Le congé solidaire, une autre façon de prendre des vacances

Vendredi 21 juin 2013
Mobilité durable, Mobilité durable
Congé solidaire
Emmanuel Le Colletter
Chargé de projets
Ville de Montréal
Luc Couillard
Conseiller en aménagement
Ville de Montréal
Christian Letarte
Agent technique principal
Ville de Montréal
Djibril Sidibé
Directeur
Direction de la régulation de la circulation et des transports urbains

Contexte

Depuis 2009, trois employés de la Direction des transports (DT) de la Ville de Montréal ont eu l’occasion de collaborer étroitement avec la Direction de la régulation de la circulation et des transports urbains (DRCTU)1 de la ville de Bamako. Ainsi, ils ont effectué des missions d’au plus un mois dans les bureaux de la DRCTU où ils ont été accueillis avec enthousiasme.

Ces échanges ont été réalisés dans le cadre du programme Congé solidaire2, une initiative qui encourage l’engagement volontaire des employés dans les pays en développement. Les employeurs investissent ainsi dans le développement de leurs ressources humaines et démontrent leur implication en tant qu’organisation soucieuse de leur responsabilité sociale. Congé solidaire offre aux employés de convertir une partie de leurs vacances annuelles en une affectation volontaire dans un pays en développement. Il permet aux volontaires de mettre à profit leurs connaissances et leurs compétences dans un projet de développement international, avec le soutien de professionnels dans le pays hôte.

République du Mali et Bamako

La République du Mali est un vaste pays enclavé d’Afrique de l’Ouest situé au sud du Sahara avec une superficie de 1 241 238 km2 (Québec 1 667 441 km2), à 60 % désertique. Se classant au 133e rang sur 135 pays selon l’indice de pauvreté humaine des Nations Unies (PNUD, 2009), le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde.

La capitale Bamako est le centre administratif, politique, culturel, économique et universitaire du Mali. En 2009, le District de Bamako comptait 1 809 106 habitants, dont 43 % de moins de 15 ans. L’accroissement démographique y est très impressionnant, car la capitale accueille les populations rurales en quête de travail et les populations des pays limitrophes.

Depuis 1979, de vastes projets urbains ont été lancés par le gouvernement malien et la Banque mondiale. Malgré toute cette dynamique, l’agglomération de Bamako reste toujours confrontée à plusieurs problèmes, notamment en transport. Répondant à une demande de déplacements essentiellement radiale, la structure du réseau routier concentre l’essentiel des voies de circulation vers le centre-ville. Trois ponts permettent de relier les deux rives du fleuve Niger. Le réseau routier est de l’ordre de 1 600 km, dont près de 350 km sont bitumés.

Trois missions, la même expérience enrichissante

En novembre 2009, Luc Couillard, urbaniste au sein de la Direction des transports, a participé à une mission au cours de laquelle il a donné plusieurs séances de formation aux membres de la DRCTU sur la planification des transports, les transports collectifs, la sécurité routière, la modération de la circulation, etc. Lors de la première séance, une dizaine de personnes tout au plus s’étaient déplacées alors que, lors des séances subséquentes, des gens de l’urbanisme, des communes, des corps policiers, des syndicats, etc., s’y étaient donné rendez-vous à la suite de l’invitation du directeur de l’époque, M. Bokary Diarra.

Lors de sa mission, il a également eu l’occasion de conseiller le maire de Bamako sur les études portant sur un éventuel réseau de tramways, de proposer une série de mesures visant à sécuriser les déplacements en bordure des écoles et de réaliser un audit sommaire de sécurité à une intersection importante de Bamako.

« Je venais à peine de descendre de l’avion que j’étais invité à l’inauguration d’une nouvelle mosquée qui venait d’être construite à la suite de la réalisation d’une voie réservée pour autobus à proximité de la gare ferroviaire. Le lendemain, j’étais convoqué au bureau du maire pour assister à une rencontre avec le maire de Strasbourg, M. Roland RIES, en visite à Bamako. Il en a été ainsi durant tout mon séjour. »

En 2010, c’était au tour de l’ingénieur Emmanuel Le Colleter de s’envoler pour Bamako. Le mandat confié à ce dernier s’inscrivait dans la continuité des échanges entre la DRCTU et la firme montréalaise Tecsult (maintenant Aecom). En effet, de 2005 à 2007, plusieurs ingénieurs de Tecsult ont collaboré avec la DRCTU pour réaliser l’étude de faisabilité de l’anneau SOTRAMA, un projet majeur de transport collectif au centre-ville de Bamako, financé par la Banque mondiale.

En mai 2010, à la suite de la visite de M. Le Colleter, MM. Djibril Sidibe et Moussa Timbo, deux ingénieurs de la DRCTU, ont participé à une mission de deux semaines à Montréal, organisée conjointement par Tecsult et la Ville de Montréal. Ils ont eu droit à un programme technique dense, dont un portrait assez complet des enjeux touchant la gestion des transports urbains. Le programme comprenait une introduction à plusieurs outils utilisés à Montréal, notamment le logiciel de simulation de la circulation Synchro, qui permet d’optimiser la séquence des feux de circulation en fonction des débits et de la géométrie routière.

Ces nombreux échanges ont permis d’établir une relation de confiance entre les deux équipes et une compréhension mutuelle des problématiques auxquelles font face les deux directions. Le Directeur de la DRCTU est revenu en 2012 présenter une conférence très appréciée lors du Congrès annuel de l’AQTr.

La première semaine du séjour de M. Le Colleter a été consacrée à une présentation des priorités actuelles de la DRCTU : réduction des accidents de la route, réduction de la congestion vers le centre-ville et aux abords du tout récent échangeur à l’extrémité du pont Fadh, projet de l’anneau SOTRAMA en construction au centreville, reconstruction de la gare routière de Sogoniko.

La sécurité routière constitue une préoccupation majeure à Bamako avec, chaque année, environ 2 600 accidents avec blessés et 160 morts sur les routes, soit de quatre à cinq fois plus qu’à Montréal, pour une population similaire. Comme à Montréal, la grande majorité des accidents est attribuable à un comportement fautif des usagers de la route quoique, à Bamako, la vétusté des véhicules et les déficiences du réseau routier contribuent aussi au problème. Lors de son séjour, il a eu l’occasion de présenter la démarche montréalaise de sécurisation de 50 carrefours par année, basée sur une analyse des sites accidentogènes.

En réponse aux demandes des ingénieurs de la DRCTU, la priorité de son séjour a été de renforcer les capacités d’analyse des conditions de circulation en installant le logiciel Synchro sur deux postes informatiques à la DRCTU, puis en offrant une formation basée sur le cas type d’un carrefour très congestionné de Bamako. À partir de comptages de circulation et de relevés terrain, M. Le Colleter et les gens de la DRCTU ont pu modéliser le fonctionnement du carrefour et optimiser la séquence des feux de circulation. Le nouveau réglage du feu a été implanté avec succès sur le terrain, ce qui a permis de décongestionner significativement le carrefour. Ce succès a été atteint après avoir surmonté plusieurs difficultés, dont le fait que les techniciens de la DRCTU ne disposaient pas des manuels permettant de déchiffrer la programmation de leurs propres feux. En effet, ces équipements ont été installés par des manufacturiers français ou chinois qui n’ont pas remis les manuels d’exploitation.

Cette formation s’est conclue par une présentation à une vingtaine de personnes de la municipalité concernées par la circulation (ingénieurs, urbanistes, journalistes et policiers).

Pour Christian Letarte, agent technique principal et spécialiste de modélisation, le mandat a consisté essentiellement à travailler sur les suites de l’implantation d’un projet d’aménagement appelé l’Anneau SOTRAMA. Inauguré un mois avant son arrivée en 2011, ce projet avait engendré d’importantes répercussions sur les déplacements de transit circulant dans le centre-ville sur un itinéraire n’offrant aucune solution alternative.

Les artères affectées ne faisant pas partie du projet, une congestion quasi permanente s’y était installée rapidement et les programmations des feux n’étaient pas adaptées à recevoir un flot de circulation aussi important.

Une analyse des divers nœuds problématiques a été effectuée et une solution reposant essentiellement sur une reprogrammation de plusieurs feux de circulation a été élaborée.

Cette tâche s’est avérée un défi technique très complexe étant donné l’absence de manuels d’instructions. L’expérience de M. Letarte avec les systèmes de contrôle lui a toutefois permis de trouver des solutions. L’opération a été couronnée de succès et a contribué à décongestionner les abords du centre-ville.

Découvertes et émerveillement

Pour ces trois fonctionnaires, le grand émerveillement aura été de côtoyer quotidiennement les Maliens, des gens exceptionnellement chaleureux, ouverts, généreux, attentifs aux besoins d’autrui et désireux d’établir des contacts authentiques. Le visiteur au Mali est traité comme un invité plutôt que comme un étranger : « Tu as quitté chez toi, mais tu es ici chez toi » nous a-t-on répété.

À la DRCTU, la journée de travail défile au rythme lent des interminables salutations, des éclats de rire, du cirage des souliers, des discussions autour du thé et des prières en direction de La Mecque.

En Afrique de l’Ouest, les relations entre les patronymes ou entre les groupes ethniques sont régies par des règles humoristiques. C’est ainsi que Luc Couillard est devenu Malick Coulibaly et Emmanuel Le Colleter a été rebaptisé Mamadou Keita. « Cela nous a donné l’agréable impression d’être intégrés dans la famille et a constitué notre carte de visite pour participer au jeu du "cousinage", une pratique répandue au Mali. »

Héritiers d’une longue tradition orale, les Maliens sont toujours avides de partager les éléments de leur culture, de discourir sur les relations hommes femmes ou de raconter l’histoire de leur pays issu d’un empire à la source des grandes civilisations de l’Afrique de l’Ouest.

Les similitudes avec des gens dont les racines sont si éloignées des nôtres, mais dont les préoccupations professionnelles sont pourtant si communes aux nôtres fut l’une des découvertes de nos missions. Un peu comme si nos professions pouvaient nous ouvrir la porte d’un vaste monde.

Nos séjours ont été grandement facilités par le CECI, qui nous a adéquatement préparés avant le départ et nous a bien accueillis à Bamako en facilitant notre intégration là-bas.

Ce Congé solidaire nous laisse le désir de nous ouvrir à l’autre à la façon malienne, sans peur et sans jugement, et d’apporter un peu de joie de vivre africaine dans notre quotidien montréalais. Car après tout, « Y a pas de problèmes », n’est-ce pas?

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr