Les outils de captation de la valeur comme source de financement des projets de transport

Mercredi 21 décembre 2011
Infrastructures de transport, Sécurité et Aménagement, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
Droits d'aménagement
Philippe Raymond
Directeur général, Infrastructures et financement de projets
PricewaterhouseCoopers s.r.l./s.e.n.c.r.l.
Christian Roy
Premier conseiller, Infrastructures et financement de projets
PricewaterhouseCoopers s.r.l./s.e.n.c.r.l.

Les exemples récents d’incidents impliquant des infrastructures de transport vieillissantes rappellent implacablement l’urgence d’agir en matière d’investissements dans des projets structurants de transport. Parallèlement, il est nécessaire d’offrir aux automobilistes des solutions alternatives en consolidant et en développant le réseau de transport collectif. Or, les finances publiques sont sous pression et certains projets sont conséquemment repoussés, voire annulés, en raison des contraintes budgétaires auxquelles doit faire face l’État. Pourtant, c’est un fait reconnu que le sous-investissement chronique dans des projets de transport provoque un impact à long terme important sur la compétitivité économique de nos villes. On n’a qu’à penser aux coûts de la congestion routière qui ont été évalués à plus d’un milliard de dollars annuellement pour la ville de Montréal uniquement.

Au Québec, le modèle de financement des projets de transport repose principalement sur le ministère des Transports du Québec (MTQ) et ultimement sur les contribuables. Heureusement, de nouvelles approches développées ailleurs dans le monde sont apparues ces dernières années. Ces nouveaux modèles visent à faire contribuer davantage les bénéficiaires plutôt que l’ensemble de la population.

L’une des avenues les plus prometteuses dans le contexte québécois est associée aux outils de captation de la valeur, qui sont habituellement mis en place par des autorités locales, plus particulièrement des municipalités et des autorités organisatrices de transport. Ces outils reposent sur le principe, confirmé par de nombreuses études, selon lequel les projets de transport ont pour effet de créer une valeur significative, que ce soit en matière de plus-value foncière ou de visibilité. Les outils de captation de la valeur peuvent générer des fonds directement liés à la réalisation d’un projet de transport (impacts spécifiques) et sont donc différents des mécanismes ou des sources affectant l’ensemble du réseau de transport (impacts globaux) qui ne sont pas considérés ici.

Exemples de sources de financement

Impacts spécifiques

  • Financement par les revenus fiscaux anticipés
  • Taxe d’amélioration locale
  • Droits de développement
  • Droits d’aménagement
  • Développement immobilier conjoint
  • Commandites privées
  • Paiements tenant lieu de taxes
  • Crédits de carbone

Impacts globaux

  • Droits d’immatriculation
  • Taxe sur l’essence
  • Taxe sur la masse salariale
  • Taxe de vente
  • Péage routier
  • Taxe ou redevance sur les stationnements
  • Produits des contraventions

Six outils de captation de la valeur, qui n’ont pas ou ont été peu utilisés au Québec, sont présentés plus en détail dans ce texte : le financement par les revenus fiscaux anticipés (FRFA), la taxe d’amélioration locale, les droits de développement, les droits d’aménagement, les développements immobiliers conjoints et les commandites privées. Ils ont été sélectionnés sur la base de leur potentiel de générer des fonds non négligeables pour des projets de transport.

Financement par les revenus fiscaux anticipés (FRFA)

Le FRFA, mieux connu sous son appellation anglaise Tax Increment Financing ou TIF, est un outil de financement qui permet d’affecter l’accroissement futur des revenus fonciers relié à la réalisation d’un projet au remboursement de ses coûts d’immobilisation ou de ses coûts d’exploitation. Une autorité locale peut ainsi lever des fonds par le biais d’emprunts en tenant compte des revenus fiscaux futurs découlant de la revitalisation d’un secteur stimulée par l’implantation d’un projet de transport. Le FRFA a été développé aux États-Unis où il est fréquemment employé, notamment pour des projets de tramway (p. ex. Portland et Seattle). Au Canada, un FRFA a été mis en place à Calgary dans le cadre d’un projet de revitalisation urbaine et il est présentement envisagé pour le prolongement du réseau de métro à Toronto.

Le FRFA est habituellement implanté au sein d’un périmètre géographique délimité et pour une période prédéfinie. Les fonds obtenus résultent de l’augmentation des valeurs foncières et non de l’augmentation du taux de taxation, contrairement à la taxe d’amélioration locale par exemple. Pour le périmètre visé, la partie des revenus de taxation foncière qui correspond au niveau établi avant la mise en place du projet de transport est traitée de la même façon à la suite de l’implantation d’un FRFA. Par contre, la partie qui correspond à l’accroissement de la valeur foncière comparé à ce niveau de base est isolée et se trouve attribuée à un fonds distinct qui sert à financer le projet.

Taxe d’amélioration locale

La taxe d’amélioration locale permet à une autorité locale d’imposer une taxe spéciale sur une propriété ou un commerce qui est situé dans un périmètre préalablement défini et qui profite de la mise en place d’une nouvelle infrastructure de transport. Cette taxe spéciale est habituellement imposée pendant une durée limitée, bien que pouvant parfois aller au-delà de vingt ans. Elle peut également être exigée en un seul paiement qui est fait avant le début des travaux de construction.

L’un des avantages de la taxe d’amélioration locale est qu’elle permet à l’autorité locale d’impartir une quote-part du coût des travaux aux bénéficiaires de ces travaux, tant des particuliers ou des promoteurs immobiliers que des entreprises ou des commerces situés à proximité du nouveau projet. Le bénéfice reçu peut prendre plusieurs formes : plus-value foncière pour les particuliers ou les promoteurs immobiliers, plus grande facilité à recruter de la main-d’œuvre pour les entreprises et clientèle accrue pour les commerces.

Le montant de la taxe peut être déterminé de plusieurs façons telles que la distance par rapport au projet, les dimensions ou le nombre d’unités de la propriété. Peu importe la manière employée, l’objectif demeure toujours d’établir un niveau de taxation relié aux bénéfices reçus par les propriétaires à la suite de la mise en place d’une infrastructure. La taxe d’amélioration locale peut être appliquée unilatéralement ou négociée de gré à gré avec des partenaires qui acceptent alors volontairement d’être taxés afin que le projet se concrétise, comme ce fut le cas pour le Quartier international de Montréal.

Les revenus générés par la taxe d’amélioration locale sont habituellement employés pour payer une partie des coûts d’immobilisations. En effet, l’autorité locale emprunte un montant basé sur les revenus futurs associés à la taxe. Cette source peut être employée conjointement avec un FRFA de manière à ce que l’autorité locale investisse dans le projet ses propres revenus fonciers anticipés et que les propriétaires fonciers contribuent à leur tour en payant une taxe spéciale afin d’assurer la réalisation du projet. Enfin, il est possible de moduler la taxe d’amélioration locale de manière à cibler par exemple les commerçants ou les propriétaires d’immeubles locatifs qui n’habitent pas leur propriété de manière à réduire l’impact public souvent délicat de la mise en place d’une nouvelle taxe.

Droits de développement

Une autorité locale peut accorder certains droits de développement à des promoteurs immobiliers en échange d’une contribution financière pour de nouvelles infrastructures. Ces droits peuvent être reliés à un changement de zonage (ex. : résidentiel vers commercial) ou encore à la bonification de la densité (ex. : ajout d’étages ou augmentation du coefficient d’occupation des sols) relativement à ce qui est initialement prévu dans le plan d’urbanisme. Ils peuvent également être liés aux droits aériens, c’est-à-dire à la possibilité de construire au-dessus d’une emprise routière ou ferroviaire.

La Ville de New York utilise depuis plusieurs années ce modèle afin de mettre à contribution les promoteurs immobiliers qui bénéficient largement de l’expansion du système de transport collectif à proximité de leurs propriétés et qui sont conséquemment disposés à payer une partie des frais afin de maximiser la valeur de leurs actifs immobiliers.

Droits d’aménagement

Les droits d’aménagement sont des frais supplémentaires qu’une autorité locale impose à des promoteurs immobiliers pour financer la mise en place d’infrastructures (p. ex. routières ou de transport collectif) qui sont nécessaires pour desservir les nouveaux développements et quartiers. Ces droits d’aménagement sont généralement mis en place dans des secteurs à forte croissance de façon à réduire le fardeau économique de l’autorité locale et de la population en général en transférant une partie des coûts associés aux nouvelles infrastructures aux promoteurs immobiliers qui construisent les nouveaux lotissements. Ce mécanisme est utilisé notamment à Dublin (Irlande) pour des projets de transport collectif.

Habituellement, les promoteurs intègrent ces droits supplémentaires dans le prix des nouveaux locaux qu’ils vendent ensuite aux futurs résidents ou louent à des commerçants, ce qui est en accord avec le principe de l’utilisateur-payeur puisque ce sont ultimement ces personnes qui vont bénéficier le plus des nouvelles infrastructures.

Développement immobilier conjoint

Le développement immobilier conjoint est une forme de partenariat qui est la plupart du temps lié au développement d’actifs situés autour de nœuds de transport (p. ex. gare ou terrain inoccupé) et qui est établi entre une autorité locale et une entreprise qui apporte une expertise sectorielle ainsi qu’une partie du financement nécessaire à la mise en place de la nouvelle infrastructure de transport.

Dans certaines situations, un promoteur peut disposer d’un actif tel qu’un terrain et peut proposer un partenariat à une autorité publique afin d’augmenter la valeur de cet actif en mettant en place de nouvelles infrastructures. Dans d’autres cas, il arrive qu’une autorité publique sollicite la participation du secteur privé pour l’aider à développer des actifs tels que des immeubles ou des terrains dont elle dispose ou des stations qu’elle prévoit construire.

Le développement immobilier conjoint peut ainsi générer des revenus de location pour des terrains, des immeubles ou des stations situés à proximité d’un futur corridor de transport et pour lesquels la mise en valeur et l’exploitation sont confiées à des partenaires privés. Ce mécanisme est utilisé fréquemment aux États-Unis.

Commandites privées

Contrairement aux autres outils qui ciblent la valeur foncière créée par les infrastructures de transport, les commandites privées visent à tirer profit de la visibilité habituellement associée à un projet de transport. Une entreprise peut ainsi décider de commanditer des composantes d’un système de transport telles que des véhicules, des stations ou des lignes en exploitation. Les commandites privées peuvent être négociées par le biais d’une mise aux enchères, à un taux ou un prix fixé d’avance ou de gré à gré. Une autre possibilité est de trouver un partenaire exclusif qui s’engage à commanditer l’ensemble du réseau.

Ce type de revenus est courant dans l’industrie du sport professionnel et des arts où la plupart des noms d’amphithéâtres font l’objet d’une commandite privée. Les ententes de commandites peuvent être renouvelées à court ou à moyen terme ou même faire l’objet d’enchères périodiques pour maximiser les revenus tirés des composantes du réseau les plus populaires. Il est également possible de s’entendre à long terme avec des commanditaires afin de stabiliser la génération de flux monétaires et de réduire son exposition à des cycles économiques.

Conclusion

En terminant, il est important de préciser que ces outils de financement ne constituent pas une panacée permettant d’assurer la totalité du financement des projets de transport. Cependant, ils représentent certainement une source complémentaire non négligeable qui peut servir à démontrer l’engagement d’une autorité locale. Les montants ainsi sécurisés peuvent être mis de l’avant afin d’obtenir une participation des paliers gouvernementaux supérieurs qui sont évidemment plus susceptibles de financer des projets là où les intervenants locaux sont prêts à contribuer au projet.

Sur la toile

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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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