La perspective du donneur d’ouvrage dans le choix du mode de réalisation de projets d’infrastructures

Mercredi 21 décembre 2011
Infrastructures de transport, Sécurité et Aménagement, Mobilité durable, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
Perspective du donneur d'ouvrage
Joël Gauthier
Président-directeur général
Exo

L’AMT comme donneur d’ouvrage

En vertu de sa loi constituante, l’Agence métropolitaine de transport (« AMT ») a pour mandat de développer, mettre en place et promouvoir un réseau de transport métropolitain composé de stationnements, de terminus, de voies réservées mais aussi d’équipements plus lourds, tels que le métro, les systèmes légers sur rails et les trains de banlieue. Chaque année, l’AMT révise son plan triennal d’immobilisations dans lequel est présenté le portefeuille de ses initiatives pour les trois prochaines années. Ce plan comporte plus d’une centaine de projets de nature et d’envergure variées et se chiffre en milliards de dollars. Des projets majeurs tels que le Train de l’Est, les prolongements de métro, le projet de SRB sur le boulevard Pie-IX, de même que le projet du Train de l’Ouest ne sont que quelques exemples des projets d’infrastructure publique pilotés par l’AMT.

De par sa mission, l’AMT constitue donc un donneur d’ouvrage important. Plusieurs chantiers se chiffrant en millions de dollars sont lancés et pilotés annuellement par l’AMT dans le cadre de la réalisation de projets d’infrastructure de transport collectif. Jusqu’à maintenant, le mode de réalisation auquel a eu recours l’AMT a principalement été celui dit traditionnel. Toutefois, des problématiques de financement, les nouvelles dispositions de la politique-cadre sur la gouvernance sur les grands projets d’infrastructure publique, de même que la complexité accrue des projets découlant notamment du resserrement des normes et règles environnementales incitent aujourd’hui l’AMT à considérer de nouveaux modes de financement et de réalisation des projets d’infrastructure publique.

Le nouveau contexte

Le transport collectif a connu un regain de popularité au cours des dernières années et fait aujourd’hui une compétition plus féroce à l’auto-solo. Cet intérêt accru a entraîné une hausse des investissements par l’ensemble des acteurs municipaux et gouvernementaux. Alors que les investissements en immobilisations et en exploitation atteignaient près d’un milliard de dollars par année lors de la création de l’AMT en 1996, ils étaient de l’ordre de 1,6 milliard de dollars en 2010 (incluant la contribution des usagers par les recettes tarifaires).

Toutefois, les sources de financement actuelles demeurent insuffisantes pour réaliser l’ensemble des projets de développement et de maintien identifiés par les autorités intervenant sur le transport. Cette réalité a été documentée par plusieurs intervenants et fait régulièrement l’objet de consensus lors des différents forums organisés sur l’avenir des transports collectifs au Québec. Tous s’entendent également sur le fait que ces projets ne peuvent être retardés sans que le développement économique, social et environnemental du Québec ne soit sérieusement hypothéqué. C’est pourquoi les autorités intervenant sur les transports doivent aujourd’hui considérer des modes de financement alternatifs pour leurs projets d’infrastructures.

Dans le cas de l’AMT, une très grande majorité de ses projets d’infrastructure sont admissibles à une contribution financière du gouvernement du Québec en vertu du Programme d’aide gouvernementale au transport collectif des personnes. Toutefois, cette enveloppe budgétaire étant limitée, l’AMT est contrainte d’examiner l’accès à de nouvelles sources de financement afin de ne pas retarder la livraison de ses projets et, par extension, freiner l’essor du transport collectif dans la grande région montréalaise.

Parallèlement à cette problématique de financement, le gouvernement du Québec s’est doté, en 2008, d’une politique-cadre sur la gouvernance des grands projets d’infrastructure publique. Révisée en 2010, cette politique pose un nouveau cadre pour la réalisation des projets majeurs. Elle exige notamment des organismes publics, dont nommément l’AMT, que leurs projets majeurs suivent un processus balisé de planification visant à déterminer le mode de réalisation le plus approprié, de même qu’à mieux contrôler les coûts et les échéanciers. Un projet d’infrastructure publique est considéré majeur en vertu de la politique-cadre lorsqu’il présente une valeur estimative du coût en immobilisations égale ou supérieure à 40 millions de dollars, ou à 100 millions de dollars lorsqu’il s’agit d’un projet de réfection.

Les projets assujettis à la politique-cadre doivent ainsi faire l’objet d’un dossier d’affaires comportant trois étapes et s’appuyant sur une analyse approfondie des différents modes de réalisation potentiels. Plus spécifiquement, la politique-cadre permet aux organismes publics de recourir à quatre principaux modes de réalisation qui se distinguent par le degré de risques et de responsabilités transférés aux fournisseurs associés à la réalisation d’un projet. Ces modes sont nommément la gérance, le mode traditionnel, le « clés en main » et le partenariat public-privé (« PPP ») (voir encadré page 4 pour une définition de chaque mode). Le dossier d’affaires doit ainsi présenter une analyse qualitative et quantitative des modes de réalisation considérés afin de déterminer celui qui présente le coût net de réalisation le plus bas tout en générant la plus grande plus-value pour la société.

Ce contexte a donc conduit l’AMT à considérer de nouveaux modes de réalisation pour ses projets majeurs. En plus de constituer une alternative économique, le recours à des partenaires privés permet de bénéficier d’un accès à de nouveaux fonds et de mitiger les risques lors de la réalisation des projets. C’est notamment en raison de ces atouts stratégiques que l’AMT a opté pour le mode « clés en main » avec un financement à court terme pour la réalisation de son projet de centre d’entretien du matériel roulant à Lachine, un projet évalué à près de 120 millions de dollars.

L’accès à de nouveaux modes de financement

Les projets réalisés en modes « clés en main » ou PPP permettent aux organismes publics de bénéficier des capitaux privés pour financer à court, moyen ou long termes la construction et/ ou l’opération de l’infrastructure publique. Dans un contexte où la demande pour des infrastructures de transport en commun est en croissance, ces capitaux privés deviennent des leviers stratégiques pour accélérer la livraison des projets et éviter que le Québec ne prenne du retard dans le développement de ses infrastructures.

Dans le cas du centre d’entretien du matériel roulant de l’AMT à Lachine, le partenaire sélectionné sera responsable du financement de l’infrastructure pendant la période de construction jusqu’à sa mise en service prévue en 2013. La prise en charge par un tiers du financement de l’infrastructure pour une période donnée soulage la pression sur les flux financiers de l’AMT et du gouvernement du Québec et leur offre ainsi une marge de manœuvre accrue. Sans cette participation financière du partenaire privé, l’AMT aurait été contrainte de retarder la réalisation de ce projet pourtant essentiel pour accroître la fiabilité du service de trains de banlieue.

Qui plus est, via le Fonds PPP Canada, le gouvernement du Canada offre un appui financier aux organismes publics désireux de recourir au secteur privé pour la réalisation de leurs infrastructures. Cette aide financière prend la forme d’une contribution pouvant atteindre 25 % des dépenses admissibles. Le projet du centre d’entretien Lachine pourra ainsi compter sur une contribution de 25 millions de dollars provenant du Fonds PPP Canada. Il s’agit d’un apport financier significatif qui permet à l’AMT de diversifier ses sources de financement.

La répartition des risques

Les projets réalisés en mode « clés en main » ou PPP permettent également de répartir les risques associés au développement des infrastructures publiques majeures. Ces risques peuvent survenir lors des différentes étapes du cycle de vie de l’infrastructure, à savoir la conception, la construction, le financement et l’opération. L’expérience tirée de nombreux projets d’envergure tend à démontrer que lorsque la responsabilité de ces étapes est confiée à différents partenaires, les risques tendent à augmenter en raison de la multiplication des interfaces.

Aussi, l’intégration de ces différentes étapes sous la responsabilité d’un seul partenaire permet de considérer dès la conception du projet l’ensemble des risques susceptibles de survenir à l’étape de la construction, du financement ou de l’opération et ainsi de mieux les gérer. Cette intégration permet également de sécuriser les coûts du projet puisque le partenaire privé se doit de respecter le prix et les critères de performance établis dans l’entente de partenariat pour toute la durée du contrat.

Le centre d’entretien Lachine constituera une infrastructure à la fine pointe de la technologie et, à ce titre, présente une certaine complexité. Le site pourra recevoir 11 rames de trains de banlieue en garage extérieur, comportera un atelier d’inspection pouvant recevoir une rame complète, un atelier d’entretien majeur pour trois locomotives et trois voitures multiniveaux et un lave-train automatisé. En intégrant la conception et la construction de cette infrastructure sous la responsabilité d’un seul partenaire, l’AMT est confiante que les risques associés à chacune des composantes du projet seront mieux évalués dès le départ. Ceci contribue à diminuer les risques de dépassement budgétaire ou de glissement d’échéancier.

Les critères à considérer dans le choix du mode de réalisation

Dans le cas du centre d’entretien de l’AMT à Lachine, le mode « clés en main » avec un financement à court terme s’est avéré être le mode de réalisation le plus approprié et générant la plus grande plus-value. Ceci étant dit, le recours à des partenaires privés ne constitue pas une fin en soi. Chaque projet ayant sa particularité, il appartient au donneur d’ouvrage de bien en évaluer le contexte et les caractéristiques afin de faire le bon choix de mode de réalisation.

À ce chapitre, la politique-cadre sur la gouvernance des grands projets d’infrastructure publique offre un excellent cadre d’analyse. Les organismes publics y étant assujettis doivent, dans le cadre de l’élaboration du dossier d’affaires, procéder à une analyse comparative exhaustive des modes de réalisation. En plus de réaliser des analyses quantitatives pour chaque mode, les organismes publics sont invités à considérer un ensemble de critères qualitatifs tels que l’existence d’un marché privé concurrentiel, le potentiel d’innovation que présente le projet d’infrastructure, les risques au chapitre du cycle de vie ou encore la flexibilité requise par l’organisme durant la phase d’exploitation. Le Guide d’élaboration du dossier d’affaires publié par Infrastructure Québec suggère une liste exhaustive de critères devant être considérés lors du choix du mode de réalisation et s’avère donc un précieux outil d’aide à la décision.

Qui plus est, le choix du mode de réalisation doit être analysé en fonction de l’envergure du projet envisagé. En raison des frais transactionnels (légaux et financiers) associés à la mise en place des ententes de partenariat, le recours au secteur privé trouve davantage sa pertinence pour les projets dont les coûts d’immobilisation atteignent un certain seuil.

En somme, à titre de donneur d’ouvrage, l’AMT cherche pour chacun de ses projets à sélectionner le mode de réalisation générant la plus grande plus-value pour la société et présentant le coût net de réalisation le plus bas. Le choix du mode de réalisation doit également permettre de confier les risques associés au projet au partenaire le plus habile à les gérer. Dans ce contexte, l’AMT continuera à avoir recours au mode traditionnel pour ses projets de petite et moyenne envergure, tout comme elle pourrait à nouveau interpeller le secteur privé pour ses projets complexes et de plus grande envergure. En termes de modes de réalisation, il n’y a donc pas de solution unique. Il s’agit plutôt de choisir le bon mode de réalisation en fonction de chaque projet.

Sur la toile

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