Pourquoi l’industrie de la transformation de l’aluminium s’intéresse-t-elle au secteur des ponts et des passerelles?
L’utilisation de l’aluminium dans les ponts et les passerelles en Amérique du Nord et en Europe remonte à plusieurs années. En 2013, l’Association de l’aluminium du Canada (AAC) a financé une étude intitulée Possibilités d’utilisation de l’aluminium dans la construction de ponts routiers et de viaducs1. Cette étude fait, notamment, un inventaire des ponts en aluminium en Amérique du Nord et en Europe. L’étude a répertorié 16 ponts construits avec de multiples matériaux incluant l’aluminium; ces ponts de différents types et alliages ont été construits de 1933 à 1978.
Ce qui a changé la donne pour l’aluminium dans les ponts, ce sont les avancées technologiques quant aux alliages et aux techniques d’assemblage de l’aluminium. L’utilisation de la technique de soudure par friction-malaxage (SFM) a eu un effet majeur sur les coûts et la quantité de matériaux requis pour la construction d’un platelage d’aluminium; YouTube offre plusieurs vidéos sur la SFM de l’aluminium (en anglais « friction stir welding » ou FSW).
Voici les principaux avantages concurrentiels de l’aluminium : son faible poids en comparaison des matériaux utilisés historiquement dans le domaine des ouvrages d’art, sa grande flexibilité, notamment grâce à son « extrudabilité », son faible besoin d’entretien, sa résistance à la corrosion, sa recyclabilité et son coût avantageux sur la durée de vie de l’ouvrage d’art (coût total de possession).
En 2012, l’AAC a confié aux firmes MAADI Group et Deloitte le mandat de réaliser une étude comparative du coût total de possession d’une passerelle en acier ainsi que d’une passerelle en aluminium sur une durée de vie de cinquante ans. Quatre catégories de coûts furent prises en compte : l’acquisition, l’installation, l’entretien et l’exploitation, et l’élimination. Les matériaux peuvent avoir un coût d’acquisition plus élevé, mais les coûts d’entretien et d’exploitation d’une structure doivent être pris en compte pour juger de la valeur d’un investissement. L’analyse, menée dans des milieux urbain et maritime, a démontré que l’aluminium devait être pris en considération dans les appels d’offres et qu’afin de favoriser l’innovation et les nouveaux matériaux, les donneurs d’ordre devaient adopter une approche de devis de performance tout en recourant à l’analyse du coût total de possession.
On peut ajouter aux nombreux avantages du matériau que l’aluminium produit au Québec est parmi ceux ayant la plus faible empreinte carbone au monde (figure 1).
Une étude réalisée par le CIRAIG (Centre internationale de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services) pour le compte du ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations du Québec, en novembre 2015, révèle que l’avantage carbone de l’aluminium québécois est très important : les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées lors d’une production d’aluminium primaire au Québec sont de 67 à 76 % inférieures à celles émises lors d’une même production au Moyen-Orient ou en Chine, et 19 % inférieures lorsque la comparaison se fait avec la Russie.
La réduction des GES est un facteur important et qui tend à devenir décisionnel, compte tenu des engagements pris par nos gouvernements dans le cadre de la COP21. Le gouvernement du Québec s’est donné comme objectif de réduire de 37 %, d’ici 2030, les émissions de GES sur la base de 1990, ce qui nécessitera un choix judicieux de matériau dans tous les secteurs manufacturiers, y compris celui des infrastructures.
Le secteur de l’automobile s’active déjà en réduisant le poids par l’utilisation massive de l’aluminium. Le poids du tout nouveau Ford F-150 2015, l’un des véhicules utilitaires les plus vendus au monde, a été réduit de plus de 300 kg grâce à l’aluminium (figure 2), ce qui contribuera à réduire sa consommation tout en augmentant sa capacité de chargement. La nouvelle norme de consommation de carburant des États-Unis, CAFE pour « Corporate Average Fuel Economy », forcera les manufacturiers d’automobiles et de camions à réduire la consommation moyenne de leurs modèles de véhicules selon un horizon restrictif.
L’aluminium ne peut tout faire, mais il a sa place dans le mixte de matériau. Il peut facilement se combiner à l’acier, au béton et au bois : le bon matériau au bon endroit, comme on dit! Un platelage d’aluminium sur un pont dont la charpente est en acier ou en béton changerait la donne, qu’il s’agisse d’un pont neuf ou à réhabiliter. Un platelage d’aluminium étant beaucoup plus léger qu’un platelage de béton ou d’acier, c’est toute la conception du pont qui en sera influencée. Dans un cas de réhabilitation du tablier, celui-ci pourrait être élargi pour ajouter une piste cyclable, par exemple, comme sur le pont Maarsen aux Pays-Bas (figures 3-4-5).
Le recours à l’aluminium dans des projets de construction accélérée de ponts et de passerelles, ABC pour « Accelerated Bridge Construction », est un choix judicieux. C’est ce qu’a démontré une étude comparative réalisée pour le compte du Département des transports de Floride, qui visait à sélectionner le meilleur matériau de remplacement pour les tabliers de ponts mobiles en caillebotis d’acier2. Il s’agit, en Floride seulement, d’un marché potentiel de plus de 200 ponts à réhabiliter.
Dans le cadre d’une mission technico-commerciale à Tampa en Floride au mois d’octobre 2015, on a pu constater l’avancement des travaux, où un consortium dirigé par la firme AlumaBridge participe à un projet pilote visant à tester des sections d’aluminium sur un pont mobile en exploitation (figure 6). Ces sections seront installées sur le pont de Fort Pierce en Floride en 2016. Nous vous invitons à consulter le rapport de cette mission technico-commerciale sur le site Web de l’AAC : www.aluminium.ca/fr/communications/publications.
En décembre 2014 et en février 2015, dans le cadre de missions préparatoires en Suède, aux Pays-Bas et en Floride, nous avions pris connaissance des avancées technologiques concernant l’utilisation de l’aluminium dans la conception des ponts. En Suède, plus de 70 ponts ont un platelage d’aluminium selon un concept développé par la compagnie SAPA.
Aux Pays-Bas, c’est la compagnie Bayards qui a le haut du pavé. Elle a à ce jour construit plus d’une vingtaine de ponts, dont le platelage et parfois le pont au complet sont en aluminium (figure 7). Les rapports de ces missions sont également disponibles sur le site Web de l’AAC.
Comme il y a beaucoup de ponts qui traversent des canaux d’eau salée, la tendance qui semble s’installer est le remplacement des vieux platelages de béton et d’acier par des platelages d’aluminium beaucoup plus légers et sans entretien. On constate aussi que des ponts sont modernisés ou réhabilités comme ce pont de Maarsen, qui traverse le Amsterdam-Rhine-Canal, le plus grand canal des Pays-Bas, et auquel on a ajouté une passerelle en aluminium de trois voies en porte-à-faux : deux voies cyclables et une voie piétonne (figures 3 à 5).
Comme l’a clairement démontré une étude de marché sur l’utilisation de l’aluminium dans les ponts3, une grande proportion des ponts de l’Est du Canada et du Nord-Est des États-Unis, construits après la Deuxième Guerre mondiale, arrivent à la fin de leur vie utile. Le tableau 1 présente le potentiel des ponts devant être remplacés ou réhabilités dans le marché couvert par l’étude.
Il existe donc un vaste marché cible de production d’aluminium dans le domaine des ouvrages d’art. Des groupes de discussion mis en place en 2011, pour le compte de l’AAC, ont démontré que les ingénieurs, les architectes et les donneurs d’ordre n’avaient qu’une faible connaissance de la transformation de l’aluminium et de son potentiel. Qu’à cela ne tienne, l’industrie a contribué au financement de la mise à jour de normes (CSA 157 pour les charpentes d’aluminium, CSA S606 – code canadien sur le calcul des ponts routiers), le développement de contenu et la diffusion de formations en collaboration avec le Réseau des ingénieurs du Québec et la Société canadienne de génie civil.
Au Canada, l’industrie de l’aluminium et l’Association canadienne de normalisation (CSA) ont récemment reconnu que les spécifications et les recommandations pour le dimensionnement de ponts en aluminium devaient être regroupées dans une seule norme. Cette volonté a abouti à la formation d’un comité technique qui a concentré l’ensemble de son travail sur le nouveau chapitre 17 pour les « Structures en aluminium », qui a été publié à l’automne 2011. Une mise à jour est prévue pour 2019.
Le secteur québécois de l’aluminium s’active à combattre les obstacles à l’accroissement de la demande de transformation de l’aluminium au Québec et à la création de richesse qui en découlerait. Ces objections découlent pour la plupart de la méconnaissance, par nos professionnels, de l’évolution technologique récente entourant l’aluminium ou du manque de formation.
L’importance du nombre de ponts à réhabiliter ou à remplacer a conduit plusieurs ministères et départements de transport, au Canada et aux États-Unis, à considérer de nouvelles avenues quant au choix des matériaux. C’est comme ça que les avancées de l’aluminium ont amené le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports du Québec à réaliser un projet pilote sur un pont de courte portée situé au Saguenay : le pont de Saint-Ambroise. Le projet a été livré à la fin de l’été 2015. Le Ministère y a installé un platelage d’aluminium sur poutres d’acier galvanisé en remplacement d’un platelage de bois. Les figures 8 et 9 montrent le produit final et une image détaillée des extrusions utilisées soudées pas FSW et leur revêtement Bimagrip.
Le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports envisage de poursuivre son programme pilote. D’autres ponts feront l’objet de réhabilitation, en y intégrant des solutions technologiques liées à l’aluminium.
En 2015, le Québec s’est doté de la Stratégie québécoise de développement de l’aluminium (SQDA) : www.economie.gouv.qc.ca/aluminium. Ce plan stratégique 2015-2025 a déjà été doté d’une enveloppe de 32,5 M $ pour ses trois premières années de vie. La stratégie se résume en trois axes :
- Mettre en place un environnement favorable à la transformation de l’aluminium
- Renforcer l’ensemble de la filière québécoise
- Assurer la compétitivité des entreprises de l’industrie
Par l’entremise de ces trois axes, plusieurs acteurs seront interpellés directement, dont AluQuébec, la grappe industrielle de l’aluminium du Québec : www.aluquebec.com, mais également le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports, à qui il a été attribué une enveloppe de 4,6 M $ consacrée à « l’utilisation de l’aluminium dans les infrastructures du Ministère ».
L’aluminium québécois est un matériau vert et durable, produit à l’aide de l’hydroélectricité. La grande industrie de l’aluminium vise à en augmenter considérablement la transformation ici au Québec, en vue d’en faire un important vecteur de création de richesse. Le marché des ponts est très prometteur, non seulement pour satisfaire une demande locale, mais aussi le vaste marché d’exportation qui s’offre à nous. Le défi est de saisir cette occasion et d’en faire un important levier de développement économique pour le Québec.
Figures et Tableau :
Figure 1. Avantage carbone de l’aluminium québécois. Source : economie.gouv.qc.ca (novembre 2015).
Références :
- Possibilités d’utilisation de l’aluminium dans la construction de ponts routiers et de viaducs, MAADI Group et Université de Waterloo, pour le compte de l’AAC, 2013.
- Alternatives to Steel Grid Bridge Decks, Muhammad A. Saleem, Florida International University, 2011.
- Market Study for Aluminum Use in Roadway Bridges, Viami International et TSG Group, pour le compte de l’AAC et du Mininistère de l’Économie du Québec, mai 2013.