Santé publique et transport des personnes : la stratégique intégration de la perspective de l’usager piéton

Mercredi 21 mars 2012
Sécurité et Aménagement
L'usager piéton
Sophie Paquin
professeure et urbaniste
Direction de la santé publique de Montréal

Introduction

Le concept de l’usager au coeur de la planification des systèmes de transport des personnes constitue une approche stimulante pour orienter les pratiques des professionnels du transport et de l’aménagement. Plusieurs éléments viennent soutenir la pertinence de ce concept, particulièrement ceux relatifs à la santé de la population. Pour le démontrer, cet article exposera les principaux impacts positifs et négatifs sur la santé du transport des personnes dans les agglomérations urbaines. Mais cet examen des impacts sur la santé permettra de mettre en évidence l’importance de placer l’usager de la mobilité douce (appelé aussi transport actif ou déplacement doux) au coeur de la planification des systèmes de déplacement des personnes. Des outils d’analyse aidant les planificateurs, les conseillers techniques et les gestionnaires de réseaux à mieux intégrer la perspective du piéton dans leur travail compléteront la discussion.

Les principaux impacts du transport sur la santé

Les moyens de transport terrestre ont des effets sur la santé de la population (OMS, 2000). Certains effets touchent la population située à proximité et d’autres, les usagers plus particulièrement. Certains sont bénéfiques pour la santé et d’autres plus dramatiques. Voyons-les plus en détail.

La pollution atmosphérique

Le transport des personnes et des marchandises est responsable de près de 40 % de la pollution de l’air (Environnement Canada). Les effets sur la santé des polluants atmosphériques et des particules fines peuvent être importants et entraîner une surmortalité (Abelsohn et Stieb, 2011; Health Effects Institute, 2011). L’exposition régulière aux polluants près des sites à forts débits que sont les artères et les autoroutes peut entraîner de l’asthme et des problèmes respiratoires (Gauderman et collab., 2007; Smargiassi et collab., 2006), cardiaques (Gan et collab., 2010) ou des cancers du poumon (Kim et collab., 2008). Les enfants sont particulièrement vulnérables en raison de la croissance de leur système respiratoire (Schwartz, 2004). Les impacts sont importants pour une localisation à moins de 150 mètres d’une voie à fort débit (Venn et collab., 2001) et vont jusqu’à 300 mètres pour les particules fines (California Air Resources Board, 2003).

Les changements climatiques

Le transport motorisé produit des émissions des gaz à effet de serre comme le CO2 et le NO2. Au Québec en 2008, 43,3 % des GES provenaient du transport routier (MDDEP, 2011). Le taux d’émissions de GES par habitant attribuable au transport varie selon les régions et laisse transparaître que l’aménagement du territoire n’y est pas étranger. Par exemple, le taux de GES est de 3,7 (tonne équivalent CO2/habitant) pour la communauté métropolitaine de Montréal, de 3,2 pour l’île de Montréal, mais ce sont les couronnes suburbaines nord (4,4) et sud (4,7) qui ont les plus hauts taux de la CMM (AECOM Tecsult, 2010). La dépendance à l’automobile y est manifestement plus importante, ce qui se traduit par plus d’émissions. Les GES sont problématiques dans la mesure où ils sont associés aux changements climatiques. Ces derniers auront un fort impact sur la santé des populations en augmentant les épisodes de chaleur accablante et la surmortalité associée, ce qui est d’autant plus dramatique en raison du vieillissement de la population et de la présence d’îlots de chaleur urbains (Ouranos, 2010).

Les traumas routiers

Les traumas routiers constituent une problématique de santé importante. Sur l’île de Montréal, entre 1999 et 2008, il y a eu 69 720 blessés de la route ayant nécessité un transport ambulancier, parmi lesquels 9 411 étaient des piétons, un nombre légèrement supérieur à celui des cyclistes (Morency et Tessier, à paraître). Le volume de circulation automobile est corrélé avec le risque d’accident et cela se traduit empiriquement par plus de 75 % des piétons blessés sur des artères et des collectrices (Morency et Miaux, 2008).

Un milieu bâti qui génère l’achalandage des piétons sans leur offrir des mesures de sécurisation performantes contribue aussi aux risques auxquels sont exposés les usagers de la mobilité douce (Miranda-Moreno et collab., 2011). La vitesse de circulation des véhicules est un élément majeur qui multiplie le risque de traumatismes et augmente la gravité des blessures des piétons et des cyclistes (Archer et collab., 2008).

Un mode de vie physiquement inactif

Une agglomération urbaine fortement structurée en fonction du transport en automobile (ex. : où il y a une dispersion des fonctions urbaines) limite souvent les déplacements actifs efficaces, seuls ou en combinaison avec le transport en commun. Pour la population, il en résulte de l’inactivité physique qui est un facteur de risque important si elle n’est pas compensée par des activités physiques régulières au travail ou lors de loisirs. De nombreux problèmes de santé sont associés à la sédentarité comme l’hypertension artérielle, les maladies cardiaques, les cancers et le diabète de type 2 (Comité scientifique de Kino-Québec, 1999). De plus, l’inactivité physique est un déterminant majeur de l’obésité, phénomène qualifié d’épidémie par l’OMS (2003) qui donne lieu à de graves problèmes de maladies chroniques. Par exemple, les personnes qui passent plus d’une heure à se déplacer en auto par jour ont 6 % plus de risque de souffrir d’obésité (Frank et collab., 2004). Au Québec, 49 % de la population est en surplus de poids (embonpoint et obésité) (MSSS, 2011), proportion qui était de 34 % chez les adultes en 1987 (Mongeau et collab., 2005).

Le transport actif procure des bénéfices sur la santé des personnes qui le pratiquent. La marche est associée à une diminution des maladies cardiovasculaires, du diabète (Glazier et Booth, 2007), de l’anxiété et de la dépression (Barbour et collab., 2007). Dans les pays occidentaux, la prévalence de l’obésité est plus faible là où la population se déplace surtout en transport actif et collectif (Basset et collab., 2008). Cela peut s’expliquer par le fait qu’au moins 50 % des usagers du transport collectif marchent entre 19 et 23 minutes lors de leur déplacement (Basser et Dannenberg, 2005). Sachant que les recommandations minimales d’activité physique sont d’au moins 30 minutes quotidiennement, l’usage régulier du transport collectif aiderait une partie de la population à atteindre ces recommandations minimales.

Des impacts sur la santé émergents

D’autres impacts du transport commencent à être documentés, que ce soit les conséquences du bruit routier (OMS 2011) ou les effets sur la santé mentale, l’isolement social, le développement psychologique des enfants ou les conséquences sur les inégalités sociales de santé (Danneberg et collab., 2011). Des recherches sont à poursuivre pour clarifier la prévalence de ces phénomènes et leurs mécanismes d’action.

Les modes de déplacements actifs et collectifs comme objectif durable

Compte tenu de ces impacts sur la santé, un transfert modal plus soutenu de l’automobile en solo vers les modes de déplacements actifs et collectifs comporte beaucoup d’avantages sociétaux et individuels. Pour réaliser cet objectif, prioriser l’usager piéton dans l’échelle de planification des projets de transport des personnes devient un incontournable. Se donner un cadre de référence clair, maximiser la collaboration entre les spécialistes du transport et de l’aménagement et accroître le potentiel piétonnier à l’échelle des rues et des villes constituent les étapes nécessaires d’une stratégie efficace.

L’une des clés de voûte : le potentiel piétonnier

Le potentiel piétonnier consiste en la capacité d’un environnement bâti de favoriser les déplacements à pied grâce à certaines caractéristiques. La mixité des fonctions urbaines contribue à générer des déplacements actifs. Localement, la densité des destinations favorise la pratique de la marche au moins cinq fois par semaine, ce qui en facilite l’intégration dans le mode de vie des adultes (Gauvin et collab., 2007). Une densité résidentielle suffisante contribuera à dynamiser les fonctions urbaines à proximité. De plus, la trame du réseau de rues devrait permettre des choix de circuits variés et courts pour atteindre les différents lieux de destination accessibles à pied. À ces indicateurs classiques de potentiel piétonnier s’ajoutent d’autres composantes qui contribuent significativement à la pratique des déplacements actifs, tels l’entretien des trottoirs; un éclairage adéquat et des mesures pour faciliter la traversée des intersections (Pikora et collab., 2003).

Des outils inspirants

L’audit de potentiel piétonnier pour diagnostiquer

L’environnement bâti des agglomérations urbaines est déjà en grande partie construit. Pour augmenter le potentiel piétonnier, l’un des défis est alors d’évaluer ce qui existe déjà pour mieux cerner ce qui doit être amélioré et ce sur quoi l’on peut tabler. Les audits de potentiel piétonnier constituent un outil intéressant à cet égard. Le Pedestrian Environment Data Scan – PEDS (Clifton et collab., 2007) ou le Potentiel piétonnier actif sécuritaire – PPAS développé à Montréal (Paquin et collab., 2011) sont des instruments qui permettent d’évaluer plus d’une soixantaine d’indicateurs qui contribuent aux déplacements actifs sécuritaires. Par exemple, le PPAS est une grille d’observation qualitative et quantitative à l’échelle des rues évaluant la qualité et la fonctionnalité des voies de déplacement, la configuration des intersections, les usages du sol, l’aménagement contribuant au sentiment de sécurité urbaine, l’ambiance et l’esthétique du paysage construit et naturel, la présence de végétation, l’accès au transport collectif et aux voies cyclables. La somme de ces informations permet de poser un diagnostic sur le tronçon de rue, mais aussi sur le quartier formé par l’ensemble des tronçons étudiés.

Le diagnostic élaboré avec le PPAS intègre la perspective de l’usager piéton et peut orienter la prise de décision des services techniques municipaux. En effet, il fournit de l’information précise sur les aspects déficients des rues, des intersections et du cadre bâti qui peuvent être soumis à des interventions à court et moyen terme. Il détermine aussi les composantes qui pourront faire l’objet de programmes d’amélioration des rues et des espaces publics.

Une politique publique de « rues complètes » pour guider

L’approche Rues complètes (Complete street) développée aux États-Unis vise à transformer les rues pour en faire des espaces publics conviviaux répondant aux exigences de fonctionnalité, de confort et de sécurité de l’ensemble des usagers et plus particulièrement des utilisateurs du transport actif et collectif. L’approche Rues complètes se multiplie depuis que le gouvernement américain a émis en mars 2010 des directives officielles pour son application dans les nouveaux projets ou lors de la réfection des rues afin d’améliorer la prise en compte des besoins des cyclistes, des piétons âgés et des enfants. En mai 2011, la législation Safe et Complete street Act a été proposée aux parlementaires américains. Cette approche commence à intéresser les villes canadiennes (ex. : Calgary, Toronto).

Les guides de Rues complètes (ITE, 2010; McCann et Rynne, 2010) proposent des mesures accroissant le potentiel piétonnier. Les mesures typiques consistent en des aménagements qui réduisent la vitesse effective de la circulation (ex. : élargissement de trottoir, réaménagement des intersections) et améliorent la fonctionnalité, l’accès universel, l’achalandage et la sécurité des voies de déplacement actif (ex. : bancs, revêtements de qualité devant les arrêts de transport collectif, éclairage à l’échelle du piéton, etc.). Une approche de Rues complète replace l’usager au coeur de la planification des lieux de transport urbain. Elle est réputée favoriser la santé de la population de même que le dynamisme social et la vitalité économique des sites et des quartiers.

Conclusion

En redonnant une place prioritaire à la perspective de l’usager piéton, les municipalités et les organisations de transport contribuent à diminuer les impacts sur la santé du transport motorisé. Le développement du potentiel piétonnier apparaît comme l’une des conditions fondamentales de la croissance des modes de déplacements actifs et collectifs. Les audits de potentiel piétonnier permettent de diagnostiquer l’environnement bâti et une politique de Rues complètes oriente les mesures à mettre en place. Nous y serons tous gagnants collectivement et notre santé en sera améliorée.

 

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Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation