Vieillir en mobilité

Mercredi 21 mars 2012
Mobilité durable
Vieillir en mobilité
Marie-Hélène Vandersmissen
Professeure titulaire et Directrice
Université Laval - professionnels

Le vieillissement de la population est une question de plus en plus préoccupante dans le domaine du transport et de l’aménagement. La revue Journal of Transport Geography vient d’ailleurs d’y consacrer un numéro thématique. Aux États-Unis, les impacts de cette importante transition démographique ont même été reconnus par le Transportation Research Board comme un défi majeur pour les systèmes de transport (Pisarski, 2003; Transportation Research Board, 2001). Les grandes questions qui se posent sont : comment la croissance de la cohorte des 65 ans et plus et sa mobilité particulière vont-elles influer sur le système de transport et l’utilisation du sol? Et en retour, comment ceux-ci vont-ils influer sur la mobilité des personnes âgées?

Un premier aspect repose sur le fait que la population vieillissante actuelle (les 55-65 ans), du moins dans les pays développés, est plus riche et plus mobile que les générations plus jeunes, comme c’est le cas du Canada (Chen et Millar, 2000; Manual et Schultz, 2001; Newbold et collab., 2005; Mercado et Paez, 2009) et que cela représente donc une demande potentielle plus grande pour des activités sociales et de loisirs, lesquelles dépendent essentiellement de l’utilisation d’une automobile. Un deuxième aspect préoccupant est bien sûr celui de la sécurité routière des personnes âgées : leur dépendance à l’automobile pour la plupart de leurs déplacements et leur présence sur les routes font en sorte que, toutes choses étant égales par ailleurs, elles tendent à être plus souvent blessées ou tuées lors d’accidents de la route, en raison, entre autres, de leur plus grande vulnérabilité (Hakamies-Blomqvist, 2004; Eby et Molnar, 2009; Oxley et Whelan, 2008). Un troisième aspect préoccupant est lié à la diminution éventuelle de leur mobilité lors du retrait – volontaire ou imposé – de leur permis de conduire et à ses conséquences sur leur participation à la vie sociale, économique et culturelle, et conséquemment sur leur qualité de vie (Metz, 2000; Páez et collab., 2009). D’autres aspects sont liés à l’offre de transport public, à la congestion, aux impacts sur l’environnement (Rosenbloom, 2001), etc. Il est donc important de bien anticiper les besoins en transport d’un nombre croissant de personnes âgées ainsi que de prévoir et de comprendre leurs impacts sur le territoire. Cet article propose de documenter l’un de ces aspects, la mobilité, par une synthèse descriptive de l’évolution récente des schémas de déplacement quotidiens des personnes âgées demeurant dans la région métropolitaine de Québec (figure 1). Les données exploitées proviennent des enquêtes origine-destination 1996 et 2006 réalisées pour l’agglomération urbaine de Québec par le ministère des Transports (MTQ) et le Réseau de transport de la Capitale (RTC).

Un premier constat repose sur le changement de localisation résidentielle, point d’ancrage principal des déplacements : en 2006, 60 % des 65 ans et plus vivaient dans les nouvelles banlieues et en périphérie comparativement à 40 % en 1996. Les principales ressources liées à la mobilité des personnes âgées sont la possession du permis de conduire et celle d’une automobile. En 2006, 45 % des femmes âgées de 65 ans et plus ne possédaient pas de permis de conduire (comparativement à 13,5 % des hommes), mais elles étaient plus nombreuses dans cette situation en 1996 (63,4 %). Parmi ceux et celles ne détenant pas de permis de conduire, environ 10 % résidaient en périphérie en 2006, zone peu desservie par le RTC. Quant à la motorisation des ménages âgés, elle a également progressé entre 1996 et 2006 puisque la proportion de ménages non motorisés est passée de 11,9 % à 5,2 % alors que celle des ménages bimotorisés a progressé de 15,1 % à 24,5 % pour l’ensemble du territoire comparable. Le pourcentage de ménages non motorisés varie selon la zone de résidence : il atteint 17 % dans le vieux centre, mais ne dépasse pas 3 % en périphérie. Le choix du mode de déplacement s’est peu modifié au cours de la période étudiée, particulièrement du côté des hommes âgés : en 1996 comme en 2006, 86 % de leurs déplacements se font en automobile et pour la plupart en tant que conducteur (figure 2). C’est du côté féminin que des changements sont survenus : le poids des déplacements déplacements effectués en tant que conductrice d’automobile a augmenté de près de 14 points de pourcentage et a diminué de 7 points en tant que passagère. Le transport en commun a également perdu des adeptes : il a été utilisé pour effectuer 6,1 % des déplacements féminins en 2006 comparativement à 10,6 % en 1996. Autre différence notable entre les sexes, les femmes se déplacent plus souvent en marchant (15,6 %) que les hommes (9,8 %) et le poids de ce type de déplacement a peu changé en 10 ans. Sans surprise, ce mode de déplacement a la faveur des résidents du vieux centre (37,4 % des déplacements féminins et 30,4 % des déplacements masculins) et des anciennes banlieues, mais dans une moindre mesure. C’est également le cas de l’autobus, utilisé lors de 12,7 % des déplacements féminins et 6,5 % des déplacements masculins effectués à partir du vieux centre.

L’analyse des distances parcourues en automobile (conducteur ou passager), modélisées dans un réseau routier numérisé, tous motifs confondus, indique que les personnes âgées se déplacent sur de plus longues distances en moyenne en 2006 qu’en 1996 : 1,8 km de plus du côté masculin et 1,5 km de plus du côté féminin. Peu importe l’année et la zone de résidence, les hommes âgés se déplacent significativement sur de plus longues distances en moyenne que les femmes âgées.

Quant aux espaces d’activité, décrits par les résultats des analyses centrographiques des lieux de destination des déplacements effectués en automobile, le premier constat concerne l’augmentation de leur superficie, tant pour les hommes que pour les femmes âgées au fur et à mesure de l’éloignement de leur résidence des quartiers centraux, et cela tant en 1996 qu’en 2006, ainsi que la dispersion de plus en plus grande des lieux de destination du centre de cet espace d’activité. Cependant, au final, en 1996 comme en 2006, les espaces d’activité des femmes âgées demeurant dans le vieux centre ou les anciennes banlieues sont moins étendus que ceux des hommes et les lieux qu’elles fréquentent sont moins dispersés (figure 3). Par contre, lorsqu’elles demeurent dans les nouvelles banlieues ou en périphérie, leurs espaces d’activité tendent à être légèrement plus étendus que ceux des hommes et les lieux qu’elles fréquentent sont plus dispersés.

Ces constats vont dans le même sens que les résultats de recherche obtenus ailleurs et viennent appuyer des différences de mobilité existant entre les hommes et les femmes plus jeunes, bien que les écarts aient diminué ces dernières décennies (Vandersmissen, 2007). À ces caractéristiques de la mobilité se greffent les constats liés aux lieux de résidence indiquant que les personnes âgées tendent à vieillir là où elles ont vécu (Després et Lord, 2005; Lord et collab., 2009 a et b) mais que ces lieux sont de plus en plus éloignés.

Au final, ces descriptions nous renseignent autant qu’elles soulèvent d’autres questions liées, par exemple, aux différences entre les sous-groupes d’âge à l’intérieur du groupe des aînés, en fonction des lieux de résidence et d’autres caractéristiques mises en évidence dans cet article. D’autres analyses devront être menées afin d’avoir un portrait plus précis des pratiques de mobilité des aînés. D’ici là, la dépendance à l’automobile et la faible utilisation du transport en commun ne peuvent que laisser songeur sur la mobilité ou l’absence de mobilité et ses conséquences en cas de perte du permis de conduire. Bien que le transport en commun soit une solution alternative dans les secteurs desservis, sa faible utilisation soulève des questions : s’agit-il de peur ou d’insécurité, de méconnaissance du service ou de son inadaptation aux besoins des personnes âgées? Certaines expériences réalisées dans d’autres villes, telles que des cours de mobilité pour les personnes âgées, des parcours d’autobus spécialement adaptés aux besoins des personnes âgées vont dans ce sens. Autant d’indications qui ne peuvent qu’aider à améliorer la mobilité des personnes âgées.

Références bibliographiques

Chen, J., Millar, W.J. (2000) Are recent cohorts healthier than their predecessors? Statistics Canada, Health Reports, 9-24.

Després, C., Lord, S. (2005) The meaning of home for elderly suburbanities. In Rowles, G.D. & Chaudhury H. (dir.). Home and Identity in Late Life: International Perspective. New York, Springer.

Eby, D.W., & Molanr, L. J. (2009) Older adult safety and mobility. Issues and research needs. Public Works Management & Policy, 13 (4), 288-300.

Hakamies-Blomqvist, L., & Siren, A. (2003) Deconstructing a gender difference: driving cessation and personal driving history of older women. Journal of Safety Research, 34 (4), 383-388.

Lord, S., Joerin, F., et Thériault, M. (2009a) La mobilité quotidienne de banlieusards vieillissants et âgés : déplacements, aspirations et significations de la mobilité. The Canadian Geographer/Le Géographe canadien, 53 (3), 357-375.

Lord, S., Joerin, F., et Thériault M. (2009b) Évolution des pratiques de mobilité dans la vieillesse : un suivi longitudinal auprès d’un groupe de banlieusards âgés. Cybergeo : European Journal of Geography [en ligne], Systèmes, Modélisation, Géostatistiques, document 444, mis en ligne le 23 mars 2009. URL : http://cybergeo.revues.org/index22090.html

Manual, D.G., & Schultz, S.E. (2001) Adding years to life and life to years: life and health expectancy in Ontario. ICES Atlas Report 1, Institute for Clinical Evaluative Sciences.

Mercado, R., & Páez, A. (2009) Determinants of distance traveled with a focus on the elderly: a multilevel analysis in the Hamilton CMA, Canada. Journal of Transport Geography, 17, 65–76.

Metz, D.H. (2000) Mobility of older people and their quality of life. Transport Policy, 7 (2), 149-152.

Newbold, K., Scott, D., Spinney, J., Kanaroglou, P., & Páez, A. (2005) Travel behavior within Canada’s older population: a cohort analysis. Journal of Transport Geography, 13, 340–351.

Oxley, J., & Whelan, J. (2008) It cannot be all about safety: the benefits of prolonged mobility. Traffic Injury Prevention, 9 (4), 367-378.

Páez, A.P., Scott, D.M., Potoglou, D., Kanaroglou, P., & Newbold, K.B. (2007) Elderly mobility: demographic and spatial analysis of trip making in the Hamilton CMA, Canada. Urban Studies, 44 (1), 123-146.

Pisarski, A.E. (2003) Prescriptions for research: reviewing the history of TRB_s critical issues in transportation. TR News, 226, 30–35.

Rosenbloom, S. (2001) Sustainability and the aging of the population: the environmental implications of the automobility of older people. Transportation, 28, 375-408.

Transportation Research Board (2001) Critical issues in transportation. TR News 217, p. 3-11.

Vandersmissen, M.-H. (2007) « Évolution récente de la mobilité à Québec : qu’en est-il des différences selon le genre? ». Dans P. Lannoy et T. Ramadier (dir.). La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne. Éditions Académia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, Belgique, 47-63.

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