Le transport et la santé des populations : état de la situation et leviers pour améliorer les stratégies de mobilité durable

Lundi 30 mars 2015
Mobilité durable, Mobilité durable
Transports urbains
Patrick Morency
Médecin spécialiste en santé communautaire
Direction de santé publique de Montréal
Sophie Paquin
professeure et urbaniste
Direction de la santé publique de Montréal
Louis Drouin
Responsable médical, Environnement urbain et santé
Direction de la santé publique de Montréal
Louis-François Tétreault
Toxicologue
Direction de la santé publique de Montréal

Introduction

Depuis maintenant plusieurs années, il est reconnu que les systèmes de transport de personnes dans les régions urbaines ont des impacts diversifiés sur la santé de la population (OMS, 2000; DSP, 2006). Ces impacts se manifestent à la fois de manière directe (accidents de la route) ou de façon indirecte par une détérioration de la qualité de l’environnement ou des pratiques de mobilité.

Cet article présente les principales relations entre la santé des populations et le transport des personnes et brosse un rapide panorama des grandes stratégies d’action pour augmenter les bénéfices des déplacements sur la santé et en atténuer les impacts dommageables.

 

Les principaux impacts sur la santé du transport dans les milieux urbains

Certaines relations entre le transport et la santé se démarquent particulièrement dans la littérature scientifique : les accidents de la route, le bruit urbain, la pollution atmosphérique et les émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables des changements climatiques de même que l’inactivité physique. Ces effets constituent des facteurs de risque importants pour plusieurs problèmes de santé. Néanmoins, d’autres effets du transport sur la santé commencent aussi à être documentés, que ce soit l’isolement social, la santé mentale (Dannenberg et coll., 2011) ou les relations entre les inégalités sociales et les aménagements routiers (Morency et coll., 2012).

 

1. Accidents et blessés de la route

Les traumatismes routiers sont l’une des principales causes de mortalité et de morbidité dans le monde. Selon les rapports d’accident des policiers, en 2013, 5 167 occupants de véhicules, 746 cyclistes, 1 194 piétons et 251 motocyclistes ont été blessés sur l’île de Montréal. Comparativement à 2003-2007, de 2008 à 2013, le nombre d’automobilistes (- 25 %), de piétons (- 16 %) et de cyclistes (- 7 %) blessés sur l’île de Montréal a néanmoins diminué. Pour confirmer cette tendance, il serait judicieux d’utiliser des sources de données complémentaires (ex. : ambulances, hospitalisations). À Montréal, il y a beaucoup plus de piétons, de cyclistes et d’automobilistes blessés aux intersections des quartiers défavorisés qu’aux intersections des quartiers plus riches (Morency et coll., 2011; Morency et coll., 2012). Ce gradient socioéconomique s’explique en grande partie par le plus grand nombre d’artères, les volumes de circulation plus élevés, la vitesse des déplacements motorisés et les conditions des aménagements routiers principalement aux intersections.

 

2. Bruit, pollution atmosphérique et GES responsables des changements climatiques

Les véhicules motorisés sont l’une des sources principales de bruit et de pollution de l’air dans les villes. Souvent reconnu comme une nuisance, le bruit environnemental, principalement issu du transport dans les zones urbaines, est maintenant une problématique de santé grandissante. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) reconnait que le bruit environnemental peut être à l’origine de perturbations du sommeil, d’une diminution de la performance cognitive chez les enfants et de certaines maladies cardiovasculaires (hypertension et infarctus du myocarde). Cette organisation propose donc un seuil de bruit de 55 dB(A) maximum durant la journée et de 40 dB(A) durant la nuit (OMS, 2011). Une campagne d’échantillonnage conduite en 2010 par la Direction de santé publique de Montréal a déterminé que le seuil de 55 dB(A) était dépassé sur environ 70 % des sites durant le jour et sur 25 % des sites durant la nuit (Massé, 2011).

Au Québec, le secteur du transport est la principale source d’émissions de polluants atmosphériques (MDDEP, 2011a). En 2008, 75,8 % des émissions de NOx, 36,9 % des émissions de composés organiques volatils et 16 % de PM2.5 ont été attribués à ce secteur (MDDEP, 2011). La pollution de l’air peut entrainer des problèmes respiratoires et cardiaques allant jusqu’à la mortalité (OMS, 2004). Dans l’agglomération de Montréal en 2000, le fardeau sanitaire de la pollution de l’air issu du transport routier était estimé à plus de 250 décès et plus de 1 000 cas de bronchites infantiles aiguës (Bouchard et Smargiassi, 2008; Sawyer et coll., 2007). La pollution de l’air est également reconnue comme un facteur pouvant influencer l’asthme infantile. Selon une étude américaine environ, 8 % du fardeau de l’asthme serait attribuable à la pollution de l’air issue du trafic routier (Perez et coll., 2012). Il s’agit d’un important fardeau puisqu’une enquête montréalaise identifie qu’environ 15 % des enfants de 6 mois à 12 ans ont été diagnostiqués asthmatiques (Jacques et coll., 2008).

De plus, le transport routier est reconnu comme étant la source prépondérante de gaz à effet de serre (GES) au Québec et correspondait à 33,3 % des émissions québécoises en 2010. Entre 1990 et 2010, alors que les émissions industrielles et résidentielles diminuaient (respectivement 11,4 % et 40 %), les émissions produites par le transport routier ont quant à elles augmenté de 35,4 %. Les changements climatiques associés aux gaz à effet de serre ont plusieurs impacts à l’échelle planétaire, mais, pour la région de Montréal, le réchauffement planétaire est notamment relié à l’accroissement de la distribution de certaines maladies (ex. : période et intensité des allergies saisonnières) ainsi qu’à l’augmentation des canicules.

 

3. Inactivité physique et mobilité

La majorité de la population n’atteint pas les recommandations hebdomadaires minimales d’activité physique. Au Québec, 42 % de la population serait peu active ou sédentaire lors de ses loisirs (Statistique Canada et Institut de la statistique du Québec 2013, cités par le MELS, 2013). À Montréal, en 2012, 21 % de la population âgée de 15 à 69 ans rapportait un faible niveau d’activité physique (DSP, 2014). L’inactivité physique est un facteur de risque démontré pour l’obésité et les maladies chroniques comme l’hypertension artérielle et autres maladies cardiovasculaires, le diabète de type II et certains types de cancer (Comité scientifique de KinoQuébec, 1999).

Le transport actif constitue une solution alternative efficace pour diminuer l’inactivité physique, car ses bénéfices sur la santé sont bien démontrés tant en matière de prévention des maladies que de réduction des symptômes (OMS, 2006). De plus, comme le mentionne explicitement le livre vert sur la politique nationale d’activité physique, « les adultes âgés de 18 à 44 ans sont ceux à qui le transport actif apporte une contribution significative » (MELS, 2013 : 9). Il en est de même du transport collectif, puisque habituellement l’accès à ces services implique une part de transport actif. En fait, selon une étude montréalaise, le temps de transport actif nécessaire pour atteindre les accès du réseau de transport collectif pourrait être suffisant pour atteindre le niveau minimal d’activité physique hebdomadaire recommandé par l’OMS (Wasfi et coll., 2013).

 

Les stratégies d’action pour réduire les impacts sanitaires du transport

Les recherches scientifiques des dernières décennies montrent l’importance des effets de l’environnement bâti et de la mobilité sur la santé des populations. Les systèmes de transport et l’aménagement du territoire, façonnés par les décisions émanant à la fois des sphères publiques et privées, constituent maintenant une cible privilégiée pour améliorer la santé de la population. Essentiellement, tout en contribuant au dynamisme de l’économie, les approches efficaces pour assurer une mobilité urbaine plus sécuritaire, plus respectueuse de l’environnement et plus compatible à un mode de vie physiquement actif, adoptent une perspective de gestion de la demande qui se concentre autour des quatre grandes stratégies suivantes.

 

Stratégies sur le système de transport et la réduction du volume global de circulation automobile

Il s’agit notamment d’établir des stratégies basées directement sur la gestion de la demande (ex. : politique de stationnement, tarification routière) et d’améliorer l’offre de transport collectif, tant sous l’angle de la quantité, de la qualité que de l’abordabilité. Une augmentation des déplacements en transport collectif contribuera à accroitre l’activité physique globale de la population. De plus, le transport collectif est deux fois moins polluant par passager-kilomètre que l’auto solo (Kennworthy, 2003), en plus d’être de 10 à 20 fois plus sécuritaire (Association du transport urbain du Québec, 2009). D’autres solutions misant sur le transport alternatif à l’auto solo forment ce qui est convenu d’appeler l’écomobilité (ex. : auto partage, programmes-employeurs, etc.) et contribuent à fournir une offre diversifiée de mobilité. Pour effectuer un virage vers la mobilité durable et obtenir des effets sur la santé publique, ces stratégies de transport devraient s’accompagner de mesures pour réduire le volume global de kilomètres parcourus en auto solo dans l’agglomération urbaine, comme ce fut le cas à Londres ou à Strasbourg (Transport for London, 2014; Communauté urbaine de Strasbourg, 2000).

 

Stratégies d’apaisement de la circulation et de réduction des conflits entre usagers

Ces stratégies misent sur des aménagements physiques qui réduisent la vitesse de la circulation, minimisent les conflits aux intersections et assurent un meilleur partage de la rue entre les différents usagers. Ces mesures créent un environnement bâti plus sécuritaire et favorable à la pratique du transport actif tout en contribuant à la qualité de vie des résidants.

 

Stratégies visant l’amélioration des réseaux piétonniers et cyclables

La présence de trottoirs suffisamment larges et en bon état et le mobilier urbain contribuent au confort et à la sécurité des déplacements actifs. Le paysage urbain entourant ces infrastructures encourage la pratique de la marche en améliorant l’expérience des marcheurs. Il en est de même des aménagements sécuritaires pour cyclistes qui assurent un partage de la route entre tous les usagers et du développement des réseaux de voies cyclables interconnectées qui relient les lieux d’intérêt pour une meilleure intégration de la pratique du vélo à la vie quotidienne.

 

Stratégies portant sur le mode d’occupation du territoire

Tant à l’échelle métropolitaine qu’à l’échelle locale, la réduction de l’étalement urbain, l’aménagement d’une ville plus compacte et le développement de quartiers complets avec des résidences, des emplois, des services de proximité sont des conditions favorables pour améliorer la mobilité durable et la santé.

 

Des stratégies qui s’appuient sur des processus collaboratifs intégrés

Ces stratégies sont d’autant plus efficaces qu’elles se déploient dans une approche globale et intégrée des systèmes de transport et de l’aménagement du territoire. Cette approche multisectorielle et multiniveaux s’appuie sur une collaboration plus étroite entre les parties prenantes des différents secteurs qui ont une influence directe ou indirecte sur la mobilité. De plus, l’évolution de la mobilité sur le territoire québécois devrait être l’objet de cibles quantifiées et être monitorée au moyen de plusieurs indicateurs dont les véhicules kilomètres parcourus (vkp).

Afin de favoriser des politiques publiques éclairées, des études sur les incidences possibles des projets et des politiques seraient pertinentes. Pour arriver à cette fin, les études d’impact sur la santé, une méthode reconnue par l’OMS et employée au Québec, permettent d’évaluer les conséquences multiples de projets urbains (Viens et St-Pierre, 2014). Cependant, ces méthodes d’évaluation restent tributaires de la réalisation effective des interventions qu’elles permettent d’évaluer.

 

Conclusion

Les accidents de la route, le bruit urbain, la pollution atmosphérique, les changements climatiques et l’inactivité physique sont fortement associés aux systèmes de transport et génèrent des impacts documentés sur la santé. Toutefois, des solutions de prévention ou de mitigation existent. Les stratégies d’action sur la mobilité et l’aménagement du territoire doivent donc prendre en compte leurs effets potentiels sur la santé de la population.

 

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Sur la toile

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17 juin 2024

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