Pour une utilisation plus judicieuse de l’automobile

Vendredi 21 mars 2014
Technologie, Mobilité durable
Utilisation plus judicieuse de l'automobile

Introduction

Réduire la dépendance à l’automobile est une composante-clé de plusieurs plans et stratégies actuels. Par exemple, le Plan de transport de la Ville de Montréal propose de « …réduire la dépendance à l’automobile […], remettre en question l’hégémonie de l’automobile […] et favoriser les usages collectifs de l’automobile ». Dans ce contexte, il semble nécessaire de s’interroger sur l’utilisation actuelle de l’automobile et de réfléchir à des modalités qui permettraient d’en faire une utilisation plus judicieuse. Cet article propose une analyse ciblée sur la mobilité des automobiles afin de comprendre leur utilisation actuelle, d’estimer des indicateurs permettant d’évaluer les performances de cette utilisation et d’évaluer les impacts d’une mutualisation complète des automobiles, scénario irréaliste, mais dont les résultats contribuent assurément à soulever des doutes quant au statu quo.

Cet article propose donc une analyse en deux temps. D'une part, l’étude de l’utilisation actuelle des automobiles possédées par les résidents de la grande région de Montréal à l’aide des données provenant de l’enquête Origine-Destination 2008. D'autre part, la simulation d’une mutualisation complète des automobiles de la région en vue d’évaluer le nombre d’automobiles « collectives » requises pour assurer la mobilité des conducteurs, dans l’hypothèse où les comportements ne changent pas.

Constats sur l’utilisation actuelle des automobiles privées

Les enquêtes Origine-Destination (OD) réalisées cycliquement dans certaines régions du Québec, dont Montréal, fournissent des informations très pertinentes sur la mobilité quotidienne typique des résidents d’un territoire. En plus de recueillir les circonstances spatio-temporelles de tous les déplacements effectués par les membres d’un ménage lors d’un jour de semaine d’automne, elles recueillent différentes données, notamment la motorisation des ménages. Il est donc possible d’estimer le nombre d’automobiles privées détenues par les résidents ainsi que de suivre, dans le temps et l’espace, leur utilisation quotidienne par le biais des déplacements faits par les conducteurs. L’enquête OD montréalaise de 2008 permet d’estimer à 2 113 millions le nombre d’automobiles possédées par les résidents. Puisque l’enquête ne permet pas de savoir quelle automobile du ménage est utilisée pour faire chaque déplacement des conducteurs déclarés, dans le cas où un ménage possède plus d’une automobile, nous définissions le concept d’automobile- équivalente qui permet d’estimer le nombre d’automobiles différentes requises pour assurer la mobilité des conducteurs de chaque ménage. Globalement, nous estimons à plus de 570 000 les automobiles-équivalentes qui ne seraient pas requises quotidiennement pour assurer la mobilité des conducteurs des ménages lors d’un jour moyen de semaine, soit 27 % des automobiles de la région. Cette proportion est plus importante dans les régions centrales, conformément à une utilisation plus importante des modes de transport alternatifs à l’automobile. Aussi, le nombre d’automobiles possédées est supérieur au nombre d’automobiles requises pour assurer la mobilité des conducteurs pour 25 % des ménages du territoire. La figure 1 présente le nombre et le pourcentage d’automobiles- équivalentes non utilisées pour huit grandes régions du territoire montréalais.

Les simulations réalisées afin d’estimer l’utilisation de ces automobiles-équivalentes se traduisent par ailleurs par différents indicateurs d’utilisation de ces véhicules, notamment le temps passé au domicile, en déplacement et hors domicile. Comme seules les heures de départ sont déclarées dans les enquêtes OD, les temps de déplacement ont été estimés à l’aide d’un modèle d’affectation selon le plus court chemin avec correction de temps de déplacement sur les tronçons pour mieux refléter les conditions usuelles de déplacement ainsi que l’ajout de pénalités lors de changement de route. Ces temps corrigés sont estimés à partir de données de vitesse extraites de données GPS provenant des véhicules de Communauto. Sur plus de 165 000 paires OD simulées, 98 % de celles-ci ont des temps corrigés par cette procédure.

Le tableau ci-dessus présente les faits saillants de ces estimations, pour les mêmes grandes régions. En moyenne, une automobile passera 67 % de son temps garée au domicile, 28 % de son temps stationnée dans un autre lieu et un peu plus de 5 % de son temps en déplacement, et ces statistiques ne varient que très peu selon les régions. Le kilométrage parcouru quotidiennement est supérieur pour les automobiles des couronnes, mais les vitesses moyennes aussi, conséquence de la présence plus importante du réseau autoroutier et du gradient plausible de congestion qui s’accroît à l’approche des ponts permettant l’accès à l’île de Montréal. La question semble donc légitime, tant d’un point de vue individuel que collectif : est-il possible d’imaginer une utilisation plus judicieuse de ces objets (et de l’espace qu’ils occupent)?

Et si on donnait nos automobiles à la collectivité?

Pour évaluer les gains possibles d’efficacité de l’utilisation des automobiles, des simulations ont été faites en supposant une mutualisation complète des automobiles, c’est-à-dire que tout conducteur peut utiliser toute automobile disponible à proximité. Les simulations s’appuient sur un découpage du territoire en cellules de 500 m (distance maximale d’accès de 707 m) et 250 m (distance maximale d’accès de 354 m) respectivement et une automobile sera considérée comme disponible pour un conducteur dans la mesure où celle-ci est localisée dans la même zone que son point de départ. Les déplacements faits en automobile comme conducteur (disponibles dans l’enquête OD 2008) sont lus en séquence et les automobiles sont générées dans les cellules afin de répondre aux besoins de déplacement observés. La figure 2 présente le résultat des simulations en matière de nombre d’automobiles requises pour assurer la mobilité des conducteurs ainsi que leur génération pendant la journée. À 9 h, 70 % des automobiles requises ont déjà été générées pour le scénario 500 m et 67 % pour le scénario 250 m, confirmant la grande concentration spatio-temporelle de la demande de déplacement automobile des conducteurs en période de pointe du matin. Les simulations révèlent que 1,253 million d’automobiles permettraient d’assurer la mobilité actuelle des conducteurs, si elles étaient mutualisées (cellules de 250 m), ce qui correspond à 59,3 % des automobiles possédées et 81,2 % des automobiles-équivalentes utilisées, voire moins si ces derniers acceptaient de marcher un peu plus, soit 1 016 000 automobiles collectives (cellules de 500 m), ce qui correspond à 48,1 % des automobiles possédées et 65,9 % des automobiles- équivalentes utilisées. Ainsi, comme le montre la figure 3, cela se compare avantageusement à la possession automobile des ménages (qui correspond à 2,113 millions d’automobiles) ainsi qu’au nombre d’automobiles-équivalentes requises pour assurer la mobilité des conducteurs (1,542 million d’automobiles-équivalentes). Conséquemment, ces automobiles collectives auraient aussi un meilleur bilan d’utilisation.

Conclusion

Il semble évident aujourd'hui que l’automobile n’est plus perçue comme une solution exclusive aux problèmes de transport. Elle n’est néanmoins pas appelée à disparaître complètement. En faire une utilisation plus judicieuse afin d’en réduire les impacts négatifs tout en nous assurant qu’elle demeure accessible pour plusieurs individus, afin d’assurer certains besoins de mobilité, semble raisonnable. D’ailleurs, ce mouvement ancré autour de l’économie du partage est bien en route avec une multiplication des systèmes de vélopartage et d’autopartage à travers le monde. Montréal est bien placée pour le savoir, avec une offre croissante de véhicules partagés grâce au service offert par Communauto et au système de vélopartage Bixi qui, depuis 2009, contribue à diversifier l’offre de transport alternatif avec ses vélos en libre-service. L’automobile comme mode de transport n’a pas nécessairement besoin d’être possédée individuellement. Réduire le nombre de véhicules dans la métropole a des bénéfices certains, ne serait-ce que concernant les besoins en espaces de stationnement, et cela sans compter l’allègement du fardeau économique pour les familles.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les partenaires de la Chaire Mobilité de leur collaboration ainsi que les membres du comité technique des enquêtes Origine-Destination qui permettent l’accès aux données à des fins de recherche.

Sur la toile

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https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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