Quel statut accorder aux utilisateurs d’aides à la mobilité motorisée

Mercredi 21 mars 2012
Sécurité et Aménagement
AMM sur trottoir
Jean-François Bruneau
Professeur associé - Doctorant
Université de Sherbrooke - étudiants
Pierre Maurice
Chef d’unité scientifique
Institut national de santé publique du Québec

La circulation croissante des fauteuils roulants motorisés, des triporteurs et des quadriporteurs sur les voies publiques nous amène à nous interroger sur la réglementation en vigueur dans le Code de la sécurité routière du Québec (CSR, 2011). Nous constatons que ni les aides à la mobilité motorisées, ni les règles pour encadrer la pratique et les utilisateurs ne sont encore définies. Cette problématique a été soulevée en 2007, par la Table québécoise de la sécurité routière. Pour combler ce vide juridique, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ont demandé à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) de produire un avis scientifique1 sur la question (Bruneau et al, 2011). Cet article présente une synthèse des grandes lignes de l’Avis de santé publique ayant trait aux aspects sociolégislatifs propres aux utilisateurs, à leurs appareils et aux différents environnements de circulation où la pratique peut être envisagée.

Deux objectifs prioritaires sont poursuivis :

  1. assurer la sécurité de tous les usagers des réseaux routier, piétonnier et cyclable;
  2. favoriser la mobilité piétonnière des personnes ayant des difficultés ou des incapacités à marcher.

Les thèmes clés du cadre légal à développer s’articulent autour de cinq questions, chacune se déclinant en sous-questions :

Quel devrait être le statut d’un utilisateur d’AMM?

  • Doit-on considérer seulement le type d’appareil ou aussi l’utilisateur?
  • Doit-on distinguer les types d’AMM (fauteuil vs triporteur/ quadriporteur)?
  • Doit-on distinguer les AMM des autres types d’appareils (ex. : Segway)?
  • L’utilisateur d’une AMM devrait-il être considéré comme un piéton et/ou un cycliste?

Doit-on contrôler l’accès à ce statut?

  • Faut-il prévoir une évaluation de l’état de santé de ceux qui circulent avec une AMM?
  • Doit-on faire de même pour la capacité de conduite?
  • Faut-il fixer un âge minimal ou maximal d’utilisation?
  • Doit-on exiger une attestation médicale d’incapacité à la marche?
  • Doit-on envisager l’immatriculation des appareils ou une vignette?
  • Doit-on exiger une attestation de compétence ou un permis de conduire?

Où l’AMM devrait-il circuler, et à quelles conditions?

  • Faut-il restreindre l’accès à certaines infrastructures?
  • Faut-il le faire en fonction des limites de vitesse affichées ou des caractéristiques du milieu?
  • Faut-il le faire en fonction du statut de l’utilisateur?
  • Doit-on recommander des vitesses maximales en fonction du lieu de circulation (ex. : trottoir)?
  • Faut-il régir le sens de la circulation?

Quand peut-on utiliser une AMM?

  • Doit-on circonscrire la pratique en fonction de la saison (ex. : hiver) ou de l’heure (ex. : nuit)?

Comment s’assurer que les appareils d’AMM sont sécuritaires?

  • Quelles sont les normes techniques à considérer?
  • Doit-on tenir compte de l’homologation des appareils?
  • Faut-il imposer certains équipements de sécurité (ex. : réflecteurs)?

L’INSPQ a d’abord consulté la littérature scientifique puis les lois et les règles propres aux AMM dans une vingtaine de pays occidentaux. Par la suite, les experts et les gestionnaires de réseau, comme les utilisateurs d’AMM, ont été interrogés au sujet des mesures répertoriées. Des groupes de discussion ont aussi été organisés dans six municipalités québécoises afin d’explorer le champ des mesures légales et des réalités vécues par les utilisateurs. L’ensemble des résultats obtenus a permis de cibler des mesures potentiellement efficaces qui doivent encore démontrer leur applicabilité. Ces mesures ont été présentées à un comité consultatif, composé de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), du ministère des Transports du Québec (MTQ) et de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ). Voici donc les principaux constats issus de la littérature et des consultations.

Le statut des utilisateurs d’AMM

Les règles internationales se résument à deux approches (tableau 1). Soit nous donnons à l’AMM un statut de piéton, soit nous lui octroyons la possibilité d’aller sur la chaussée en l’assimilant, en partie, à un cycliste ou à un véhicule routier. En Belgique, au Danemark et en Norvège, la vitesse maximale autorisée sur le trottoir correspond à « l’allure du pas ». En Suède et au Royaume-Uni, la vitesse maximale autorisée est respectivement de 5 et 6,4 km/h. L’Australie, avec 10 km/h, concède la plus forte vitesse maximale admise sur le trottoir. En résumant les différents textes de loi, l’AMM se définirait comme suit :

« Un appareil à passager unique, conçu pour et utilisé par une personne à mobilité réduite. »

Distinguer l’usager, comme le fait cette définition, est cependant loin de faire l’unanimité. Ceci exige l’emploi de mécanismes qui font l’objet de vifs débats. La majorité des intervenants québécois (62 %) pense qu’il serait plus simple d’appliquer une règle en tenant compte uniquement de l’appareil. Mais il faut encore expliciter clairement au CSR quelles sont les caractéristiques précises de la catégorie AMM. Gardons à l’esprit que les faiblesses propres aux définitions trop générales de la législation pourraient être exploitées. Certains appareils, d’un simple coup d’œil, ont l’apparence d’AMM, mais ils sont en fait beaucoup plus lourds et plus rapides. Au Royaume-Uni, les autorités s’interrogent justement en vue de réviser leur législation parce que la clientèle concernée est devenue trop importante. Su et al (2007) pensent qu’un certain contrôle est justifié lorsque la sécurité des piétons est en jeu.

L’immatriculation est un moyen efficace de surveiller le parc de fauteuils motorisés et de contrôler l’accès au réseau. Cependant, peu de pays l’exige et selon la SAAQ, c’est un système coûteux et complexe. Plusieurs mesures permettant de distinguer l’individu de la machine existent. Cependant, elles sont impopulaires et compliquées à instaurer. Elles ne font pas consensus. Parmi elles, au Queensland (Australie), la vignette et la carte d’attestation d’incapacité à la marche ont été mises en circulation. Quant à l’imposition d’un âge minimal pour circuler, seuls le Royaume-Uni (14 ans) et les Pays-Bas (16 ans) l’appliquent. Cette mesure est réfutée par deux tiers des Québécois ayant répondu au questionnaire.

71 % des intervenants québécois pensent qu’il faut évaluer la capacité à conduire une AMM. Cependant, l’exigence d’un permis ou d’un examen pratique est impopulaire. Su et al. (2007) rappellent qu’un utilisateur d’AMM n’ayant pas les habiletés requises (ex. : vision, réflexes) peut mettre en danger les piétons à mobilité réduite, âgés ou ayant l’ouïe déficiente. Cette problématique est doublée du fait que les AMM sont inaudibles. Berndt (2002) souligne qu’envisager l’AMM en tant que solution de rechange à l’automobile pour ceux qui perdent leur permis, en raison d’une incapacité à conduire, suggère une compréhension plutôt réduite des raisons fondamentales pour lesquelles le permis a été révoqué. La formation des usagers est obligatoire en Europe. Elle est souhaitée par 85 % des intervenants québécois. À court terme, les autorités provinciales préfèrent l’approche de l’information et de la sensibilisation. Il y a effectivement du travail à accomplir auprès de la population québécoise. Celle-ci connaît encore mal les besoins et les difficultés rencontrées par la clientèle AMM. Certains préjugés persistent, notamment la croyance que les AMM n’ont pas leur place sur le réseau routier et particulièrement sur la chaussée. Les utilisateurs d’AMM sont grandement incommodés par l’état et la configuration des trottoirs. Lorsque c’est le cas, le recours à la chaussée devient une évidence qui doit être mise en lumière. Elle doit aussi être mieux anticipée par les conducteurs de véhicules routiers, d’où l’ambiguïté d’un statut 100 % piéton.

Les infrastructures autorisées aux AMM

Parmi les juridictions consultées, seuls le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande obligent les AMM à circuler uniquement sur le trottoir (figure 1). La majorité d’entre elles autorise (9 sur 16) la circulation sur la chaussée (figure 2) en complément du trottoir. Dans ces juridictions, la circulation à contresens est proscrite. Elle ne procure en fait aucun avantage à l’usager. En effet, les meilleurs raccourcis sont accessibles aux AMM via les trottoirs. La Belgique, quant à elle, recommande que les accotements soient prioritairement utilisés plutôt que la chaussée. Aucun pays n’interdit la présence des AMM selon le milieu (ex. : urbain vs rural), la vitesse affichée ou la présence de terre-plein. Les Pays-Bas et la Suisse recommandent l’usage des pistes cyclables aux AMM, tandis que la Belgique les y oblige, dès que l’appareil excède l’allure du pas. Au Québec, il y a consensus sur le fait que le trottoir et les voies cyclables devraient être autorisés aux utilisateurs d’AMM. Ce consensus s’étend à la chaussée dans les zones de 50 km/h et moins où la circulation n’est pas trop dense. Tous s’accordent à dire que les AMM ont leur place sur les voies cyclables (figure 4). Bien que ces dernières soient sécuritaires, elles seraient trop peu nombreuses à l’heure actuelle et leur conception devrait s’ajuster à une demande croissante (figure 3). En milieu rural, les trottoirs n’existent pas, donc l’usage de la chaussée pose un problème de sécurité. Faut-il tolérer l’usage de l’accotement ou carrément interdire l’accès au réseau supérieur? Les forums de discussion ont démontré une ouverture plus importante du côté de la première option.

Les aspects techniques liés aux appareils

Aujourd’hui performantes et diversifiées, les AMM procurent de la liberté et un rayon d’action accrus. Les fabricants attirent les amateurs de performance avec des modèles de plus en plus volumineux, pesants et puissants. Les fauteuils peuvent atteindre 12 km/h et les triporteurs jusqu’à 20 km/h. La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) fixe maintenant la vitesse maximale des fauteuils roulants motorisés et attribués à 10 km/h. Au Royaume-Uni, les AMM pouvant excéder 10 km/h doivent être munies d’un dispositif limitant la vitesse à 6,4 km/h. Celui-ci doit être activé sur le trottoir. Le Delaware (12,8 km/h ou 8 mph) et le Danemark (15 km/h) imposent, quant à eux, une vitesse maximale à la conception. La largeur des AMM est un autre facteur à considérer. Au Québec, les trottoirs conventionnels (ex. : 1,25 à 1,5 m) sont trop étroits pour permettre la rencontre de deux appareils (ex. : 0,75 m) et le risque d’accrochage avec un piéton est important. Sur la chaussée, la largeur des AMM augmente aussi le risque de collision avec les véhicules routiers et les bicyclettes. Côté équipement, les pays qui considèrent les AMM comme des véhicules routiers ou des bicyclettes sur la chaussée (ex. : France, Suisse, Belgique, Suède, Danemark et Royaume-Uni) exigent un éclairage analogue à celui de la bicyclette. Au Québec, la consultation met en évidence un consensus à cet égard. Il en va de même pour le port du fanion. Ce dernier devrait cependant être rétractable puisqu’il s’abîme sur les véhicules et dans les bâtiments.

À la lumière des règles internationales et des différentes consultations réalisées au cours des trois dernières années, l’INSPQ propose au Gouvernement d’adopter une approche légale misant autant sur la sécurité de la population que sur l’autonomie des personnes à mobilité réduite. L’INSPQ recommande que les AMM aient un statut à part entière, et que cette nouvelle catégorie d’utilisateurs puisse emprunter à la fois les espaces piétonniers et cyclables, ainsi que la chaussée dans certaine conditions. Cette pratique doit cependant être règlementée pour assurer une cohabitation harmonieuse entre tous les usagers du réseau.Pour que les objectifs d’autonomie et de sécurité soient atteints, un projet-pilote est présentement réalisé avec la SAAQ, le MSSS, le MTQ et en partenariat avec le milieu municipal et associatif.

Références

Berndt, A. (2002, 4-5 novembre). Scooters as a safe alternative for cars? Proceedings of the Road Safety Policing, Education and Enforcement Conference, Adelaide, South Australia.

Brighton. C. (2003). Rules of the road. Rehab Management, 16 (3), 18-21.

Bruneau, J.-F., Maurice, P., et Lavoie, M. (2011). Avis de santé publique sur la circulation des aides à la mobilité motorisées sur le réseau routier. Institut national de santé publique du Québec, Développement des individus et des communautés.

Québec (2011). Code de la sécurité routière du Québec, Gazette officielle du Québec, L.R.Q., c. C-24.2, à jour le 1er décembre 2011.

Su, F., Bell, M.G.H., and Schmöcker, J.-D. (2007, 18-22 juin). Mobility Scooter Usage In London – Results From the Scootability Project. Papier présenté à la 11e Conférence internationale sur la mobilité et le transport des personnes âgées ou à mobilité réduite, Montréal.

Table québécoise de la sécurité routière (2007). Pour améliorer le bilan routier. Premier rapport de recommandations de la Table québécoise de la sécurité routière.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

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Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation