Atteindre la mobilité : pourquoi les villes doivent-elles optimiser leurs investissements

Vendredi 21 décembre 2012
Infrastructures de transport, Mobilité durable, Sécurité et Aménagement, Technologie, Gouvernance, Infrastructures de transport, Mobilité durable
Mobilité durable des villes

Le contexte

Les cycles d’investissement dans les infrastructures municipales reviennent en force et pour cause : délaissées trop longtemps, quelquefois mal entretenues et souvent exploitées au-delà de leur durée de vie anticipée, plusieurs infrastructures du Québec nécessitent des travaux de réfection majeurs pour permettre aux villes de maintenir leurs activités.

La croissance démographique n’est toutefois plus au rendez-vous pour financer les investissements requis et les besoins sont de plus en plus variés, notamment sur le plan environnemental.

Le constat est sans équivoque : nous exigeons des budgets municipaux et gouvernementaux affectés aux infrastructures une performance sans cesse croissante. La pression, déjà considérable au tournant du XXIe siècle, ne cesse d’augmenter alors que les exigences environnementales et les besoins en transport collectif s’accélèrent.

Le problème, en résumé, est le suivant : les infrastructures vieillissent et doivent être remplacées alors que la tâche est de taille, qu’elle requiert des compromis et des analyses complexes et coûteuses. Du coup, cela a un impact sur des investissements potentiels dans plusieurs aspects de mobilité durable tels qu’une expansion des infrastructures de transport électrique, de transport actif et de transport en commun qui permettrait une réduction importante des gaz à effet de serre.

L’un des avantages concurrentiels des villes du Québec, dont Montréal, est la qualité de vie que plusieurs qualifieraient d’exceptionnelle. Des infrastructures plus solides permettant une mobilité prévisible, des citoyens en meilleure santé grâce à une augmentation du transport actif et un système de transport en commun de qualité sont des moyens d’augmenter cet avantage de façon appréciable.

L'objectif principal étant l’amélioration de la qualité de vie des citoyens, l’impact est-il strictement environnemental ou est-il aussi économique ?

Certains reprochent souvent aux différents paliers de gouvernement de manquer d’efficacité. Mais rares sont ceux qui proposent des solutions concrètes; dans ce cas-ci, les pistes sont claires. L’objectif principal de la Ville devrait être de mieux prioriser ses investissements de réfection, d’augmenter la coordination entre les différents services d’infrastructure, de faire des interventions proactives ciblées et donc d’augmenter la durabilité de toutes les infrastructures.

Cela aura pour effet d’accroître l’espace fiscal permettant d’encourager la mobilité durable, thème qui fait l’objet de cet article.

Une meilleure régie des actifs municipaux?

De toute évidence, nous vivons les conséquences des décisions qui, au cours des années précédentes, ont imposé des délais dans la réfection, la réparation ou le remplacement d’infrastructures. Plusieurs bris d’infrastructure catastrophiques, ici et ailleurs (par exemple, la tragédie d’eau potable à Walkerton, en Ontario), furent autant de signaux d’alarme, provoquant un changement de cap majeur en allant jusqu’à imposer, dans certains cas, une réglementation sur la gestion responsable des actifs municipaux.

Les administrations municipales ont donc dû mettre l’accent sur une meilleure régie de leurs infrastructures. Mais ce virage entraîne sa propre complexité, car des budgets plus élevés ne se gèrent pas aussi facilement.

En effet, l’allocation de crédits aux diverses priorités ne fait pas nécessairement consensus : devrions-nous investir dans un projet routier, faire plus de place au transport collectif, aux pistes cyclables ? Réparer le vieux ou construire du neuf?

Montréal n’est certes pas la seule ville québécoise à faire face à ces défis, car les tendances sont les mêmes ailleurs au Québec – et dans l’Est du continent nord-américain. Mais en tant que métropole provinciale, au cœur de l’activité économique, son cas est particulièrement intéressant.

Depuis quelques années, Montréal renouvelle le réseau d’aqueduc, sans avoir pu (à ce jour) devancer l’apparition de certains problèmes liés au manque d’entretien des années passées. L’intention, cependant, est de suivre le courant tracé par les pionniers du domaine et de passer du mode « réactif » au mode « proactif ».

Nos priorités sont-elles les bonnes?

Selon certaines données rendues publiques concernant Montréal, plus de 9 % des dépenses courantes sont consacrées au transport collectif, alors que l’eau et les routes représentent à peine plus, soit 10,8 %. Mais pour les immobilisations, le contraste est frappant : sur les 4,1 G $ du programme triennal d’immobilisations (PTI) de Montréal 2013-2015, près de 2,1 G $ (plus de 50 %) sont destinés à la réhabilitation des infrastructures d’eau et des infrastructures routières… alors que les projets de voirie relatifs aux transports collectif et actif – pourtant une priorité (pour l’environnement et la santé) – ne cumulent que 151,9 M $, soit 4 % du PTI.

Mais est-il possible de faire des choix de priorités éclairés sans collaboration? Force est de constater que la collaboration interdépartementale ne fait toujours pas partie de la culture organisationnelle, réduisant ainsi l’efficacité des efforts fournis. Cette collaboration est particulièrement importante, car les actifs principaux des villes – routes, aqueducs, conduite d’égouts, trottoirs, transport en commun – sont intimement liés par leur proximité physique. Et la défaillance d’une composante entraîne des conséquences fâcheuses pour les autres…

La vision

Les enjeux suggèrent déjà les pistes de solution : plus de collaboration entre départements pour prédire les besoins et prioriser les dépenses; plus d’information en temps réel sur les besoins immédiats et une meilleure modélisation des besoins anticipés dans les futurs immédiats et plus lointains.

Poussons la vision plus loin : une ville modèle qui peut suivre l’état et le fonctionnement de tous ses actifs, coordonner et synchroniser les activités de toutes les agences qui les maintiennent; une ville qui augmente sa productivité et baisse ses coûts à l’aide de la modélisation, de l’analytique avancée et d’une vue unifiée de ses opérations. Ajoutons aussi des responsables municipaux qui peuvent planifier et prioriser en ayant une vue d’ensemble de toutes les activités de la ville.

Concrètement, cette vision nous mène à anticiper les besoins, prescrire les investissements optimaux, coordonner les investissements et les concrétiser de façon unifiée pour augmenter la durée de vie par dollar dépensé. Cela nous permet d’être assurés que le dollar dépensé, qu’il soit alloué pour réparer une route, exploiter un autobus ou un métro, construire une piste cyclable ou installer une chemise dans un égout centenaire, a été investi de façon optimale et responsable.

Que faire, concrètement, pour atteindre cet objectif?

Les éléments essentiels : documenter les faits

D’abord, il faut solidifier notre compréhension, en allant jusqu’à codifier les facteurs qui influencent les décisions d’immobilisations. Sans clarté sur ces éléments, il est difficile sinon impossible de prioriser les investissements adéquatement.

Ces facteurs comprennent les considérations suivantes :

  • L’influence publique ou politique, comme la distribution géographique, le nombre de plaintes des citoyens, les besoins de conservation du patrimoine;
  • La performance ou l’importance des actifs, tels que les bris anticipés, les infrastructures critiques aux abords d’un hôpital par exemple;
  • La capacité d’exécution (y a-t-il assez de savoir-faire dans un domaine pour effectuer tous les travaux d’un coup ?);
  • Le financement (les sources de financement sont-elles suffisantes et appropriées pour les projets envisagés ?).

Une fois le constat établi et compris, il faut aller chercher les données brutes qui seront autant d’apports au modèle de décision. Trois types de données sont pertinents :

  • Pour chaque département (réseau routier, aqueducs, autres infrastructures), une analyse prédictive de la performance des actifs, permettant de déterminer d’office les actifs non performants; (« Quelle vie utile reste-t-il aux routes, égouts, conduites, à un tronçon de rue, etc.? »);
  • L’établissement de toutes les possibilités d’investissement ainsi que leur impact et leur durabilité à court (moins de cinq ans) et à long terme (jusqu’à 100 ans) (« Repaver la rue en 2013 ou la refaire au complet en 2016? Réhabiliter une conduite en 2014 ou la remplacer en 2019? »);
  • L’assurance d’optimiser les dépenses et les investissements; par exemple, creuser une tranchée une seule fois.

Trop de données? Pas quand on parle de « Big data »

Ces éléments seront autant de composantes qui permettront à la Ville d’optimiser ses investissements et ses opérations. Cela ne sera pas facile, car des actifs voisins ont rarement une fin de vie utile synchronisée et certaines sources de fonds ne peuvent pas être utilisées à certaines fins (par exemple, la portion de la taxe foncière consacrée à l’eau ne peut être utilisée qu’à cet usage).

La multitude de scénarios possibles peut atteindre des centaines de milliers de possibilités et – face à cette montagne de données – les analyses manuelles et traditionnelles sont presque certainement caduques, et absolument sous-optimales.

Ces conditions expliquent l’engouement de certains leaders municipaux pour une nouvelle approche. Les variables énumérées, alliées à l’énorme panoplie de projets que représente un chantier de l’importance de celui de la ville de Montréal, constituent un défi de taille, que nos collègues des technologies de l’information qualifient de « Big data » – un environnement ou l’on retrouve quantité de données.

Il devient impensable de gérer cet ensemble de données par le biais de fichiers Excel, car ceux-ci (outre leur incapacité à effectuer une optimisation!) ne peuvent simplement pas soutenir des décisions comportant ce nombre de variables, ni intégrer des données se trouvant dans divers logiciels de gestion des actifs, dans des logiciels financiers, des systèmes d’information géographique… ni encore assurer le suivi des projets une fois qu’ils ont démarré.

En même temps que pullulent les sources d’informations importantes, il faut pouvoir en tirer des conclusions rapidement et efficacement, d’où le besoin de se doter de tableaux de bord adaptés à l’utilisateur, quel que soit son rôle ou son département – mais où tous les intervenants peuvent puiser leurs informations à la même source pour éviter les décisions non complémentaires. Ces sources d’informations servent à nourrir le modèle de prédiction, qui permet de savoir à l’avance où seraient mieux dépensés les fonds disponibles, selon leur source et leur libellé.

Ainsi, en ayant les données en main, en utilisant les systèmes d’analytique et d’optimisation des dépenses, la Ville peut faire des choix plus éclairés.

Les garants de succès : comprendre les impondérables

Il serait téméraire de croire que toute prédiction sera parfaite; mais il est possible, cependant, de se parer contre l’imprévu en tenant compte de plusieurs autres variables.

Certains actifs ont un impact plus important sur la qualité de vie des citoyens, mais cet impact est rarement quantifié de façon uniforme, compliquant l’élaboration de compromis. Il faut donc chercher à comprendre les perceptions des citoyens vis-à-vis de l’importance des infrastructures qui nécessitent une réfection.

Il faut aussi être réaliste sur la disponibilité et la validité des données brutes : comme vous le dira tout bon informaticien, « garbage in, garbage out »… Et, malheureusement, l’historique de l’entretien des actifs n’est pas toujours documenté, ou ne l’est pas d’une manière qui le rend accessible aux technologies de l’information. Il faut s’assurer que les décisions sont prises à partir de données qui sont au-dessus de toute critique.

Par exemple, les écarts entre la vie théorique et la vie pratique d’un actif peuvent varier considérablement selon l’usage et l’environnement – et les prévisions sont quelquefois loin de la réalité. Il faut donc faire preuve de flexibilité dans l’interprétation des données, même celles qui sont informatisées.

Nous y avons fait allusion plus tôt, le partage de données entre départements et agences est essentiel à l’optimisation globale des décisions. Il faut donc encourager le décloisonnement et réunir les données des différentes agences pour permettre une véritable collaboration.

Cette vision, déjà en action

En 2005, la Ville de Cambridge a commencé à colliger des données sur son réseau d’infrastructures grâce à la création d’un département de gestion des actifs qui comprennent 500 km de routes et 2000 km de conduites souterraines, quelquefois âgées de plus de 100 ans.

Elle a déployé, au fil des années, des caméras robotisées, des GPS, des systèmes d’information géographique… Elle a procédé à l’inventaire de ses actifs, ainsi qu’à leur évaluation financière. L’état des infrastructures est en voie d’être documenté et la Ville a commencé à prioriser les investissements en entretien et en réfection (ou remplacement) des infrastructures. Ce travail permet de projeter les besoins en immobilisations de façon beaucoup plus précise, en tenant compte du cycle de vie complet de la composante, tout en appuyant les politiques de taxation et de tarification (de l’eau, par exemple).

Conclusion

Il est clair que la convergence de plusieurs facteurs – démographiques, historiques, économiques et technologiques – force d’ores et déjà la main des leaders municipaux.

Aux prises avec des infrastructures désuètes dans bien des cas, une croissance économique et démographique moins rapide que par le passé, et des budgets qui ne peuvent pas augmenter aussi rapidement qu’il serait nécessaire, tout en faisant face aux citoyens qui en veulent plus pour leur argent, ces leaders doivent optimiser les budgets qu’ils dépensent et démontrer de manière transparente que la Ville dépense au bon moment, au bon endroit.

Avec des priorités plus clairement établies, des dépenses mieux ciblées, les Villes pourront dégager une marge de manœuvre leur permettant d’accélérer leurs investissements en mobilité durable.

Ce n’est qu’en adoptant un système d’optimisation de l’investissement, basé sur les caractéristiques énumérées dans cet article, qu’un tel progrès peut être assuré – pour l’an prochain, et à long terme.

Les municipalités tirent plusieurs bénéfices de ces systèmes :

  • Rationalisation des efforts de planification des immobilisations;
  • Amélioration de la coordination entre départements et agences;
  • Optimisation des dépenses selon la source de revenus;
  • Baisse des dépenses d’immobilisations et de coûts d’exploitation;
  • Augmentation de la productivité;
  • Délais d’exécution plus courts;
  • Rapidité d’analyse de divers scénarios de projets;
  • Meilleure compréhension et communication des compromis choisis;
  • Plus grande transparence autour des choix d’investissement.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr