Une nouvelle approche pour l’évaluation et l’apprentissage de la conduite

Dimanche 21 juin 2009
Technologie, Sécurité et Aménagement
Rétroactions

Chaque année, environ 1,2 million de personnes décèdent dans le monde à la suite d’un accident de la route (WHO, 2004) et la vaste majorité des gouvernements classent les accidents d’automobile parmi les problèmes de santé publique majeurs. La récente Table québécoise de la sécurité routière vient d’ailleurs de remettre à l’avant cette problématique (TQSR, 2007).

Au Québec, de nombreux programmes sont offerts aux conducteurs qui désirent apprendre à conduire ou à mettre à jour leurs connaissances sur la sécurité routière. Malgré l’accès à de tels programmes, on observe tout de même chez certains de ces conducteurs des comportements incohérents avec une conduite sécuritaire (par exemple, des arrêts incomplets aux intersections ou de mauvaises stratégies de recherche visuelle lors de manœuvres de virage).

Des travaux antérieurs suggérant que les conducteurs ont une mauvaise capacité à évaluer leur propre performance pourraient expliquer les difficultés rencontrées par ces programmes pour modifier les comportements des conducteurs (Freund, Colgrove, Burke, et McLeod, 2005; Holland et Rabbitt, 1994). Même si ces conducteurs savent reconnaître qu’une situation de conduite est dangereuse, ils semblent incapables d’identifier ces situations comme dangereuses pour eux-mêmes. Une telle attitude, une haute estime de soi malgré de mauvais comportements de conduite (par exemple, excès de vitesse, mauvais contrôle du véhicule) (McKenna, Stanier, et Lewis, 1991), est un obstacle à la modification des comportements routiers, puisque l’un des aspects essentiels à l’apprentissage est la capacité d’autoévaluer sa propre performance (Salmoni, Schmidt et Walter, 1984).

Puisque conduire un véhicule automobile est une tâche complexe, il est possible que les programmes de formation actuels ne permettent pas aux conducteurs d’identifier correctement leurs comportements de conduite à risque ni de mettre en place des stratégies de correction de ces erreurs. Par exemple, lors d’une séance sur route, un instructeur n’est pas en mesure de fournir des rétroactions précises et systématiques sur l’ensemble des manœuvres d’un apprenti conducteur. De plus, le simple fait d’être attentif à l’environnement peut freiner la capacité du conducteur à traiter ces rétroactions en temps réel.

Afin de pallier cette problématique, notre groupe de recherche a développé une plateforme sécuritaire pour l’évaluation et l’amélioration de l’aptitude à conduire. Cet outil interactif est basé sur l’intégration et la fusion de données provenant du comportement du véhicule ainsi que du conducteur et de son environnement. Cet outil permet d’enregistrer et de visualiser, à l’aide d’un GPS, la position et la trajectoire du véhicule sur une carte ainsi que sa vitesse. De plus, des séquences vidéo du conducteur et de l’environnement de conduite sont enregistrées à l’aide de caméras numériques. Un outil interactif permet à un instructeur de relever des événements particuliers (par exemple, l’absence de vérification d’un angle mort au moment d’un changement de voie, un arrêt incomplet à une intersection, etc.).

Toutes ces informations peuvent être revues et visualisées avec le conducteur alors que celui-ci est pleinement disponible avant ou après une séance sur route ou en simulation de conduite. Un exemple est illustré à la Figure 1. En haut à gauche se trouve la barre de visualisation utilisée pour visualiser les événements relevés préalablement par l’instructeur. Au centre gauche, le conducteur est à même d’observer ses propres comportements de conduite. Au centre de la figure, la séquence vidéo prise à l’avant du véhicule est présentée.

En bas à gauche et au centre, on retrouve les séquences prises en direction des angles morts des côtés conducteur et passager, respectivement. En haut à droite, le tracé du parcours utilisé par le conducteur est superposé sur une carte routière et le point blanc représente la position du conducteur en fonction de l’événement sélectionné. Enfin, le graphique de la vitesse instantanée du véhicule est présenté en bas à droite.

Des essais récents ont été réalisés avec des conducteurs âgés. Les sujets furent assignés aléatoirement à un groupe témoin ou à un groupe « rétroactions ». La performance des deux groupes à un test initial de conduite sur route était similaire (test standardisé similaire à celui utilisé par la SAAQ). Les deux groupes ont reçu le même programme de formation théorique (similaire au programme 55 au volant (AARP)) ainsi que trois séances de pratique sur simulateur. Les participants du groupe « rétroactions » ont reçu des rétroactions propres à leurs performances à l’aide de l’outil de visualisation.

Par exemple, l’outil permettait à un conducteur qui ne vérifiait pas régulièrement ses angles morts avant un changement de voie de visualiser ces erreurs et de mettre en place les correctifs nécessaires. Les participants du groupe « rétroactions » ont amélioré leurs performances lors d’un deuxième test sur route et ont adopté des comportements plus sécuritaires.

De plus, ces conducteurs ont mentionné être plus sensibles aux différents pièges que la conduite peut présenter (Lavallière, Laurendeau, Tremblay, Simoneau et Teasdale, 2009). Les conducteurs du groupe témoin, malgré la formation théorique reçue, n’ont montré aucune modification de leurs performances lors du test final. Ces résultats confirment la nécessité de fournir aux conducteurs des rétroactions précises sur leurs performances afin qu’ils puissent mettre en place les correctifs nécessaires à l’adoption d’une conduite plus sécuritaire. Chez l’apprenti conducteur, des résultats préliminaires suggèrent aussi que l’outil permettrait d’optimiser l’apprentissage de la conduite automobile (Lavallière, Teasdale, Prel, Moszkowicz et Laurendeau, 2009).

Pour le moment, nous ne connaissons pas la durée de rétention des modifications observées chez nos conducteurs du groupe « rétroactions ». Des expériences futures permettront de répondre à cette importante question. De plus, l’efficacité d’un tel outil pour aider les conducteurs âgés à risque d’accident (par exemple, la personne âgée souffrant de démences légères ou sous médication pouvant affecter la performance de conduite) n’a pas encore été évaluée.

En conclusion, nos résultats suggèrent que des rétroactions précises sur la performance de conduite permettent d’améliorer la performance de conducteurs âgés déjà actifs. Pour le conducteur jeune, l’accès à de telles informations permettrait un apprentissage plus interactif permettant de combler les difficultés actuelles au niveau de l’autoévaluation des compétences à conduire chez cette population. L’élaboration et l’utilisation d’un tel outil visent à améliorer la compétence des conducteurs sur nos routes afin d’améliorer le bilan routier.

Collaborateurs

Normand Teasdale, Denis Laurendeau, Martin Simoneau, Mathieu Tremblay, Thierry Moszkowicz et Florent Prel

Remerciements

Un remerciement tout spécial aux conducteurs qui ont participé à ces études. Ces travaux de recherche ont reçu le soutien du Réseau de centres d’excellence Auto21 (projet COBVIS -D et SPEED -Q) et de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Martin Lavallière est récipiendaire d’une bourse de doctorat du Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ).

Références

AARP. 55ALI VE Driver Safety Program. Washington, DC, American Association of Retired Persons.
Freund, B., Colgrove, L. A., Burke, B. L., & McLeod, R. (2005). Self-rated driving performance among elderly drivers referred for driving evaluation. Accident Analysis and Prevention, 37 (4), 613-618.
Holland, C. A., & Rabbitt, P. M. (1994). The problems of being an older driver: comparing the perceptions of an expert group and older drivers. Applied Ergonomics, 25 (1), 17-27.
Lavallière, M., Laurendeau, D., Tremblay, M., Simoneau, M., & Teasdale, N. (2009, 22-25 Juin). Multiple-session simulator training for older drivers and on-road transfer of learning. Fifth International Driving Symposium on Human Factors in Driver Assessment, Training and Vehicle Design, Big Sky, MT.
Lavallière, M., Teasdale, N., Prel, F., Moszkowicz, T., et Laurendeau, D. (2009, 20-22 Mai). Outil d’apprentissage destiné aux jeunes conducteurs. 8e Séminaire francophone international en promotion de la sécurité et en prévention des traumatismes, Montréal, Qc.
McKenna, F. P., Stanier, R. A., & Lewis, C. (1991). Factors underlying illusory self-assessment of driving skill in males and females. Accident Analysis and Prevention, 23, 45-52.
Salmoni, A. W., Schmidt, R. A., & Walter, C. B. (1984). Knowledge of results and motor learning: a review and critical reappraisal. Psychological Bulletin, 95 (3), 355-386.
TQSR. (2007). Pour améliorer le bilan routier : Premier rapport de recommandations de la Table québécoise de la sécurité routière. Table québécoise de la sécurité routière.
WHO. (2004). World Report on Road traffic Injury Prevention. Geneva, Switzerland: World Health Organization.

Sur la toile

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Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation