Pilotes d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Samedi 21 juin 2014
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Pilotes d'hier, d'aujourd'hui et de demain
Jean Belotti
Docteur d'État es-sciences économiques, commandant retraité d'Air France et expert judiciaire aéronautique

C’est une gageure d’aborder ce sujet en quelques lignes, qui seront donc très restrictives.

Hier

Les premiers pilotes dont les compagnies ont eu besoin – dès la reprise du transport aérien, en 1944 – ont été des pilotes militaires fraîchement démobilisés. Au fil des mois, ils ont été renforcés par des pilotes privés, ayant déjà à leur actif un carnet de vol bien rempli, puis, par ceux issus des premières écoles de pilotage.

À cette époque, la formation en école et dans les compagnies était faite avec des moyens pédagogiques restreints, essentiellement au tableau noir. Il n’existait qu’un type de simulateur individuel qui permettait aux stagiaires de matérialiser leur trajectoire dans l’espace. Les cours théoriques ne portaient que sur ce qui concernait le fonctionnement de l’avion sur lequel le pilote allait être affecté. La priorité recherchée étant l’efficacité, le programme de la qualification de type comportait de nombreuses heures de vol, non seulement en « vol aux instruments », mais également en « vol à vue », avec des manoeuvres à très basse altitude, pour, par exemple, se poser sur une piste parallèle – choisie au dernier moment par l’instructeur – et nécessitant d’effectuer des virages à très forte inclinaison. C’est cette aisance dans la « maniabilité » qui, à plusieurs reprises dans ma carrière, m’a permis de terminer un vol en toute sécurité dans des conditions météo très dégradées, avec une très faible visibilité et sur des pistes très courtes.

L’entraînement comportait également sur l’avion qui faisait l’objet de la qualification, des atterrissages par fort vent de travers, des mises en décrochage en altitude...

Aujourd’hui

Les avions actuels sont porteurs d’importantes innovations, dont certaines représentent un véritable saut technologique, particulièrement dans le domaine de l’instrumentation.

Certes, au fil des ans, les moyens de la formation se sont améliorés et adaptés aux avions dits de nouvelle génération avec, entre autres, des commandes électriques et non plus hydrauliques.

Des simulateurs sur vérins hydrauliques permettent de restituer les sensations ressenties par les pilotes au moment des changements de configuration et de simuler toutes sortes de pannes, ce qui est un progrès certain.

Quant à la gestion du vol par plusieurs ordinateurs, garantissant que l’avion ne puisse plus sortir de son domaine de vol, il reste que de récentes catastrophes ont montré que des pilotes n’ont pas su sortir de situations dites d’« hyper-décrochage ».

Finalement, force est de constater que la formation actuelle est essentiellement dispensée sur simulateur. Il en résulte que des pilotes auxquels sera confiée la responsabilité de conduite d’un type d’avion n’auront pas effectué en vol des réductions de vitesses, ne serait-ce que pour sentir le comportement de l’avion à l’approche de la sortie de son domaine de vol et même pas fait un seul atterrissage par vent de travers. Je dispose de toute une série de vidéos montrant des approches finales mouvementées, qui ont été suivies d’une remise de gaz ou d’un atterrissage dans des positions impressionnantes.

Plusieurs exemples ont montré que les pilotes n’avaient pas su respecter, à vue, par beau temps, une pente de descente standard. Ceci s’explique par le fait que presque toutes les approches se font en « automatique » et que les pilotes affectés sur les très longs courriers (vols de 16 heures, avec 3 pilotes à bord) ne font donc que très peu d’atterrissages par mois, même si le commandant décide une affectation équitable entre eux.

Finalement, parmi les faits justifiant que la formation n’est pas à la hauteur des attentes légitimes des pilotes, on peut ajouter, entre autres : pas assez d’entraînement en vol; trop d’importance accordée aux tests psychotechniques dans la sélection initiale.

Demain

Les pilotes de demain piloteront les mêmes types d’avions que ceux de nos jours, qui seront de plus en plus sophistiqués, ce qui impliquera de s’intéresser également aux conditions de travail, à la fatigue, à la formation et à l’expérience des pilotes.

À cet égard, il convient de mettre en exergue une préoccupation majeure. Alors que la FAA (Agence fédérale de l’aviation civile) a assuré qu’elle veillerait à une meilleure expérience des pilotes, on apprend qu’un demi-million de nouveaux pilotes seront à former d’ici à 20 ans. Dans l’hypothèse de la réalisation de cette prospective, il en résulterait un besoin de formation de 25 000 pilotes et de 28 000 techniciens par an. Or, force est de constater qu’il s’agira de la mise en ligne de pilotes et de techniciens totalement inexpérimentés. Pour pallier cette déficience d’expérience des pilotes, on en reviendra probablement à l’augmentation de la date de mise automatique à la retraite de ceux en activité et à un plus large recours aux pilotes militaires en fin de contrat, qui ont déjà acquis une solide expérience des vols. Comme cela a déjà été fait, les petites et moyennes compagnies seront les premières pénalisées par le débauchage de leurs pilotes par les grandes compagnies. Il reste à espérer que les administrations ne délivreront pas de dérogations à des pilotes étrangers de toutes nationalités, sous-qualifiés, comme cela s’est déjà produit.

Il résulte de ces éléments d’appréciation que les cockpits de demain seront majoritairement occupés par de jeunes pilotes et entretenus par les techniciens, frais émoulus des écoles, donc inexpérimentés.

Impact sur la sécurité aérienne

Malgré les insuffisances brièvement évoquées, nous devons nous réjouir de la rassurante performance de l’amélioration de la sécurité aérienne et celle, spectaculaire, de 2013, confirmant la tendance confirmée depuis quelques années. En effet, alors que le trafic aérien augmente de plus de 5 % par an, en transportant 3 milliards de passagers, en 31 millions de vols, on aurait pu logiquement s’attendre à une dégradation du niveau de sécurité, proportionnelle au taux de croissance, or, à l’inverse, c’est une exceptionnelle amélioration qui a été constatée. Elle a fait dire au représentant de l'IATA : « quelqu'un prenant l’avion tous les jours pourrait voler pendant 6.500 ans sans avoir d’accident ».

Nous devons donc avoir une pensée pour tous les acteurs qui y ont contribué : administration de tutelle; compagnies, aéroports, équipages et personnels au sol; contrôleurs aériens, etc, qui continuent journellement à relever le défi, celui de débusquer les situations accidentogènes et se féliciter de cette tendance à l’amélioration, car c’est de bon augure.

Cela étant dit, conscient de la complexité de ce monde des opérations aériennes et des multiples facteurs qui peuvent influencer les performances, on ne peut écarter la survenance d’un ou deux accidents de très gros porteurs, ce qui inverserait cette tendance. Voire une série d’incidents et accidents plus ou moins graves, résultant de ce que l’on nomme communément « la loi des séries » – appelée aussi « sérialité » – vérifiable, d’ailleurs, dans la plupart des activités humaines ou autres phénomènes, tels que météorologiques, par exemple.

Alors, sachant l’importance du nombre de facteurs contributifs à la survenance de ces drames, il est préférable de ne pas conjecturer ce que sera la sécurité de demain, mais simplement espérer que, grâce aux efforts de tous, la tendance à l’amélioration se confirmera. Et ayons foi en la pensée de Georges Bernanos : « L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait ».

Pour plus de renseignements et, également, avoir la réponse aux très nombreuses questions que tout un chacun se pose sur ce monde de l’aviation, voir l’ouvrage de Jean Belotti « Mieux comprendre... Le transport aérien ». Éditions Cépaduès. www.cepadues.com ou contactez M. Belotti au jean.belotti@gmail.com.

Sur la toile

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