capitaux pour payer ces coûts durant la période des travaux ou mettre en place un financement typiquement bancaire. Ce mode est celui retenu par l’Agence métropolitaine de transport pour son projet de centre d’entretien à Lachine.

Mode CCFEM

Ce mode de réalisation est identique au mode CCF mais, en plus, il inclut également l’entretien et le maintien de l’actif en question sur son cycle de vie. Le concepteur-constructeur, aussi nommé partenaire, est donc responsable de la gestion de l’actif et du maintien en bon état pour une durée de généralement 20 à 30 ans. Ce mode est celui utilisé par Transports Québec pour les projets A-25 et A-30.

Au Québec, la plupart des projets se font encore en mode traditionnel et les modes de réalisation énumérés précédemment se distinguent du mode traditionnel par plusieurs caractéristiques, notamment :

  • La combinaison de la conception et de la construction. Dans le mode traditionnel, le Gouvernement octroiera un ou plusieurs contrats de construction séparément de celui de conception. Une fois la conception terminée, le concepteur devient généralement la partie qui supervisera le constructeur et s’assurera que le projet respecte les échéanciers et les budgets prescrits. Dans un projet en partenariat impliquant le jumelage de la conception et de la construction, le concepteur-constructeur unique est responsable de l’ensemble de ces deux activités.
  • L’octroi d’un seul lot par le Gouvernement pour l’ensemble du projet. Contrairement au mode traditionnel où les lots de construction sont multiples (par ex. : fondation, structure en acier, asphaltage, etc.), un projet en partenariat cédera à un partenaire la réalisation de l’ensemble des travaux de construction en un seul lot. Il importera donc au partenaire, en plus de l’élaboration de la conception de l’infrastructure, d’effectuer une planification sans faille des activités de construction et de bien cibler les chemins critiques menant à la réalisation de l’infrastructure.
  • La réalisation souvent en mode accéléré. Tout d’abord, la conception du projet est généralement basée sur un devis de performance qui dicte les principales fonctionnalités de l’infrastructure. De plus, lors de la signature du contrat de partenariat, les plans et devis du partenaire ne sont pas terminés à 100 %. Celui-ci aura donc la tâche de terminer les plans et devis durant la période de construction. Cette approche est ainsi appelée « accélérée » à cause de la possibilité de la signature d’une entente et d’une mise en chantier avant même l’achèvement des plans et devis.
  • Prix fixe et date certaine. Le partenaire s’engage à livrer l’infrastructure à une date précise et assumera tout risque de dépassement de coût. Généralement, tout retard sera également pénalisé sur le plan financier.
  • Garanties plus importantes à mettre en place. Étant donné le risque additionnel pris par le partenaire, le Gouvernement exige généralement l’obtention de garanties de performance additionnelles tels un compte de réserve, une lettre de crédit, un cautionnement d’exécution, un cautionnement de gages et de matériaux ou encore une garantie de la société mère. Les prêteurs en mode CCF et CCFEM exigent également de telles garanties.
  • La nécessité de mettre en place un financement privé. Pour les modes de réalisation CCF ou CCFEM, le partenaire doit recourir à un financement privé. Il est donc essentiel d’entretenir de bonnes relations avec les institutions prêteuses ou avec les investisseurs de capital ainsi que de maintenir un sain bilan financier afin d’obtenir le financement requis aux meilleures conditions possibles.
  • Les considérations techniques et budgétaires par rapport au cycle de vie de l’infrastructure. Pour le mode de réalisation CCFEM, le partenaire doit présenter un plan de maintien de l’infrastructure sur son cycle de vie. Celui-ci assumera entre autres tout mauvais entretien ainsi que tout dépassement de coût comparativement au budget initialement proposé.

Les caractéristiques d’un projet en partenariat imposent certaines considérations particulières et nécessitent inévitablement une analyse plus approfondie. Pour une entreprise québécoise, il est essentiel de bien comprendre les impacts qu’un tel partenariat peut avoir sur sa firme, ses opérations ainsi que ses ressources, tant financières que de capital humain. Quelques-unes des plus importantes considérations sont :

  • Le besoin de savoir-faire multiple. Pour les projets en mode de réalisation CCFEM, il est difficilement envisageable, pour une seule entreprise, de livrer tous les services stipulés dans l’entente de partenariat. Par conséquent, la formation de consortiums multidisciplinaires ayant les capacités de conception, de construction, de financement, d’exploitation et de maintien des actifs est une pratique courante dans les projets en partenariat.
  • Les antécédents commerciaux du partenaire et de son équipe. Une équipe multidisciplinaire mais dysfonctionnelle est peu enviable. En effet, la sélection de membres non seulement expérimentés en projets en partenariat, mais également ayant une excellente synergie et de bons antécédents comme équipe est cruciale.
  • Le besoin de savoir-faire en gestion de projet. L’une des plus importantes considérations est sans doute l’implantation d’une bonne structure de gouvernance du bureau de projet où les procédures décisionnelles, les liens de communication ainsi que les étapes d’approbation sont bien établis. Un projet en partenariat implique la coopération entre plusieurs membres d’un consortium, et les tâches et les individus responsables de chaque activité doivent être clairement établis dès la mise en place du consortium.
  • Expertise en gestion de risque. Étant donné que le partenaire est responsable de la conception et de la construction d’un projet à un prix fixe et une date déterminée, tout risque de volume ou de retard est à la charge du partenaire. De plus, plusieurs autres risques peuvent également être transférés au partenaire, tels les délais d’obtention de permis, l’évolution des coûts d’entretien et de maintien ou encore le risque géotechnique. D’autres risques qui ne peuvent être contrôlés par le partenaire, tels que le risque relié à l’acquisition des terrains, le risque de contestation par le public ou de contamination, seraient généralement conservés par le Gouvernement. Bref, une bonne connaissance des risques reliés à un projet en partenariat est donc nécessaire dans l’évaluation d’un prix de soumission et dans la rédaction de la documentation contractuelle.
  • Coûts de soumission plus élevés. Puisqu’une partie des risques du projet en partenariat est transférée au partenaire, il est généralement normal que les coûts de soumission soient plus élevés. Par exemple, la mise en place d’un consortium implique naturellement un coût de gestion de projet plus élevé avec, pour corollaire, un coût de soumission plus élevé. De plus, un partenariat impliquant un financement privé bancaire ou obligataire est naturellement plus complexe à organiser. Enfin, la mise en place d’une société de projet et les frais de gestion et de mise en place de celle-ci en vue du partenariat augmenteront vraisemblablement le coût de la soumission.
  • Documentation juridique plus complexe. La documentation juridique régissant chaque aspect d’une entente de partenariat est plus complexe que celle d’un simple lot de construction. Par exemple, dans un projet en CCFEM, les ententes suivantes sont généralement présentes entre la société de projet et :
    • Le Gouvernement (entente de partenariat incluant le mécanisme de paiement);
    • Le concepteur-constructeur (entente de conception-construction);
    • L’entité effectuant l’entretien (entente de services d’entretien);
    • Les créanciers (convention de prêt);
    • Les membres du consortium pour les capitaux propres (convention d’actionnaires).

Ces ententes se retrouvent généralement au sein d’un projet en partenariat en mode CCFEM et il existe normalement un nombre encore plus important de documentation contractuelle encadrant les principales ententes énumérées ci-dessus. L’implication d’une équipe juridique tôt dans le processus de soumission est habituellement de mise.

Face à ces défis, des entrepreneurs peuvent être aux prises avec des embûches en cours d’exécution résultant d’une mauvaise planification ou d’une sous-estimation de l’envergure des livrables ou encore ne soumissionnent tout simplement pas étant donné leur aversion du processus plus complexe d’un projet en partenariat. Cependant, une approche méthodique et bien structurée peut grandement réduire les difficultés potentiellement rencontrées en cours de soumission et d’exécution du projet. Voici quelques avenues à explorer pour les entreprises québécoises désireuses de réaliser des projets en partenariat :

  • Bien planifier les étapes de la soumission. Un projet en partenariat est complexe et la présence d’un gestionnaire de projet expérimenté pouvant bien cerner les étapes de soumission et d’exécution du projet est indispensable. Chaque étape du projet ainsi que leur date butoir doivent être clairement établies. Il sera important de déterminer le chemin critique sur lequel repose le projet et de concentrer l’effort sur les étapes clés.
  • Former un consortium avec des entreprises ayant une expertise complémentaire. Pour réussir, il faut pouvoir rassembler une équipe ayant l’expertise requise par le donneur d’ouvrage. Les membres de l’équipe, ou du consortium, doivent individuellement et collectivement démontrer une solide capacité financière et d’exécution pour la mise en oeuvre de leurs livrables respectifs.
  • Augmenter son capital. Plus de capital signifie ordinairement une augmentation de la capacité à entreprendre des projets de taille plus importante. En général, une entreprise mieux capitalisée sera mieux en mesure de mettre en place les garanties et d’attirer le financement requis pour les projets en partenariat.
  • Développer des relations avec des prêteurs potentiels. Pour les projets en CCF et CCFEM, le niveau d’endettement est généralement de 80 % à 90 % du financement total. Le prêteur deviendra donc un joueur important dans l’élaboration de la stratégie de soumission et influencera la structure de celle-ci. Développer ses relations avec ses créanciers pour ainsi obtenir un financement aux meilleures clauses possibles peut faire la différence entre une soumission gagnante ou perdante.
  • Faire des acquisitions ou faire l’objet d’acquisition. Lorsqu’une entreprise veut s’approprier l’expertise d’une firme parce qu’elle y voit un avantage stratégique à long terme ou parce que la croissance organique ne suffit plus, une solution intéressante est la croissance par acquisition. De fait, une firme peut également bénéficier d’une plus grande économie d’échelle en faisant l’objet d’une acquisition. Quelques exemples récents de fusion et d’acquisition dans le domaine sont l’acquisition de Verreault par Dessau, une firme en génie-conseil montréalaise, en 2008, et l’acquisition, la même année, de Vanbot par la firme Carillion, une firme britannique spécialisée en infrastructure.
  • Être sélectif dans ses soumissions. Il faut apprendre à choisir ses batailles. Une soumission d’une taille trop audacieuse ou nécessitant la mobilisation de ressources clés pendant une durée jugée trop longue devrait être évitée. De plus, afin de mieux gérer ses coûts et son effort, une entreprise pourrait choisir de participer au projet en partenariat comme sous-traitant plutôt que partenaire.

En conclusion, il faut admettre que les défis présents dans les projets en partenariat sont nombreux, mais que les bénéfices potentiels sont aussi importants. Néanmoins, il est nécessaire avant tout de bien comprendre les enjeux et les caractéristiques de tels projets. Enfin, l’entreprise québécoise doit réaliser qu’elle a effectivement les outils nécessaires à sa disposition ou peut se doter de ceux-ci pour la réalisation de ces projets. Toutefois, la réussite reviendra aux entreprises qui tenteront leur chance car, comme le disait si bien Lao Tseu, « Le voyage de mille lieux commence toujours par un premier pas ».

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr