Mobilité 2.0 : Reconcevoir la mobilité urbaine et ses préceptes - Quelques réflexions suite au colloque «La mobilité au XXIe siècle»

Vendredi 21 mars 2014
Mobilité durable, Mobilité durable, Mobilité durable, Mobilité durable
Mobilité urbaine
Catherine Morency
Professeure titulaire
Polytechnique Montréal - professionnels

Je tiens à souligner que ce texte ne reflète pas nécessairement la position et la compréhension du comité organisateur.

Contexte

En septembre 2013, les Tables d’expertise Mobilité durable et Transport collectif de l’AQTr ont convié les principaux représentants des modes de transport urbain à une réflexion sur la mobilité au 21e siècle. Ce colloque s’est articulé autour d’une table ronde rassemblant neuf intervenants représentant différents modes de transport ainsi que de présentations sur des éléments qui pourraient affecter la mobilité de l’avenir. Les attentes du comité organisateur étaient élevées : assurer une proximité d’échange entre différents intervenants opérationnels des modes de transport afin d’identifier le rôle actuel de ceux-ci, mais surtout développer une compréhension intégrée du rôle que chaque mode de transport devrait jouer en vue d’améliorer le bilan global de durabilité de la mobilité urbaine. Soumis à des questions dictant des redites, des évidences ou des extrapolations, ces représentants ont semblé confirmer que plusieurs choses échappent encore à notre compréhension, que plusieurs barrières sont hors de la portée des opérateurs et techniciens des systèmes de transport et qu’il faut innover dans la façon de concevoir l’organisation intégrée de la mobilité urbaine.

Cet article s’inscrit en continuité du résumé proposé dans la précédente revue Routes & Transports et propose quelques constats émergeant des discussions (rôle actuel et potentiel des modes) et présentations (tendances et développements qui auront une incidence sur l’offre et la demande de transport) ainsi que des réflexions quant aux enseignements collectifs à tirer de l’exercice (barrières, pistes d’innovation) et à certaines perspectives d’intérêt visant à mettre la table pour les prochaines étapes plus concrètes de cette démarche de développement d’une approche innovante et collective de penser la mobilité urbaine.

Constats et questionnements

Les présentations et discussions tenues lors de ce colloque ont confirmé que le Québec dispose de sources de données pertinentes pour mesurer la mobilité et que ces données sont adroitement valorisées. Néanmoins, il ressort aussi qu’un pan complet de la mobilité demeure absent des processus de collecte et des analyses types.

Des connaissances partielles

En guise de préparation, avant la tenue de l’événement, les intervenants de la table ronde ont reçu une série de questions qui avaient, il faut l’avouer, l’objectif de délimiter les acquis et les points d’interrogation qui englobent chacun des modes ainsi que leurs interactions. Ces questions étaient structurées selon deux grands axes, à savoir : 1) Comprendre le marché actuel et potentiel des différents modes ainsi que la complémentarité entre les différents modes (Quelle est la part actuelle de votre mode dans la mobilité quotidienne? Quelle devrait être la part de ce mode dans 10 ans? Comment atteindre cette cible? Quel mode est/devrait être/ne sera jamais compatible au vôtre?) 2) Identifier les pistes d’avenir pour les différents modes ainsi que des stratégies afin de les rendre plus durables (Votre mode représente-t-il un choix durable collectivement et pourquoi? Qu’est-ce qui permettrait de le rendre plus durable? Quels sont les éléments qui en changeraient les usages? Quelles interventions devrait-on favoriser pour avoir un effet significatif sur ce mode?). Différents éléments de réponse ont été proposés, sans toutefois permettre d’avoir un portrait global, transparent et intégré. Plusieurs fragments de réponses justes mais adaptés à des contextes particuliers qui, mis ensemble, font ressortir une série de petits vides. Ainsi, il est très difficile, voire impossible, pour plusieurs modes d’évaluer leur part modale dans la mobilité quotidienne des résidents. C’est le cas pour la marche, le vélo, le taxi, l’autopartage, le vélopartage et même le covoiturage, ceux-ci étant peu, mal ou pas couverts lors des enquêtes régionales sur la mobilité.

Quelques consensus… troublants

Les discussions ont aussi permis d’identifier plusieurs points qui semblent faire consensus  auprès des intervenants :

L’automobile doit être utilisée de façon plus rationnelle. Loin de soulever la controverse, la discussion a rallié les intervenants autour du concept englobant de complémentarité, tous s’accordant sur le fait qu’il faille tendre vers une utilisation plus rationnelle de l’automobile, notamment en réduisant la part des déplacements en auto-solo en période de pointe. Toutefois, il est clair que l'automobile demeure encore, dans certains territoires, la solution la plus adaptée (voire la seule option). Le fait que l'auto-solo ne soit pas, à la base, une option durable est aujourd'hui un constat qui fait consensus. Différentes solutions visant à améliorer sa durabilité sont développées et proposées aux voyageurs : on pense à l'autopartage, au covoiturage, au taxi qui doivent être considérés comme des modes de transport différents de la voiture. Rendre l'automobile plus durable, c'est en partie viser à réduire son taux de possession et tendre vers des usages plus collectifs. Les nouvelles technologies ouvrent la porte à plusieurs développements en termes d'usages alternatifs de l'automobile.

Oui à l'intermodalité, et à plus grande échelle. Le concept d'intermodalité est aussi vu par la majorité comme une bonne stratégie. Plusieurs relations de complémentarité entre les modes ont été identifiées; sans surprise, le vélo et la marche sont perçus comme complémentaires à tous les autres modes en assurant un accès de petite et moyenne proximité. Il semble donc que la table ronde ait proposé une nouvelle métrique de la part modale dans laquelle chaque mode peut augmenter sa propre part sans toutefois réduire celle des autres. Une équation sur laquelle il faudra certainement se pencher. Conformément, on arrive plus aisément à dresser le pour que le contre de chaque mode, notamment en ce qui concerne l'accessibilité ou les potentialités d'intermodalité. Néanmoins, il semble clair qu'il n'y a actuellement pas de porteur dominant du dossier de l'intermodalité au Québec, ce qui semble pourtant essentiel pour en assurer l'opérationnalisation.

Les questions de compétivité ont été moins discutées : la seule véritable compétitivité énoncée a été celle de l'autopartage qui vise directement à réduire la possession automobile. Il y a aussi ce constat que des modes de transport en commun opérés par différentes autorités se concurrencent parfois entre eux, ce qui, du point de vue de l'usager, est souhaitable puisque cela lui offre plusieurs options por se rendre d'un point à un autre, mais qui, du point de vue des opérateurs, est vu comme un élément de fragilisation.

Concepts flous et questions en suspens

Ces mêmes discussions ont soulevé différentes interrogations :

Les contributions au développement durable des différents modes ne s'énoncent pas toujours clairement. Définir le développement durable et mesurer le niveau de durabilité d'un mode n'est pas une tâche aisée. Les évaluations sont souvent empreintes d'un biais vers certains impacts mieux maîtrisés tels que les impacts environnementaux, clairement associés aux émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le développement durable est beaucoup plus englobant et des efforts doivent être faits afin d'assurer notamment la prise en compte des contributions sociales de certains modes. Il ressort des discussions que le métro et le train ont des images fortes de durabilité, suivant de près la marche et le vélo.

Promotion et coercition? La question n'est pas tranchée. Quand la discussion s'est tournée vers les stratégies ou interventions permettant de promouvoir différents modes ou comportements, les stratégies coercitives ont été opposées aux stratégies de promotion à coup de lieux communs sans toutefois permettre de faire un décompte précis. La question demeure en suspens, avec comme toile de fond les concepts de juste prix, d'internalisation des externalités, d'utilisateur-payeur et de bénéficiaires indirects.

Des transformations en cours

Les présentations d'après-midi ont permis de mettre à l'épreuve une compréhension très tendancielle des comportements en exposant différentes transformations qui ont cours et qui auront et ont déjà des impacts sur l'évolution des comportements de mobilité. De celles-ci on retient que 1) les technologies portables poursuivent leur croissance et que la population est prête à être interpellée, par l'entremise de différentes applications, pour contribuer à l'acquisition de données pertinentes, 2) les défis énergétiques du Québec sont importants, mais qu'il existe plusieurs opportunités d'électrification des transports qui ont fait leurs preuves, 3) il faut se donner l'occasion et les outils pour imaginer des futurs différents de la mobilité et 4) des projets intégrés voient actuellement le jour et qu'ils illustrent la faisabilité de gestion plus englobante des besoins de mobilité.

Et maintenant?

Ce colloque a proposé une réflexion autour du rôle que jouent et devraient jouer les différents modes de transport dan sla mobilité quotidienne changeante des individus. Encore n colloque?! Nicolas Boileau disait : « Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez; Ajoutez quelquefois, et souvent effacer. » Il faut maintenant des suites, plusieurs suites, de différentes formes, à différentes cadences, avec différents intervenants.

Des grenelles des mobilités pour les régions du Québec?

Bordeaux a opté pour une démarche originale : le Grenelle des mobilités. Impossible d'en résumer le contenu en quelques lignes mais certains points méritent d'être soulevés. À la base, un constat : le système de transport est à bout de souffle, on observe une congestion globale des réseaux et l’offre en infrastructure n’est plus la solution. Ensuite, l’idée d’une démarche originale : organiser un Grenelle des mobilités, démarche sans élus rassemblant quelques 150 participants  avec l’ambition que le résultat soit le fruit d’un consensus  profondément discuté. On participe ou on est exclus. Plusieurs grands objectifs, notamment assurer un changement de modèle de mobilité et opter pour la sobriété : plus d’efficience, moins de dépense. Articulé selon 20 principes pour une mobilité fluide, raisonnée, régulée, le résultat mérite d’être étudié. Plusieurs concepts intéressants, notamment la notion de double tempo urbain : fluidité rapide vs fluidité lente et la promotion d’une  mobilité raisonnée = optimiser l’ensemble des modes de transport, équité des investissements. Quelle forme peut prendre une démarche réflexive de reconception de la mobilité pour le Québec?

Pour une approche pragmatique de l’intermodalité

Le concept d’intermodalité fait son chemin dans les discours. Mais on semble bien loin d’une intermodalité opérationnelle pour l’usager, qui efface les opérateurs au profit d’un lissage des échanges entre modes et qui assure aussi la valorisation des  capacités résiduelles des différents services. On observe bien des collaborations efficaces entre deux ou trois modes, mais  pas de véritable tarification multimodale qui fait disparaître l’opérateur et le gestionnaire au profit d’un usage véritablement facilité de tous les modes par les usagers. Où sont les forfaits tarifaires personnalisés pour répondre aux besoins de chacun?  À quand une modélisation d’usagers intermodaux, i. e. de  voyageurs qui utilisent plusieurs modes de transport et qui n’entrent pas dans les classifications mutuellement exclusives qui dictent l’élaboration des offres et produits? En effet, la  mobilité s’est complexifiée et les voyageurs ne sont plus  nécessairement des usagers réguliers avec un jour moyen de déplacement qui se répète à travers les semaines. L’idée d’une charte de la complémentarité des modes a été soulevée, ou celle d’une table intermodale?

À suivre…

L’activité 2.0 de cette réflexion sur les défis de la mobilité au 21e siècle est dans la mijoteuse, accompagnée de la charte sur la complémentarité des modes. Devrait en sortir quelque chose de plus consistant et véritablement intégré qui aura l’ambition d’inciter les intervenants à faire de petits pas vers un nouveau modèle de mobilité qui devra nécessairement être interactif et impliquer les voyageurs, pas seulement en leur fournissant des informations descriptives des réseaux, mais en les interpellant  quant à leurs choix et aux impacts de ceux-ci. La boite à  suggestions est ouverte!

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr

https://aqtr.com/association/actualites/deposez-votre-candidature-devenez-membre-comites-techniques-groupes-detude-lassociation-mondiale
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AQTr