L’évaluation environnementale des routes avec le logiciel Écorce

Jeudi 21 mars 2013
Infrastructures de transport
Logiciel écorce
Marie-Hélène Tremblay
Ingénieure
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)
Agnès Jullien
Directrice de recherches
Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - IFSTTAR

En accord avec sa stratégie de développement durable, le ministère des Transports du Québec (MTQ) souhaite se doter d’un outil permettant de faire des choix éclairés en matière de conception environnementale des projets routiers. Depuis deux ans, des démarches ont été entreprises afin d’évaluer différents éco-comparateurs de routes basés sur l’analyse du cycle de vie (ACV). Cet article présente un résumé du logiciel Écorce (Éco-Comparateur Routes Construction et Entretien) (Ventura et coll. 2011), l’outil développé par l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR).

Analyse du cycle de vie dans le domaine routier

L’analyse du cycle de vie (ACV) est une méthodologie normalisée (ISO 14040) qui évalue les impacts environnementaux potentiels de toutes les activités associées à un produit ou à un service, de l’extraction des matières premières jusqu'à l’élimination des déchets en fin de vie (figure 1). Tous les flux de matière, d’eau et d’énergie de la chaîne d’approvisionnement sont comptabilisés et sont traduits en impacts sur l’environnement.

L’ACV est un processus itératif constitué des quatre phases suivantes (figure 2) :

  1. La définition des objectifs et du champ de l’étude. Elle consiste à définir l’ensemble des procédés qui sont inclus dans l’analyse ainsi que l’unité fonctionnelle, qui est la base comparative de l’ACV qui permet la comparaison de services rendus équivalents.
  2. L’inventaire du cycle de vie (ICV). Il vise à établir la liste des polluants émis dans l’air, l’eau et le sol, ainsi que de la matière et de l’énergie consommées.
  3. L’évaluation des impacts sur le cycle de vie (EICV). Elle se fait à l’aide de modèles mathématiques basés sur différents mécanismes environnementaux qui traduisent les polluants en impacts potentiels sur l’environnement.
  4. L’interprétation. Elle implique de mettre en relation les résultats avec les objectifs de l’étude et de faire les ajustements nécessaires aux étapes précédentes. Différentes analyses de sensibilité doivent être réalisées afin de relativiser les résultats obtenus.

Depuis une douzaine d’années, plusieurs études d’ACV dans le domaine routier ont été réalisées, souvent afin de comparer différents types de chaussées. La diversité des hypothèses et des méthodes utilisées dans les études répertoriées a conduit les spécialistes à élaborer des lignes directrices et des recommandations afin d’encadrer les ACV d’infrastructures routières (Harvey et coll. 2010; UCRPC 2010; OEET 2011). Le MTQ a fait l’expérience de l’ACV dans le cadre de l’élaboration de l’Orientation ministérielle sur le choix des types de chaussées (Kicak et Ménard 2012; MTQ 2012).

L’ACV a démontré son utilité pour quantifier les impacts potentiels d’un projet routier, mais la démarche longue et laborieuse doit être réalisée par un professionnel de l’ACV. Les éco-comparateurs de routes permettent aux praticiens du domaine routier, non initiés à l’ACV, de réaliser eux-mêmes des évaluations environnementales de leurs projets grâce à des entrées métiers adaptées à la profession routière.

Éco-comparateur de routes

Un logiciel éco-comparateur basé sur les principes de l’ACV est généralement constitué d’une entrée métier, d’une base de données environnementales et d’un module d’évaluation des impacts (figure 3).

Les paramètres d’entrée du logiciel sont de nature technique (dimensions de la chaussée, formule des matériaux, distances de transport, machinerie utilisée, etc.). À partir de ces informations, le logiciel procède au calcul des quantités pour chacun des procédés (granulats, bitume, ciment, enrobé, béton, diesel consommé pour le transport et lors des opérations de la machinerie, etc.).

La base de données environnementales est constituée des inventaires du cycle de vie (ICV) de chacun des procédés utilisés par le système. Ces ICV associés aux quantités calculées par le logiciel génèrent l’inventaire des flux environnementaux, c’est-à-dire la liste des polluants émis ainsi que l’énergie et la matière consommées pour le tronçon de route modélisé.

Ces flux environnementaux sont ensuite introduits dans le module d’évaluation des impacts, qui est constitué de modèles traduisant les polluants en impacts potentiels sur l’environnement.

Les résultats générés par les éco-comparateurs sont une série d’indicateurs d’impacts. Les indicateurs les plus souvent rapportés sont les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie, mais ils peuvent également couvrir des impacts sur la qualité de l’air et de l’eau, les écosystèmes, la santé humaine, etc.

Les choix méthodologiques relatifs à l’ACV (sources des données environnementales, modèles d’évaluation des impacts, procédés inclus dans les frontières des systèmes, etc.) sont prédéterminés par les concepteurs de l’outil. La qualité et la fiabilité des résultats générés dépendent grandement des choix qui ont été faits lors de l’élaboration de l’éco-comparateur.

Usages au MTQ

Le MTQ a récemment mis en place le plan de redressement du réseau routier et investit des sommes considérables afin d’en améliorer la qualité. En parallèle, il cherche à se doter d’un outil pour évaluer les impacts environnementaux de ses interventions.

À l’échelle d’un projet, un éco-comparateur permet de cibler les aspects ou les phases critiques d’un projet pour en améliorer la performance environnementale. Il peut aussi servir à comparer des variantes techniques équivalentes afin de sélectionner l’option ayant le moins d’impact sur l’environnement.

À une échelle plus globale, les gains environnementaux peuvent être valorisés dans les stratégies d’interventions et dans les orientations du Ministère, et ainsi améliorer le profil environnemental des activités du MTQ.

Évaluation de l’éco-comparateur Écorce

Il existe plusieurs outils d’évaluation environnementale et d’éco-comparateurs de routes qui ont été développés principalement en Europe et aux États-Unis (voir encadré page suivante). Quelques-uns sont résumés dans des revues de la documentation (Santero et coll. 2010; Carlson 2011; Gopalakrishnan 2011). Les outils se distinguent par leur domaine d’application (matériaux ou interventions ciblés), les étapes du cycle de vie considérées, le choix des indicateurs environnementaux rapportés (GES, énergie, autres), les bases de données utilisées et les modèles d’évaluation des impacts sélectionnés. Ces différentes caractéristiques doivent être considérées pour identifier l’éco-comparateur convenant le mieux au MTQ.

Phases du cycle de vie et diversité des indicateurs

Le logiciel Écorce permet de prendre en compte les principales étapes du cycle de vie d’une chaussée, incluant le terrassement, la construction, l’entretien et la déconstruction. Il est primordial pour le MTQ qu’un éco-comparateur puisse modéliser l’entretien et la déconstruction puisque ces étapes permettent de prendre en compte la durabilité des différentes options techniques et la fin de vie de la chaussée.

La diversité des impacts environnementaux potentiels calculés est importante pour éviter de déplacer systématiquement des impacts vers d’autres milieux. Les indicateurs d’Écorce offrent un portrait global en quantifiant plusieurs impacts environnementaux :

  • Gaz à effet de serre;
  • Consommation d’eau;
  • Consommation d’énergie;
  • Formation d’ozone troposphérique (smog);
  • Acidification;
  • Eutrophisation;
  • Toxicité humaine;
  • Écotoxicité.

Un inventaire des polluants et un bilan de la consommation de matériaux sont également calculés. Pour chaque indicateur, les résultats sont présentés sous forme graphique et sont détaillés par couche de matériaux, par année d’intervention et par procédé (figure 4).

Utilisation pratique du logiciel

L’interface du logiciel Écorce est conçue pour des praticiens du domaine routier. L’utilisateur doit préalablement faire la conception des tronçons de chaussée à analyser et prévoir les scénarios d’entretien pour la période d’analyse choisie. Il doit s’assurer de l’équivalence des solutions comparées en ce qui concerne les propriétés mécaniques et les critères de performance. Les données d’entrée doivent être fournies dans les unités usuelles du domaine routier :

  • dimensions des couches de la chaussée [longueur (km), largeur (m), épaisseur (mm)];
  • formules des matériaux (pourcentage massique des constituants, teneur en liant, densité, etc.);
  • distances de transport (km);
  • heures d’utilisation et consommation de diesel de la machinerie (litre/heure).

Ces informations doivent être fournies pour chaque couche de matériau et pour chaque intervention planifiée sur la période d’analyse.

Passage d’Écorce de la France au Québec : adapter les données

Les choix méthodologiques d’Écorce ont été guidés notamment par la volonté de l’IFSTTAR d’en faire un outil destiné à une utilisation française et diffusé gratuitement à grande échelle. Ainsi, les données environnementales ont été sélectionnées de façon à refléter le contexte français et européen. Elles proviennent de sources bibliographiques publiques et de mesures expérimentales réalisées par l’IFSTTAR.

Le passage de l’outil à l’international nécessite de se pencher sur d’autres sources de données qui seraient plus adaptées à d’autres régions.

La fiabilité d’une analyse dépend de la représentativité géographique, temporelle et technologique des données utilisées. La production d’électricité, un procédé inclus dans presque tous les systèmes, est un bon exemple de l’importance d’une bonne corrélation géographique. En France, l’électricité provient à 78 % de source nucléaire, au Québec d’hydro-électricité à 98 %, alors que d’autres régions utilisent davantage d’énergie issue de centrales thermiques au charbon. Les ICV de ces sources d’électricité sont très différents, influençant grandement les impacts environnementaux générés. Il importe donc de s’assurer que les données environnementales de l’électricité correspondent à la région où elle est produite.

Le MTQ aura la chance de bénéficier de données récentes et représentatives du contexte québécois. En 2011, le gouvernement du Québec a mandaté le CIRAIG (Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services) pour développer une base de données ICV québécoise (http:// www.ciraig.org/fr/bd-icv_qc.php) à laquelle les industries sont invitées à contribuer. Le CIRAIG recueille des données sur plusieurs procédés utiles à la construction routière (granulats, bitume, ciment, électricité, acier, etc.). À l’issue de ce projet, le MTQ disposera de données validées par des experts des inventaires du cycle de vie pour alimenter la base de données de la version québécoise d’un éco-comparateur.

L’expérience française sera fort utile pour améliorer la corrélation technologique des données. Des mesures ont été réalisées par l’IFSTTAR sur les émissions des centrales d’enrobage (Jullien et coll. 2010), des carrières de granulats (Jullien et coll. 2012) et de la machinerie lors de différents travaux de terrassement (Capony 2013). Ces études sont spécifiques aux technologies routières et elles permettront de bonifier les données en les adaptant davantage au domaine routier.

Évolution de l’outil : collaboration MTQ-IFSTTAR

Les technologies des chaussées et des matériaux sont en constante évolution, de même que la recherche en ACV qui demeure une science relativement jeune. Un outil tel qu’Écorce nécessite de poser des hypothèses qui reflètent l’état des connaissances de l’époque où il a été développé. L’outil est donc susceptible d’évoluer avec les avancées scientifiques et méthodologiques. La version Écorce 2.0 qui sera diffusée sous peu est déjà une version améliorée comparativement à la première version (Ventura et coll. 2011).

Un éco-comparateur doit permettre de hiérarchiser différentes options d’après leur performance environnementale, les résultats doivent donc être fiables et robustes. Un travail d’analyses de sensibilité a été entrepris par l’IFSTTAR et le MTQ afin de déterminer, parmi les choix méthodologiques et les paramètres d’Écorce, ceux pouvant avoir une influence sur le classement des solutions. Les conclusions de cette étude permettront de guider l’utilisateur d’Écorce dans l’interprétation des résultats et seront mises à profit pour l’élaboration des versions ultérieures de l’outil.

Le MTQ et l’IFSTTAR continuent de travailler conjointement à l’amélioration de l’outil, tant du point de vue méthodologique que du point de vue fonctionnel. Des phases cruciales telles que l’adaptation de la base de données environnementales et la réalisation d’un programme d’essai sont à prévoir avant la diffusion d’une version québécoise d’un éco-comparateur (figure 5).

Ultimement, ce travail conjoint sur l’évaluation des impacts environnementaux des routes permettra, en plus d’améliorer le bilan environnemental des projets routiers, de partager les technologies et les techniques d’interventions routières les plus écologiques en tenant compte du contexte de chaque organisation routière.

Pour en savoir plus sur quelques éco-comparateurs de routes

AsPECT : Asphalt Pavement Embodied Carbon Tool

Angleterre. Logiciel estimateur de CO2 pour les enrobés. Gratuit et accessible sur internet

http://www.sustainabilityofhighways.org.uk/Index.aspx

PaLATE : Pavement Life-cycle Assessment Tool for Environmental and Economic Effects

États-Unis. Fichier Excel gratuit accessible sur internet. Évaluation environnementale et économique. Unités impériales.

http://www.ce.berkeley.edu/~horvath/palate.html

SEVE : Système d’Évaluation de Variantes Environnementales

France. Éco-comparateur de l’USIRF (Union syndicale de l’Industrie Routière Française). Résultat de l’union des logiciels Gaïa B.E., Écologiciel, et Calculette CO2.

http://www.usirf.com/site/La-route-et-le-Grenelle/Eco-comparateur-SEVE

Références

Capony, A. (2013) Évaluation environnementale d’un chantier de terrassement – Mise au point d’un outil paramétrable de mesures d’émissions relatives aux engins de terrassement. Thèse de doctorat soutenue le 10 janvier 2013, Nantes, France.

Carlson, A. (2011) Life cycle assessment of roads and pavements – Studies made in Europe, VTI rapport 736A, Suède, 22 pages.

Gopalakrishnan, K. (2011) Sustainable Highways, Pavements and Materials : An Introduction, First Edition, publié par Transdependenz LLC, États-Unis, 221 pages.

Harvey, J., Kendall, A., Lee, I.-S., Santero, N., Van Dam, T. J. & Wang, T. (2010) UCPRC Pavement LCA guideline, Pavement Life Cycle Assessment Workshop, 5-10 mai 2010, University of California Pavement Research Center, Davis - Berkeley, Prepared by the Pavement LCA Group at UCPRC, Davis, Californie, États-Unis, 27 pages.

ISO 14040 (2006) Management environnemental – Analyse du cycle de vie – Principes et cadre, International Standardization Organization (ISO), Suisse, 23 p.

Jullien, A., Gaudefroy, V., Ventura, A., de la Roche, C., Paranhos, R. & Monéron, P. (2010) Airborne Emissions Assessment of Hot Asphalt Mixing, Road Materials and Pavement Design, Vol. 11, N° 1, p. 149-169.

Jullien, A., Proust, C., Martaud, T., Rayssac, E. & Ropert, C. (2012) Variability in the environmental impacts of aggregate production, Resources, Conservation and Recycling, Vol. 62, p. 1-13.

Kicak, K. & Ménard, J.-F. (2012) Analyse comparative du cycle de vie des chaussées en béton de ciment et en béton bitumineux à des fins d’intégration de paramètres énergétiques et environnementaux au choix des types de chaussées, CIRAIG, École Polytechnique de Montréal, préparé pour le ministère des Transports du Québec, Collection études et recherches en transport, Montréal, Canada, 200 pages.

MTQ (2012) Orientation ministérielle sur le choix des types de chaussées 2010-2015, Ministère des transports du Québec, 30 pages.

OEET (2011) Évaluation énergie – environnement des infrastructures de transport. Méthodologie version V1, Observatoire Énergie, Environnement des Transports, France, 79 pages.

Santero, N., Masanet, E. & Horvath, A. (2010) Life cycle assessment of pavements : A critical review of existing litterature and research, SN3119a, Portland Cement Association, Skokie, Illinois, États-Unis, 81 pages.

UCRPC (2010) Pavement Life Cycle Assessment Workshop, University of California Pavement Research Center, Davis - Berkeley, [en ligne] http://www. ucprc.ucdavis.edu/p-lca/index.html, page consultée le 16 janvier 2013.

Ventura, A., Dauvergne, M., Tamagny, P., Jullien, A., Feeser, A., Goyer, S., Coin, V., Beaudelot, L., Odeon, H. & Odie, L. (2011) L’outil logiciel ÉCORCE –- Cadre méthodologique et contexte scientifique – Éco-Comparateur Routes Construction et Entretien, Études et recherches des laboratoires des ponts et chaussées, IFSTTAR, France, 159 pages.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr