La voiture automatisée : perspectives

Vendredi 21 mars 2014
Technologie
Darpa Urban Challenge pour les véhicules automatisés
Marc-André Bélanger
Conseiller en sécurité routière
Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ)

L’intensification du transport par véhicule automobile depuis la fin du XXe siècle a eu des effets collatéraux qui ne pouvaient pas être anticipés. Selon une étude des Nations Unies publiée en 2004, on estime à 1,2 million le nombre de personnes qui décèdent à la suite d’un accident et à 20-50 millions le nombre de personnes blessées1 chaque année sur les routes. Les statistiques tendent à démontrer que la majorité de ces accidents est attribuable au facteur humain.

Dans les grandes villes et métropoles, la densification de la circulation engendre davantage de congestion2 et entraîne plusieurs conséquences (perte de temps, gaspillage de carburant3, etc.) compte tenu du fait que les infrastructures routières sont parfois mal adaptées. Conséquemment, cette densification a aussi des effets sur l’environnement. Entre 1990 et 2011, environ 28 % des émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis provenaient du transport sous toutes ses formes4. Pour contrer ces effets, des compagnies et des fabricants automobiles créent des véhicules plus actifs sur le plan de la conduite et de la sécurité, en offrant de l’assistance routière au conducteur, des fonctions de conduite automatisée, voire une conduite complètement autonome5.

Les perspectives de la voiture automatisée

En commercialisant la voiture automatisée, les constructeurs espèrent diminuer les effets du facteur humain sur la conduite pour réduire de façon considérable, croit-on, le nombre d’accidents et, conséquemment, le nombre de blessés et de morts sur les routes. Grâce à des fonctions de sécurité active, les nouveaux véhicules pourront réagir et empêcher ainsi un accident qui aurait pu être causé par un conducteur distrait ou endormi. La voiture automatisée devrait aussi offrir une conduite plus efficace et efficiente. D'après une étude menée à l’université Columbia, l’efficacité de la circulation sur le réseau routier6 pourrait s’améliorer jusqu’à un maximum de 273 % grâce à la technologie utilisée dans les véhicules intelligents. Ces véhicules aideront également à diminuer les émissions de gaz à effet de serre résultant de la congestion, des embouteillages et du transport en général tout en modifiant potentiellement les habitudes d’utilisation de ce mode de transport (péage à l’utilisation, copropriété, etc.). À plus long terme, le passage de la conduite automatisée à la conduite autonome permettrait ultimement au conducteur de se dégager de la conduite pour vaquer à d’autres activités de son choix.

Malgré les multiples démonstrations de cette technologie faites par les fabricants dans des situations réelles de conduite et tous ses aspects bénéfiques, il reste encore plusieurs obstacles à étudier, ce qui nous amène à faire le point sur l’arrivée des voitures automatisées.

La technologie : détection de l’environnement et communication

La technologie développée et utilisée pour les systèmes de conduite automatisée est relativement diversifiée et peut être présentée en deux catégories : la détection de l’environnement et la communication.

La technologie utilisée pour la détection de l’environnement sert à repérer les éléments (voitures, humains, signalisation, etc.) avec lesquels interagit un véhicule sur la route. Elle prend principalement la forme de capteurs, de caméras, de radars ou de modules GPS qui sont intégrés au véhicule ou installés sur celui-ci. L’utilisation de ces techniques n’est pas uniforme et chaque entreprise les adapte selon ses besoins. Par exemple, Google utilise la télédétection par laser LIDAR (monture composée de 64 lasers tournant sur 360°) en plus de recourir à une caméra, tandis que Nissan utilise des caméras et des lasers fixés autour du véhicule.

La fiabilité des technologies de détection va en augmentant, mais ces technologies ne permettent pas de reproduire la conduite humaine dans la totalité des situations, sans compter qu’elles peuvent être dispendieuses. C’est pour ces raisons que des systèmes de communication se développent parallèlement. Ces systèmes sont connus sous l’expression V2X qui signifie « la communication entre une voiture (V) et un autre objet (X) ».

Pour l’instant, les communications spécialisées à courte portée (CSCP) (Dedicated Short-Range Communications) sont le moyen de communication sans fil principalement exploré. Elles permettent de transférer de l’information d’un véhicule à un autre (V2V) sur de courtes distances (présence d’une autre voiture, vitesse de celle-ci, etc.). Des technologies visant la communication entre un véhicule et l’infrastructure routière (V2I) sont à l’essai, mais leur déploiement implique également des coûts élevés. Selon certains experts, les technologies V2X doivent être combinées à la technologie de détection de l’environnement afin d’assurer une conduite plus sécuritaire.

La National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) étudie actuellement les CSCP et devrait rendre une décision en 2014 quant à leur utilisation. Toyota, parmi d’autres compagnies, effectue également des essais sur cette technologie au Higashi-Fuji Technical Centre, qui possède un espace reproduisant un environnement de conduite réel.

La commercialisation des véhicules automatisés

Lorsque nous parlons de véhicules autonomes, et surtout de leur commercialisation au cours des prochaines années, il importe d’apporter certaines précisions quant à la capacité d’autonomie. Ainsi, le NHTSA a proposé un classement des niveaux d’automatisation allant de 0 à 4.

Niveau 0 – Aucune automatisation
Niveau 1 – Fonctions automatisées spécifiques
Niveau 2 – Fonctions automatisées combinées
Niveau 3 – Conduite automatisée partielle
Niveau 4 – Conduite automatisée complète

Ce classement permet de mieux comprendre la technologie qui est offerte et sa progression au cours des prochaines années. Pour l’instant, les compagnies offrent des véhicules de niveau 0 avec systèmes d’avertissement et des véhicules de niveau 1 avec quelques fonctions automatisées (régulateur de vitesse et d’espacement, système de suivi de voie). La prochaine étape est le niveau 2, avec des combinaisons de fonctions automatisées simultanées (système d’assistance dans les embouteillages). Pour certaines compagnies, le troisième niveau (conduite partiellement autonome) est visé pour les années 2020. Le niveau 4, c’est-à-dire une voiture complètement autonome, comporte encore plusieurs défis technologiques.

Même si la majorité des fabricants a annoncé travailler sur des technologies de conduite automatisée, le niveau d’automatisation visé dépend de chaque compagnie : elles n’ont pas toutes la même opinion quant au déploiement de cette technologie. Par exemple, l’équipe de Google a annoncé qu’elle prévoit commercialiser un véhicule de niveau 3 un peu avant 2020. Actuellement, le véhicule de Google a parcouru quelques centaines de milliers de kilomètres et l’équipe cherche à minimiser l’intervention du conducteur en rendant son véhicule le plus autonome possible. D'autres compagnies, comme Toyota, croient plutôt qu’un humain doit être au centre de la conduite et que le véhicule doit faciliter le travail du conducteur en offrant des fonctions de conduite automatisée plutôt qu’en assumant le contrôle de la conduite. Ces compagnies se concentrent davantage sur la commercialisation de véhicules de niveau 2.

Préparer l’arrivée des véhicules automatisés

Les enjeux entourant les véhicules intelligents sont multiples. Cette technologie risque de transformer significativement l’industrie automobile ainsi que les produits offerts aux consommateurs. Les autorités publiques devront également réévaluer l’encadrement législatif de la conduite automobile. Cela risque de soulever plusieurs questions et il faudra aborder les divers problèmes engendrés par le déploiement de cette technologie, tels que les considérations juridiques, la sécurité des véhicules automatisés et la distraction lors de la conduite automatisée. Le partage de la route devra aussi être pris en considération pour accommoder les utilisateurs de ces véhicules automatisés qui circuleront parmi des véhicules qui ne seront pas munis de cette technologie, des cyclistes et des piétons. Par exemple, les infrastructures routières pourraient être optimisées pour la conduite automatisée en offrant des voies réservées aux véhicules intelligents. Il reste donc plusieurs étapes à franchir avant que ces véhicules puissent circuler sur les voies publiques.

Déjà, certaines administrations publiques ont entrepris des démarches pour aider au développement de ce type de véhicules. Aux États-Unis, quelques États ont adopté des lois à l’égard des véhicules automatisés et autonomes, notamment la Californie, le Nevada et la Floride. En général, la législation porte principalement sur les essais routiers des fabricants. Certaines compagnies comme Mercedes-Benz et Google profitent de ces législations pour effectuer des essais routiers. Le gouvernement de l’Ontario a également annoncé au mois de décembre 2013 une période de consultation sur un projet pilote pour faire l’essai de véhicules autonomes. Au Japon, les autorités publiques ont immatriculé le premier véhicule doté de capacités de conduite autonome en novembre 2013. Le véhicule immatriculé est une Leaf électrique de Nissan.

D'autres gouvernements se sont impliqués davantage. En Angleterre, un projet mis en place dans la ville de Milton Keynes, et chapeauté par le Department for Business, Innovation and Skills, vise à mettre en circulation une vingtaine de navettes automatisées opérées par un conducteur d’ici 2015 et une centaine de navettes entièrement automatisées d’ici 2017. En Suède, les autorités publiques et le groupe Volvo se sont entendus pour mettre en place le premier essai routier à grande échelle pour les véhicules autonomes. Le projet Drive Me se déroulera dans la ville de Göteborg et mettra une centaine de véhicules autonomes en circulation sur la route d’ici 2017.

Plusieurs comités et groupes de travail ont aussi vu le jour afin de travailler sur l’arrivée des véhicules automatisés, et, dans un avenir plus éloigné, celle des véhicules autonomes. Par exemple, l’American Association of Motor Vehicle Administrators a mis sur pied un groupe de travail sur les véhicules automatisés et autonomes auquel participe la Société de l’assurance automobile du Québec. L’objectif de ce groupe de travail est de traiter des divers problèmes associés au déploiement de cette technologie, tels que les considérations juridiques, la sécurité des véhicules automatisés et la distraction pendant la conduite automatisée. Le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé (CCATM) a aussi annoncé la mise sur pied d’un groupe de travail pour suivre les développements sur ces véhicules. Éventuellement, d’autres partenariats nationaux et provinciaux pourraient prendre forme et la participation du secteur privé ainsi que de diverses instances gouvernementales sera sollicitée afin de préparer et d’accompagner l’émergence des véhicules automatisés au Canada.

1- PEDEN, M. et collab., Rapport mondial sur la prévention des traumatismes dus aux accidents de la circulation, Organisation mondiale de la santé, 2004.
2- Le site de TomTom offre des données intéressantes à cet égard, comme un indice de congestion calculé pour plusieurs pays à des fins de comparaison.
[http://www.tomtom.com/fr_ca/trafficindex/].
3- Le MIT Media Lab estime que 40 % de la consommation de carburant par des véhicules dans les grands centres urbains se produit lors de la recherche de
stationnement. Source : Self-driving cars : The next revolution, KPMG, Centre for automotive research, 2012, p. 7
4- [http://www.epa.gov/climatechange/ghgemissions/usinventoryreport.html].
5- Les niveaux de conduite sont distingués plus loin.
6- [http://www.smartplanet.com/blog/cities/the-highway-of-the-future-is-273-more-efficient/5166].

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr