L'effet structurant d'une politique gouvernementale sur les enjeux multimodaux : l'exemple de la politique maritime du Québec

Samedi 21 septembre 2013
Mobilité durable, Mobilité durable, Logistique
Cargo
Sébastien Marcoux
Analyste en transport
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)

Dans une discussion sur les enjeux multimodaux en transport, le transport maritime est digne d’intérêt, car il est, la plupart du temps, relié à d’autres modes de transport, principalement les transports routier et ferroviaire. Par conséquent, ce mode de transport embrasse plusieurs enjeux multimodaux tels la compétitivité, les cadres législatifs, les interfaces entre les modes de transport, la recherche et le développement technologique, ainsi que les coûts sociaux et environnementaux.

En gardant à l’esprit ces enjeux, le but de cet article est d’examiner comment une politique gouvernementale, comme la politique de transport maritime du Québec, peut se révéler un outil structurant. Plus spécifiquement, l’objectif des prochaines lignes est de montrer comment le bilan de certains moyens de mise en œuvre de cette politique nous renseigne sur les enjeux multimodaux du transport de marchandises.

La politique de transport maritime du Québec

En 2001, le gouvernement du Québec a publié la Politique de transport maritime et fluvial : le Québec à la barre. L’un des buts de cette politique était de « mieux arrimer le secteur maritime avec les autres modes de transport, qu’ils soient aérien, ferroviaire ou routier1 ». Le ministre des Transports d’alors voyait dans son adoption « une étape importante qui s’inscrit dans une perspective d’intégration de tous les modes de transport2 ». En effet, cette politique maritime était l’une des réponses de l’époque au désir « d’établir un réseau de transports stratégique intégrant tous les modes de transport » et de mettre en place des « équipements multimodaux capables d’assurer le déplacement continu et harmonieux des personnes et des marchandises, à un coût compétitif et dans le respect de l’environnement ». Avec ces prémisses en tête, il est approprié de mettre en relief le bilan des moyens de mise en œuvre et leurs effets structurants sur certains enjeux multimodaux.

D’entrée de jeu, il est possible d’émettre l’hypothèse qu’une politique de ce genre ait contribué à faire émerger une réelle vision globale des transports au ministère des Transports du Québec et à modifier la vision des intervenants touchés par des enjeux multimodaux du transport des marchandises, qu’ils soient publics ou privés.

Parmi les moyens de mise en œuvre, il est pertinent de s’intéresser à trois leviers de mise en œuvre de cette politique maritime : le forum de concertation, les programmes d’aides et le soutien à la recherche et au développement technologique.

Un forum de concertation en transport maritime

D’abord, un bilan de cette politique maritime laisse apparaître clairement l’importance du forum de concertation en transport maritime. Ce forum a été créé par la volonté commune du gouvernement du Québec et de l’industrie maritime et il est coprésidé par le ministre des Transports du Québec et le président du conseil de la Société de développement économique du Saint-Laurent. Il est un puissant moyen de mise en œuvre de la politique et il a induit trois résultats touchant des enjeux multimodaux :

1. Réunir des intervenants provenant de différents modes

Les activités de ce forum démontrent comment la concertation entre les acteurs de certains modes de transport est possible et comment elle favorise une synergie permettant d’aborder des enjeux multimodaux en transport. Par exemple, pour éviter que le mode maritime ne travaille en solo, le forum de concertation en transport maritime a en son sein des représentants du transport routier et ferroviaire. Au lieu d’encourager un esprit de compétition entre les modes de transport, cette représentativité au sein du forum permet aux autres membres, représentant les différents secteurs du domaine maritime (armateurs, expéditeurs, groupes environnementaux, tourisme fluvial, ports, formation de la main-d’œuvre, représentant des travailleurs et services connexes), d’entendre un point de vue extérieur au leur, et à l’inverse, aux représentants des autres modes de transport de mieux comprendre les problématiques auxquelles le mode maritime doit faire face. Par conséquent, ce forum de concertation permet de mailler des cultures différentes et de favoriser le partage entre les membres des bonnes pratiques et des innovations qu’ils ont constatées dans d’autres forums ou groupes de travail.

2. Connaître les besoins des intervenants

Les rencontres bisannuelles de ce forum permettent d’être mieux au fait des besoins propres aux intervenants du monde maritime et de mieux cibler certaines actions en fonction de ceux-ci. Par exemple, lors du dernier forum de concertation en mai 2013, le ministre des Transports a souligné l’importance de l’intégration du transport avec l’aménagement du territoire, en rappelant l’annonce récente de la signature d’un cadre de collaboration entre le ministère des Transports et la Ville de Montréal en vue d’améliorer les accès routiers au port de Montréal. Ces améliorations visent le réaménagement de l’accès entre le port de Montréal et l’autoroute 25. Cela permettra de faciliter le transport des marchandises en raccordant plus directement le port au réseau routier supérieur. Ce forum contribue donc à une meilleure compréhension d’enjeux multimodaux.

3. Mandater des groupes de travail

Comme nous l’avons vu ci-dessus, ce forum de concertation a permis de réunir des intervenants provenant de différents milieux et d’échanger régulièrement sur des dossiers clés. Si une politique comme celle-ci est un outil structurant pour promouvoir une vision globale du transport maritime, le forum de concertation a le mérite d’enclencher la mise en œuvre des pistes d’action proposées. Par exemple, un groupe de travail fut formé pour travailler sur la question de la compétitivité. Deux des recommandations issues de ce groupe de travail ont mis en perspective certains enjeux liant compétitivité et multimodalité. D’abord, une recommandation préconisait une adaptation du cadre législatif de la main-d’œuvre de manutention portuaire aux réalités du marché et à la spécialisation des terminaux, afin de mettre un terme au régime de monopole et de permettre une pluralité de conventions collectives et la concurrence au sein de la force de travail dans un même port. Ensuite, une autre recommandation proposait d’accroître la planification à long terme, concertée avec tous les intervenants, des besoins en matière d’accès aux ports, d’interface et de fluidité des trafics ferroviaire et routier. Les groupes de travail mis en place par ce forum de concertation en transport maritime ont donc contribué à mieux comprendre le panorama de la multimodalité et recommandé des solutions pour relever certains enjeux liant compétitivité et aménagement.

Des programmes de soutien qui répondent à des enjeux intermodaux

La mise en place de certains programmes d’aide du ministère des Transports, comme moyen de mise en œuvre de la politique de transport maritime, a également été un levier pour dynamiser la multimodalité. Un bilan de deux de ces programmes nous éclaire sur leurs utilités comme outil, permettant de répondre aux défis que présente le transport multimodal, mais aussi, sous un autre thème, dans le cadre d’enjeux environnementaux.

1. Le Programme d’aide à l’intégration modale (PAIM)

Ce programme d’aide concernait le transport de marchandises et visait, d’une part, à favoriser l’amélioration des interfaces entre les modes maritime, ferroviaire et routier et, d’autre part, à dynamiser la participation des modes maritime et ferroviaire aux chaînes de transport, et ce, dans un souci de compétitivité, de réduction des coûts sociaux des activités de transport et de protection de l’environnement. Il a été en vigueur de 2006 à 2011. Doté d’une enveloppe de 21 M $ sur cinq ans, ce programme permettait de soutenir des travaux d’infrastructures, des projets pilotes, des études et des activités de promotion et de valorisation d’actions intermodales. Environ 7,9 M $ ont été investis dans des projets du secteur maritime.

2. Le Programme d’aide visant la réduction ou l’évitement des émissions de gaz à effet de serre (PAREGES)

Ce programme avait pour objectif de favoriser l’implantation de projets intermodaux dans le transport maritime et ferroviaire afin de réduire ou d’éviter les émissions de gaz à effet de serre. Il a été adopté en mai 2008 et est échu depuis le 31 décembre 2012. Il disposait d’une enveloppe de 60 M $. Plus de 54 M $ ont été engagés, dont 17,2 M $ dans quatorze projets provenant du secteur maritime. Le programme avait pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 000 tonnes en 2012. Finalement, les projets engagés ont un potentiel de réduction de 300 000 tonnes, soit près de quatre fois plus que l’objectif fixé. Les projets du secteur maritime ont permis à eux seuls de réduire les émissions de GES de 67 000 tonnes. Ce programme démontre donc que les modes maritime et ferroviaire permettent de répondre à certaines prérogatives de la mobilité durable, de concilier des enjeux de transport multimodaux dans une perspective de développement économique, tout en répondant à des objectifs environnementaux de réduction d’émission polluante.

3. Nouveau programme d’aide

Un nouveau programme poursuivra les objectifs du PAREGES en prenant en compte des enjeux multimodaux et environnementaux. En effet, dans le cadre de l’élaboration du Plan d’action sur les changements clima- tiques 2013-2020, la priorité 15 visera à investir dans l’intermodalité et la logistique pour optimiser le transport de marchandises et des personnes. Ce nouveau programme sera vraisemblablement en vigueur au cours de la prochaine année.

Le soutien à la recherche et au développement technologique

Un troisième moyen de mise en œuvre de la politique maritime du Québec est le soutien à la recherche et aux développements technologiques. Pour soutenir la recherche effectuée sous le thème du transport maritime, une chaire de recherche à l’Université du Québec à Rimouski est soutenue par le ministère des Transports depuis 2005 (et la Société de développement économique du Saint-Laurent jusqu’en 2012). En plus d’être un lieu dynamique en matière de recherche, une telle chaire permet de mettre en lumière ce qui se fait ailleurs dans le monde quant aux orientations et aux politiques publiques, notamment reliées aux enjeux multimodaux. Ces travaux favorisent l’innovation et permettent d’approfondir notre connaissance de certaines problématiques. Par exemple, dans un rapport de recherche sur des terminaux minéraliers3, le chercheur a mis en relief un exemple australien de planification intégrée de la chaîne de transport, le Hunter Valley Coal Chain Coordinator, qui a été créé en 2005. Dans ce cas, les opérateurs de terminaux, les opérateurs ferroviaires et l’administration portuaire ont réalisé conjointement la planification de leurs opérations quotidiennes respectives et leur plan de développement à long terme.

Faits à noter, les programmes d’aide cités ci-dessus cherchent également à soutenir le développement technologique. Méconnus par plusieurs, ces programmes ne font pas que soutenir des projets d’infrastructures. Des volets de ces programmes d’aide ont pour objectif de soutenir des projets pilotes ainsi que divers types d’études. Par exemple, le PAREGES offrait la possibilité de soutenir le développement technologique par le moyen d’alliances entre chercheurs et praticiens en ce qui concerne l’évitement de GES en transport par l’implantation de projets intermodaux.

En conclusion, le bilan de ces trois moyens différents de mise en œuvre de la politique de transport maritime du Québec nous éclaire sur l’effet structurant d’une politique gouvernementale pour mieux connaître et aborder plusieurs enjeux multimodaux. Ce bilan laisse apparaître que :

• Un forum de concertation est un puissant outil pour échanger de l’information et approfondir les connaissances sur certains enjeux;

• Des programmes d’aide contribuent à la mise en place de projets intermodaux et engendrent des impacts environnementaux positifs en réduisant les GES et autres externalités;

• Une chaire de recherche appuyée par des programmes d’aide contribue à la compréhension de nouveaux enjeux multimodaux.

Les moyens déployés comme les forums de concertation, les groupes de travail et les programmes d’aide continueront d’être des instruments fort efficaces pour mettre en œuvre des politiques gouvernementales. Pour relever les défis que posent plusieurs enjeux multimodaux, il est nécessaire de poursuivre nos efforts de concertation entre les modes de transport et de persévérer dans le développement d’une vision multimodale des transports visant à accroître l’efficacité, la sécurité, l’accessibilité et la compétitivité des systèmes de transports au Québec.

Néanmoins, certains enjeux semblent plus difficiles à prendre en compte que d’autres. Par exemple, l’augmentation des transports ferroviaire et routier entraîne des coûts sociaux et environnementaux. Cet aspect de l’analyse multimodale mériterait d’être davantage exploité afin de pouvoir éventuellement faire preuve d’imagination et innover dans notre façon d’aborder cette problématique pour que cet enjeu soit réellement pris en compte dans le futur.

1-    Politique de transport maritime et fluvial – Le Québec à la barre, 2001, page 36

2-    Ibid., page II

3-    Préparé par Emmanuel Guy, titulaire de la Chaire de recherche en transport maritime à l’Université du Québec à Rimouski, pour le ministère des Transports du Québec, Décembre 2012.

Sur la toile

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