Bouger moins ou bouger mieux

Dimanche 21 mars 2010
Mobilité durable
New York
Ana Abecia-Chevrot
Chargée de projet
Norda Stelo inc. (anciennement Planifika)

Changements climatiques, croissance de la congestion dans les principaux centres urbains, augmentation du prix du pétrole, le contexte actuel impose de répondre efficacement aux enjeux de développement durable qui se sont cristallisés ces dernières années.

En effet, ces enjeux sont complexes et prononcés et supposent de répondre à la demande croissante en transport des personnes et des marchandises tout en tenant compte d’un impératif de conservation des ressources humaines et environnementales.

Le Sommet de Copenhague a montré que ces préoccupations sont partagées mondialement et soulignent des réalités différentes selon les pays. Le concept de mobilité durable s’inscrit complètement dans cette dynamique, et bénéficie aujourd’hui d’une grande popularité, souvent sans que les gens en saisissent toutes les implications.

Une définition de la mobilité durable

La mobilité durable consiste à assurer le déplacement des personnes et des marchandises tout en tenant compte des facteurs économiques, environnementaux et sociaux, à court et à long termes. Le concept de mobilité durable provient de l’application des notions de développement durable aux domaines des déplacements et du transport.

Selon le Centre pour un transport durable (Université de Winnipeg, 2002, repris par l’Union des municipalités du Québec), un système de transport durable est un système : « qui permet aux individus et aux sociétés de satisfaire leurs principaux besoins d’accès d’une manière sécuritaire et compatible avec la santé des humains et des écosystèmes avec équité entre les générations; dont le coût est raisonnable, qui fonctionne efficacement, qui offre un choix de moyens de transport et qui appuie une économie dynamique; qui limite les émissions et les déchets de manière à ce que ceux-ci ne dépassent pas la capacité que possède la planète de les absorber, minimise la consommation des ressources non renouvelables, limite la consommation des ressources renouvelables dans le respect des principes de développement durable et réutilise et recycle ses composantes tout en minimisant l’usage des terres et le bruit. »1

Le Plan de transport de Montréal propose une version appliquée plus facile à intégrer : « les objectifs stratégiques du Plan de transport de Montréal (2007) qui reflètent clairement une volonté d’atteindre une mobilité durable sont :

  • offrir des conditions optimales de déplacement en matière de temps, de confort, de sécurité et de coût;
  • améliorer la qualité de vie des citoyens, notamment dans les domaines de la santé et de la sécurité;
  • améliorer la qualité de l’environnement;
  • soutenir le dynamisme de l’économie montréalaise;
  • planifier conjointement le transport et l’aménagement du territoire. »2

La notion de mobilité durable constitue la recherche d’un compromis entre les volets environnemental, économique et social, qui correspond au triangle généralement utilisé pour schématiser les démarches de développement durable. En France, les objectifs des démarches de planification des déplacements, appelées Plans de déplacements urbains (PDU) répondent au « défi d’une mobilité durable, c’est-à-dire équitablement partagée, environnementalement soutenable et économiquement viable [qui] ne saurait être relevé sans que soient remis en cause des choix modaux qui appartiennent à un monde révolu »3.

La mobilité durable constitue donc non seulement un compromis entre les trois volets de la durabilité (environnement, économie et social), mais également un équilibre entre les désirs personnels et les objectifs collectifs, l’objectif étant d’arriver à un compromis optimum entre les approches personnelles et collectives. Pour Jean-Pierre Orfeuil, professeur à l’université Paris-Est (Créteil, Val de Marne), il s’agit donc a priori « d’un compromis entre plusieurs impératifs antagonistes. Du point de vue de l’environnement, il vaudrait mieux […] qu’on se déplace assez peu. Or, du point de vue social, les plus démunis doivent pouvoir se déplacer davantage qu’aujourd’hui. Enfin, du point de vue économique, les échanges doivent être favorisés. » Il apparaît que ce compromis, difficile à atteindre, se définit en fonction des espaces, du temps et des pratiques individuelles et des choix de chacun.

La mobilité et le temps

La problématique du temps est vaste et complexe à analyser. Une journée de déplacements dans un espace donné est caractérisée par la coexistence de plusieurs rythmes de vie, très différents les uns des autres. Même si les déplacements pour motif de travail représentent 51 % des déplacements dans la région de Montréal5, les études et les loisirs prennent une place importante dans l’organisation de la mobilité. La perception et l’utilisation du temps sont très variables d’un individu à l’autre et l’utilisation du temps par les services, les organisations, etc., diffère encore plus.

Une analyse de la période de pointe permet d’illustrer ces variations et les opportunités qui en découlent. La période de pointe du matin, définie par le ministère des Transports du Québec, s’étale de 6 h 30 à 8 h 596. Au cours de cette période, on connait la plus forte congestion du réseau viaire, principalement liée aux voitures particulières, mais également une offre en transport en commun accrue. L’ensemble des réseaux de transport est dimensionné selon la capacité requise par la période de pointe du matin, ce qui est extrêmement coûteux pour la collectivité, car cela suppose un surdimensionnement pour les autres heures de la journée. La période de pointe devient l’élément qui détermine les flux de déplacement principaux.

Si l’on se réfère aux horaires des services et des commerces, le constat est relativement brutal, avec des heures d’ouverture et de fermeture qui ne correspondent pas ou plus aux rythmes de vie de la majorité des individus.

Une journée type d’un travailleur conjugue plusieurs déplacements : aller au travail, amener les enfants à la garderie ou à l’école, effectuer des courses en rentrant et ne pas oublier d’aller chercher les enfants… Tous ces déplacements supposent, en plus, d’étudier leur transcription relative en ce qui concerne le transport : l’horaire de l’autobus me permettra-t-il de me déplacer pour effectuer toutes les activités ? Le réseau routier ne serat- il pas congestionné et me permettra-t-il d’arriver à temps à la garderie ? Coordonner les rythmes des services urbains facilite la vie quotidienne de tous les habitants, l’objectif étant de rendre la ville plus souple et mieux adaptée dans son fonctionnement.

L’enjeu devient donc d’articuler les rythmes de vie et les rythmes du territoire. Pour améliorer la qualité de vie quotidienne, il est impératif de réduire les dysfonctionnements issus des rythmes urbains en matière de services, de mobilité et d’usages de la ville.

L’intervention sur les horaires décalés, l’apparition du temps partagé, la possibilité de réaliser du télétravail sont des éléments clés qui permettent de gérer différemment le rythme de la vie et de la ville. Ces outils doivent permettre d’adapter les transports durables aux flux de déplacements et d’adapter ces flux aux capacités des différents réseaux de bénéficier d’une utilisation optimale.

La mobilité et l’espace

L’organisation spatiale d’un territoire, l’emplacement des activités et des services, la position des zones résidentielles et la forme urbaine, la mixité fonctionnelle et sociale des territoires sont des éléments majeurs pour structurer la mobilité.

C’est dans l’espace que la mobilité se crée.

Le modèle des villes nord-américaines de la seconde moitié du XXe siècle repose sur l’adaptation de l’espace urbain à la voiture, ce qui s’est traduit concrètement par une tendance forte à l’étalement urbain. Les aménagements urbains, la structure du territoire répondent à des impératifs liés à l’usage de l’automobile.

Dans une ville québécoise moyenne, il semble extrêmement difficile ou en tout cas chronophage de se déplacer en utilisant un moyen de transport durable et de réaliser, en plus du déplacement domicile-travail ou domicileétudes, l’ensemble des achats et des services nécessaires.

Si tous ces services ou commerces étaient rassemblés dans un espace plus restreint, les modes actifs comme le vélo et la marche à pied prendraient une dimension plus importante et, surtout, permettraient de réaliser plusieurs activités en réduisant le temps et le coût du déplacement.

Il existe un lien tacite entre urbanisme, aménagement et transports en commun et actif. Une solution de plus en plus populaire consiste à définir une approche intégrée avec des orientations en aménagement, en urbanisme, en planification des transports en commun et des transports actifs.

Il est indispensable de pouvoir intervenir sur le patron des déplacements pour réduire les distances nécessaires, de manière à favoriser les transports actifs. Pour les déplacements plus longs, il faut massifier les flux, en agissant sur la densité des habitations et des activités, pour les rendre compatibles avec le transport en commun.

L’intervention sur le bâti existant est extrêmement longue et complexe, et il est probable que des modes intermédiaires, comme l’autopartage ou le covoiturage, devront s’imposer pour corriger une partie des erreurs passées.

La mobilité comme choix personnel

Enfin, il ne faut surtout pas oublier que la mobilité est personnelle, elle dépend de chaque individu, qui a une histoire, des contraintes et des objectifs différents. Même si une conscience environnementale émerge de plus en plus ces dernières années dans les choix modaux, cela reste encore secondaire, le choix d’une mobilité durable est donc un choix éminemment personnel.

Plusieurs mesures existent pour inciter les individus à faire des choix durables, en intervenant sur la promotion d’une gestion durable des déplacements pour diminuer leurs impacts environnementaux.

Les employeurs peuvent jouer un rôle majeur dans le choix du mode effectué par leurs employés. Depuis plusieurs années, et dans de nombreux pays, les plans de déplacements en entreprise mettent en oeuvre un ensemble cohérent d’actions destiné à inciter les employés à réduire leur utilisation de l’automobile au profit des autres modes ou usages : transport collectif, vélo, marche à pied, covoiturage. Ces plans favorisent également l’évolution des comportements sur les questions de mobilité et de promotion des transports durables. Il s’agit d’une démarche dynamique d’optimisation des processus et des coûts en regard de la mobilité.

Les établissements scolaires et universitaires peuvent également avoir un impact déterminant sur les parts modales des différents modes de transport. Les résultats par exemple des démarches de cartes universelles ou d’accès libre réalisées à Sherbrooke montrent que la structure des déplacements peut être fortement modifiée par une intervention tarifaire, surtout dans le cas d’une population très sensible au prix.

Intervenir sur la disponibilité du stationnement à destination du déplacement joue un rôle majeur sur le choix modal des individus, avec des impacts importants. Certaines études vont jusqu’à évaluer que plus d’un individu sur deux peut changer son mode de déplacement en fonction de la disponibilité ou du tarif du stationnement à sa destination. Cette liste d’interventions est loin d’être exhaustive.

La mobilité durable est un enjeu qui nous concerne tous. La complexité des facteurs déterminant la structure des déplacements d’une population, d’une agglomération ou d’une région suppose de multiplier les interventions.

Il n’existe pas de modèle standard et transposable d’un pays à l’autre. La structure et l’organisation du territoire, les rythmes de vie et tous les facteurs qui orientent les choix personnels créent une situation particulière à chaque espace. Il faut donc être capable d’adapter les actions et les interventions à la réalité du territoire visé.

Ultimement, les efforts de marketing devront être soutenus pour rendre attrayants les modes de transport durable et valoriser socialement ceux qui les choisissent. Il y a peu posséder un véhicule utilitaire sport était connoté positivement. Pour que notre société soit compatible avec des pratiques de mobilité durable, il faut espérer que, dans un futur proche, prendre les transports en commun ou aller en vélo au travail sera considéré comme un acte fort, engagé et positif.

1. Le Centre pour un transport durable. Définition et vision du transport durable. 2002. 5 pages.

2. Ville de Montréal. Plan de transport 2007. Réinventer Montréal. 2007. 155 pages.

3. Grenelle de l’environnement, (page consultée le 1er novembre 2007, Grenelle environnement : lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande d’énergie [En ligne]. Adresse URL : http://www.forum.gouv.fr/article_archive.php3?id_article=228&entrer_foru... forum=2&deplier=1&order_by=titre

4. Orfeuil, J.-P. Les bolides verts, Sciences et Avenir, n 669-novembre, 2002.

5. Agence métropolitaine de transport. Enquête Origine-Destination 2008. La mobilité des personnes dans la région de Montréal, faits saillants. 2010. 28 pages.

6. Ministère des Transports du Québec, Réseau de transport de la Capitale, Société de transport de Lévis. Enquête Origine – Destination 2006. La mobilité des personnes dans la région de Québec. Faits saillants. 2008. 25 pages.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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