La gestion des risques comme outil d’aide à la décision dans les grands projets d’infrastructure au Québec

Mercredi 21 décembre 2011
Infrastructures de transport, Sécurité et Aménagement, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
La gestion des risques

Contexte et besoins

Dans le contexte actuel de vieillissement, voire de fin de vie des infrastructures existantes, de sollicitation forte de la demande sur la capacité des réseaux, d’évolution des attentes de performance ou de changement des habitudes des usagers, le secteur des transports occupe aujourd’hui plus que jamais une place prépondérante dans les investissements effectués par les différents paliers de gouvernement. Or, l’effet combiné de les différents besoins crée une tension grandissante sur les ressources publiques et privées. Les bailleurs de fonds exigent aujourd’hui des démonstrations toujours plus solides et convaincantes qu’une utilisation efficace (rencontre des objectifs de performance), efficiente (optimisée) et robuste (capacité d’adaptation aux imprévus) sera faite des ressources demandées.

On a vu ainsi les porteurs de projets initier au cours des dernières années une réflexion importante sur les façons traditionnelles d’imaginer, étudier, dimensionner, financer, construire et opérer des grands projets de transports. Encore aujourd’hui, ceux-ci recherchent des approches permettant non seulement de rencontrer les exigences des bailleurs de fonds, mais aussi de favoriser la recherche de solutions constructives qui prendront en considération les objectifs du maître d’ouvrage (mobilité durable, développement économique local, régional et provincial, sécurité, etc.), du maître d’oeuvre (rentabilité, sécurité, etc.) de même que des autres porteurs d’enjeux impliqués, tout en protégeant les intérêts et responsabilités de chacun. On peut penser par exemple à l’apparition des projets en PPP au Québec, qui exigent un formalisme beaucoup plus poussé qu’auparavant dans l’identification des risques et la répartition des responsabilités.

Les qualités recherchées pour ces nouvelles approches de gestion sont :

  • rendre les processus décisionnels plus clairs, transparents et objectifs;
  • garantir et faire la démonstration de l’alignement des décisions avec les enjeux stratégiques, et en particulier le développement durable;
  • anticiper et maîtriser les problèmes potentiels à risques et coûts élevés, en particulier les problèmes de financement, de perception, d’intégration urbaine, d’impacts environnementaux, de coûts et/ou de délais;
  • favoriser un processus de négociation constructif établissant clairement le partage des responsabilités et des compensations qui s’y rattachent;
  • faciliter la défense des dossiers auprès des instances décisionnelles, parties prenantes et autres groupes d’intérêts.

La récente Politique cadre sur la gouvernance des grands projets d’infrastructure publique1 vient fournir des éléments de réponse importants à ce besoin. On y met en évidence en particulier l’importance d’identifier, au même titre que les coûts et les échéanciers, les risques pouvant avoir une incidence potentielle sur le projet ainsi que les mesures d’atténuation prévues. D’ailleurs, la prise en considération des risques est un élément obligatoire du dossier d’affaires initial (DAI). La Politique cadre n’a cependant aucune exigence sur la manière dont elle doit être conduite.

La gestion des risques est devenue un prérequis permettant de démontrer l’utilisation optimale des fonds publics lors de la réalisation des grands projets au Québec.

Objectifs de l’analyse des risques

L’analyse des risques est une approche visant l’anticipation des situations potentielles à fortes conséquences sur les enjeux stratégiques et les parties prenantes correspondantes. Dans le cadre plus spécifique de la gestion d’un projet, l’analyse des risques a comme objectif d’identifier et d’estimer les effets des incertitudes susceptibles de mettre en péril l’atteinte des objectifs stratégiques de ce projet

L’analyse des risques est donc un outil d’aide à la décision et à la gestion. Elle n’est pas une fin en soi. Elle vise à augmenter la valeur d’un projet ou à réduire les menaces qui pèsent contre elle. Pour ce faire, elle doit :

  • répondre à un besoin et à des objectifs précis. Ceux-ci donnent son sens à l’analyse des risques. L’analyse des risques peut même servir de guide au réalignement des objectifs en cas de risques résiduels inacceptables;
  • être alignée avec la mission et les enjeux du propriétaire. Il s’agit d’assurer la pertinence des décisions vis-à-vis des enjeux stratégiques;
  • refléter la tolérance du propriétaire aux risques et son ouverture aux opportunités afin d’assurer l’alignement avec la sensibilité ou la culture propre du propriétaire;
  • intégrer les incertitudes. L’analyse des risques vise justement à intégrer ce qui est peu ou pas connu afin de prendre les meilleures décisions. En particulier, elle permet de prioriser la recherche d’informations manquantes, le cas échéant;
  • être constamment remise à jour tout au long du cycle de vie du projet. Un projet évolue, de nouvelles informations ou données deviennent disponibles et doivent être intégrées au processus pour assurer l’optimisation des décisions à prendre.

Approche et processus de gestion des risques

La puissance de l’analyse des risques réside dans un formalisme simple et intuitif et dans sa flexibilité à croiser des événements potentiels et des enjeux de toute nature. Ce faisant, elle permet de mettre en évidence et de rendre cohérent le lien qui existe entre des considérations opérationnelles et stratégiques, entre des enjeux techniques et non-techniques (p. ex. financiers, sociétaux, politiques, médiatiques) et ainsi de créer un canal de communication fort entre les différents porteurs d’enjeux.

Une fois les risques les plus critiques identifiés, plusieurs stratégies de gestion sont possibles :

  • L’acceptation (éclairée) : accepter un risque résiduel en toute connaissance de cause. Effectuer un suivi pour pouvoir réagir à toute évolution possible de la situation.
  • La caractérisation : mieux connaître le risque pour mieux le maîtriser.
  • La prévention : empêcher un évènement à risque de survenir.
  • La mitigation : réduire les conséquences d’un évènement à risque.
  • Le transfert : transférer la responsabilité d’un risque à un tiers.
  • L’évitement : abandonner le projet ou la situation faisant l’objet de l’analyse des risques.

Le processus de gestion des risques est par définition récurrent, c’est-à-dire qu’il doit être constamment mis à jour afin de demeurer pertinent. Ce cycle est constitué des étapes suivantes :

  • L’identification des risques
    • Identification des enjeux et des seuils de sensibilité du maître d’ouvrage
    • Identification des évènements, aléas et/ou autres facteurs de risques
    • Identification des enjeux impactés
  • L’analyse et l’évaluation des risques
    • Qualification et/ou quantification des risques
    • Analyse des risques (identification des sources principales
    • Priorisation (classification)
  • Le traitement des risques
    • Identification des actions de maîtrise des risques
    • Suivi des actions
    • Mise à jour récurrente du registre des risques

Exemples d’application de l’analyse des risques

Cette section présente trois utilisations de l’analyse des risques permettant de bien illustrer comment trois objectifs bien différents peuvent exploiter efficacement l’analyse des risques.

1. Répartition des risques entre les différents partenaires publics et privés d’une concession en PPP (transfert des risques)

Dans le contexte du projet en PPP de l’A25, l’analyse des risques a été utilisée comme base permettant aux différentes parties prenantes de négocier en toute connaissance de cause les risques dont elles souhaitaient prendre la responsabilité contre compensation. Cette base a été particulièrement utile dans l’identification des risques que le MTQ souhaitait transférer au concessionnaire, par opposition à ceux qu’il souhaitait conserver. L’exercice a ainsi permis de bien formaliser le processus menant aux documents contractuels, avec comme résultat que la phase de construction s’est déroulée sans aucun différent significatif entre le MTQ et les partenaires privés.

2. Contrôle des coûts (quantification du risque)

Toujours en relation avec le projet de l’A25, mais cette fois-ci plus spécifiquement à l’étape de construction, l’analyse des risques a été utilisée par le concepteur-constructeur afin de mieux gérer les situations imprévues et d’assurer ainsi une meilleure maîtrise de ses coûts.

Pour ce faire, le processus mis en place était constitué des étapes suivantes :

  • Définition des différentes activités de construction pouvant potentiellement mener à des risques significatifs pour le projet;
  • Identification des risques associés à chacune de ces activités;
  • Identification des risques associés à chacune de ces activités;
  • Identification des risques associés à chacune de ces activités;
  • Identification des risques associés à chacune de ces activités;
  • Suivi de la matérialisation possible des risques ou de l’efficacité des mesures de mitigation. Mise à jour du registre des risques afin de maintenir la pertinence du processus.

L’application de l’analyse des risques sur ce projet a permis faire en sorte que celui-ci se termine dans les temps et les coûts prévus, tel qu’il en a été fait mention dans les média.

3. La création d’un programme d’études (intégration des incertitudes)

Dans le contexte plus particulier du programme de prolongement du métro du Montréal métropolitain, il a été décidé très tôt que l’analyse des risques serait le fil conducteur permettant de rallier les différents porteurs d’enjeux et d’anticiper au maximum les problématiques à forte criticité (risque élevé). Anticipant sur l’obligation de la politique cadre pour la préparation du DAI, l’analyse des risques a été l’une des toutes premières activités du projet, avant même de lancer les études de faisabilité.

L’exercice a consisté entre autres en l’organisation d’une série de rencontres et ateliers regroupant neuf des parties prenantes directement associées au projet (dont les municipalités et agences de transport correspondantes). Ces ateliers ont permis d’identifier les enjeux et objectifs de performance, d’identifier et estimer les risques pouvant menacer ces enjeux, de prioriser ces risques sur la base de leur criticité et d’identifier les actions permettant de maîtriser ces risques. Comme plusieurs de ces actions consistaient en la recherche d’information, le programme d’étude a été construit en intégrant les risques issus des incertitudes initiales du projet, qu’ils soient de nature techniques ou non.

Parmi les résultats principaux de cet exercice, il a été possible de mettre en évidence le risque que représentent certaines situations de nature non-techniques pour un projet de société tel qu’un prolongement de métro. La multiplicité des parties prenantes et des points de vue sur ce type de dossier, la complexité du projet ainsi que l’importance de bien défendre la pertinence d’investissements aussi importants ont été quelques-uns des éléments ayant les criticités les plus élevées.

L’un des effets bénéfiques les plus remarquables de l’exercice a été de fédérer les différentes parties prenantes autour d’un projet commun et de susciter une participation constructive à l’exercice de formalisation transparente des critères permettant d’optimiser les projets de prolongement.

Conclusions

L’analyse des risques est un outil décisionnel puissant qui permet entre autres de :

  • Formaliser un processus décisionnel de façon transparente;
  • Prioriser les problématiques identfiées en les alignant sur les enjeux stratégiques et les sensibilités des différentes parties prenantes impliquées;
  • Défendre le processus décisionnel et son issue;
  • Défendre les budgets associés à un projet;
  • Assurer une répartition éclairée des risques et des compensations associées entre les différents partenaires d’un projet d’envergure;
  • Créer un programme d’étude visant en priorité les incertitudes potentiellement sources de risques élevés ou critiques.

Par ailleurs, l’analyse des risques favorise également :

  • La création de canaux de communications forts et efficaces entre les différents paliers décisionnels et entre les différentes compétences techniques;
  • La fédération des points de vue;
  • La prise de décision collégiale;
  • La capitalisation des connaissances techniques, stratégiques et décisionnelles;
  • Un gain en réduction du coût du risque pouvant être de plusieurs ordres de grandeurs supérieur au coût de l’analyse des risques sur les projets de grande envergure.

Avec de telles qualités, l’analyse des risques intégrée dans un processus continu de gestion est en train de devenir un élément incontournable des règles de gouvernance essentielles à tout grand projet d’infrastructure.

Note

1-Politique cadre sur la gouvernance des grands projets d’infrastructure publique. Secrétariat du Conseil du trésor, Gouvernement du Québec, Mars 2010.

Sur la toile

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