Modèle de détermination des limites de vitesse crédibles en milieu urbain

Samedi 21 juin 2014
Sécurité et Aménagement
Limite de vitesse 50 km/h

Mise en contexte

La détermination des limites de vitesse constitue un outil essentiel pour garantir une vitesse de circulation appropriée, et plus largement pour améliorer la sécurité routière. Au Québec, les municipalités sont responsables de la gestion des vitesses sur leur réseau routier. Depuis 2007, de nombreuses municipalités ont d’ailleurs modifié la vitesse affichée sur leur réseau.

Afin d’être en mesure de documenter l’impact de ces pratiques sur le comportement du conducteur, une recherche a été menée par l’Université de Sherbrooke. L’une des retombées imprévues de cette recherche a été la création d’un modèle de détermination des limites de vitesse en milieu urbain.

Le modèle

Le modèle de détermination a été conçu pour servir d’outil d’aide à la décision. Il a été développé de façon à pouvoir fixer une limite crédible selon les propriétés de la rue et ses abords. De fait, les travaux de recherche ont révélé qu’il existe des « conditions naturelles » propices aux différentes limites de vitesse1.

Une limite crédible correspond à la vitesse pratiquée par la vaste majorité des conducteurs (85e centile), une vitesse qu’ils jugent adaptée aux propriétés de la rue dans laquelle ils circulent. Ces limites ont été établies à partir du comportement des conducteurs observés dans différentes conditions2.

Le modèle permet de fixer des limites variant de 40 à 70 km/h par incrément de 10 km/h. Il repose sur huit paramètres clés parmi les soixante-dix à l’étude, dont les effets cumulés ont révélé un impact significatif sur la vitesse pratiquée par les conducteurs québécois en milieu urbain. En ordre décroissant d’importance, il s’agit du nombre de voies, de la largeur du dégagement latéral, de la longueur de la zone homogène, du nombre de bâtiments commerciaux, du type de milieu franchi, du nombre d’accès institutionnels, du pourcentage de la rue occupée par du stationnement fréquenté en permanence et de la surface de roulement. D'ailleurs, ces paramètres parviennent à expliquer 84 % de la variance de la vitesse du 85e centile, quel que soit le niveau hiérarchique de la rue3.

Afin d’en simplifier l’utilisation, le modèle a été conçu comme une grille de pointage. Pour chacun des paramètres, des points sont attribués selon des seuils de décision. Le pointage maximal octroyé à chaque paramètre provient de résultats issus d’analyses statistiques (régressions hiérarchiques, analyses discriminantes). Quant aux seuils, ils correspondent aux intervalles de valeur obtenus par regroupement statistique naturel à partir de l’échantillon comportant une centaine de sites d’expérimentation. Comme les paramètres ont un effet cumulatif, l’utilisateur doit simplement additionner les points de chacun des paramètres et sélectionner la limite crédible selon le résultat obtenu.

Les paramètres du modèle

Le modèle compte huit paramètres clés dont les effets cumulés ont un impact significatif sur la vitesse pratiquée par les conducteurs québécois en milieu urbain.

De ces huit paramètres, le nombre de voies constitue le plus important. Il caractérise le gabarit de la rue, l’un des indicateurs permettant d’établir la hiérarchie routière. Dans ce cas-ci, le nombre de voies est apparenté à la largeur de la plateforme. Aussi, ce nombre inclut non seulement les voies de circulation mais aussi les voies réservées aux autobus ou aux autres véhicules (ex. : taxis, bicyclettes) et l’espace destiné au stationnement sur rue même s’il est temporairement interdit sur certaines artères afin de faciliter l’écoulement de la circulation aux heures de pointe. En règle générale, les vitesses pratiquées augmentent avec le nombre de voies.

La largeur du dégagement visuel latéral correspond au second paramètre. Il se rapporte à l’ouverture du champ visuel déterminée par l’implantation du bâti aux abords de la rue. Le conducteur y est sensible. En général, plus le champ visuel latéral est dégagé, plus les vitesses pratiquées augmentent.

La longueur de la zone homogène constitue le troisième paramètre. Elle correspond à la distance d’un parcours le long duquel la rue présente des propriétés similaires. Ces propriétés sont associées aux usages (ex. : scolaire, commercial, etc.), aux densités d’occupation (cf. faible, moyenne ou forte) et aux caractéristiques de la rue (ex. : largeur, séparation médiane). Dès qu’un changement visible et contrasté survient le long du parcours, la zone homogène prend fin. En règle générale, plus la zone est longue, plus les vitesses pratiquées sont élevées.

Le nombre de bâtiments commerciaux représente le quatrième paramètre. Comme chacun sait, l’activité commerciale a pour effet de générer de nombreux déplacements (cf. achalandage, mouvements de stationnement) et suppose la présence d’usagers vulnérables auxquels le conducteur est sensible.

Le type de milieu constitue le cinquième paramètre. Il qualifie l’environnement dans lequel la rue se trouve. Cette désignation repose sur l’allure générale de la zone et considère à la fois l’implantation et la densité du bâti. De façon générale, la vitesse pratiquée augmente à mesure que l’on passe d’un milieu urbain à une zone de transition.

Le nombre d’accès institutionnels constitue le sixième paramètre. Parmi ces accès, on recense ceux des institutions religieuses et d’enseignement, des équipements récréatifs et communautaires. En plus de générer de nombreux déplacements, ces institutions ou ces équipements supposent la présence d’usagers vulnérables. Ainsi, on a observé que les conducteurs ont tendance à ralentir notamment à l’approche d’institutions d’enseignement même si leur vitesse demeure généralement supérieure à la limite permise.

Le taux d’occupation du stationnement sur rue représente le septième paramètre. Ce taux désigne le pourcentage de la zone occupée par du stationnement fréquenté en permanence. Dans certaines rues, il arrive que le stationnement soit autorisé. Mais cela ne suffit pas pour établir une limite appropriée. En effet, si le stationnement sur rue est rarement occupé par des véhicules, cela donne l’impression aux conducteurs que la chaussée y est large, entraînant une hausse des vitesses pratiquées.

La surface de roulement constitue le dernier paramètre à avoir une incidence sur la vitesse pratiquée. Elle correspond à la largeur de la chaussée dont on soustrait la largeur occupée par les bandes cyclables, les accotements et le stationnement sur rue. À titre indicatif, une rue étroite inférieure à 6 m est généralement associée à des vitesses basses.

Les conditions propices aux différentes limites de vitesse

Comme on l’a déjà mentionné, les travaux de recherche reposant sur près d’une centaine de sites expérimentaux ont permis non seulement d’identifier les paramètres clés de la vitesse pratiquée, mais aussi les conditions « naturelles » propices aux limites de vitesse variant de 40 à 70 km/h par incrément de 10 km/h.

La limite de 40 km/h est propice dans les rues relativement courtes, inférieures à 200 m en moyenne, comportant une ou deux voies. Ces rues jouent un rôle de desserte locale. Elles ont une surface de roulement réduite, moins de 6 m, en raison de l’étroitesse de la rue ou d’une occupation intensive des aires latérales. Le stationnement y est permis sur l’un, voire les deux côtés de la rue et fréquenté de façon assidue par de nombreux véhicules, ce qui contribue d’ailleurs à réduire la surface de roulement disponible à l’écoulement de la circulation. La plupart d’entre elles sont bordées par des institutions ou des commerces, générant non seulement un flux de piétons, mais aussi de nombreuses manœuvres de stationnement. En général, le dégagement latéral est inférieur à 30 m. Ainsi, les bâtiments sont rapprochés de la rue et contribuent à rétrécir le champ visuel du conducteur. Ces rues se trouvent généralement dans les quartiers anciens des centres-villes où la trame de rues y est étroite et le bâti s’avère relativement dense.

La limite de 50 km/h est appropriée dans les rues relativement courtes, inférieures à 300 m, comportant deux voies. Leur surface de roulement avoisine généralement 8 m. Le stationnement y est permis sur l’un, voire les deux côtés de la rue mais rarement fréquenté, ce qui ne contribue pas à réduire la surface de roulement disponible à l’écoulement de la circulation. Assez souvent, elles sont bordées par des institutions mais rarement par des commerces. Leur dégagement latéral (incluant la rue) atteint 40 m. Ces rues se retrouvent un peu partout dans les villes et particulièrement dans les quartiers à dominance résidentielle.

La limite de 60 km/h est crédible dans des rues relativement longues, 400 m en moyenne, souvent entrecoupées par des intersections. Elles comportent des voies multiples (quatre et plus) et s’apparentent souvent à des boulevards urbains. Leur surface de roulement avoisine 20 m. Le stationnement sur rue y est assez souvent permis, ce qui contribue d’ailleurs à réduire la surface de roulement. Elles ne sont bordées par aucune institution, mais fréquemment par des commerces. Le dégagement latéral (incluant la rue) y est assez large, soit de 85 m en moyenne. Ces rues sont généralement associées à des collectrices ou à des artères urbaines.

La limite de 70 km/h semble appropriée dans les rues dont la longueur de la zone homogène est relativement longue, 500 m en moyenne. Ces rues sont rarement entrecoupées par des intersections. Elles comportent des voies multiples (quatre et plus) et sont souvent dotées d’une séparation médiane. Leur surface de roulement avoisine 25 m. Le stationnement sur rue y est rarement permis. Elles ne sont bordées par aucune institution et rarement par des commerces. Le dégagement latéral (incluant la rue) y est large, atteignant 300 m en moyenne. Leur rôle est d’assurer la circulation de transit et elles sont conçues à cette fin. Ce sont généralement des voies de communication reliant les différents quartiers d’une ville. Il s’agit principalement de collectrices.

Les avantages et les limites du modèle

Plusieurs des modèles existants4 ont été développés en vue de couvrir l’ensemble des milieux, dont ceux situés à l’extérieur des agglomérations. Cela comporte un inconvénient majeur, notamment le recours à des paramètres qui ne sont pas exclusifs au milieu urbain. Si bien que ces modèles parviennent difficilement à déterminer de manière précise des limites appropriées en zone urbaine. En revanche, le modèle proposé est adapté au milieu urbain et conçu pour fixer de telles limites par incrément de 10 km/h. Contrairement à d’autres modèles dont l’utilisation nécessite une étude d’ingénierie préalable ou repose sur une évaluation subjective, le modèle proposé est simple d’utilisation et comporte des seuils de décision précis. Les analyses statistiques ont d’ailleurs révélé qu’il parvient à fixer correctement des limites appropriées dans 84 % des cas.

Certaines situations affectent la performance du modèle et ne lui permettent pas de fixer une limite correspondant au 85e centile observé. En présence d’un rayon de courbure inférieur à 120 m, d’une déclinaison de la rue variant de 4 à 8 % ou d’un cul-de-sac, il ne parvient pas à estimer correctement la limite. Les écarts sont de 15 km/h. D'ailleurs, lors des analyses statistiques, ces paramètres se sont révélés non significatifs pour expliquer la vitesse du 85e centile. Enfin, il convient de mentionner que le modèle repose sur le comportement de vitesse de conducteurs québécois circulant sur un réseau routier municipal dont la conception routière correspond aux normes nord-américaines.

Références

1. Bellalite, L. Étude des conditions optimales correspondant aux différentes limites de vitesse en milieu urbain — rapport final. Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Laboratoire de recherche et d’application en aménagement, rapport de recherche, août 2011, 76 p.

2. Bellalite, L., Bouthot, M.-L., Houle, P.-L., Bélisle, A., Martin, J., Pinglot, G. et M. Varin. Étude des conditions optimales correspondant aux différentes limites de vitesse en milieu urbain — recueil des sites. Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Laboratoire de recherche et d’application en aménagement, rapport de recherche, août 2009, 847 p.

3. Bellalite, L. Étude des conditions optimales correspondant aux différentes limites de vitesse en milieu urbain — analyse des données. Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Laboratoire de recherche et d’application en aménagement, rapport de recherche, mai 2010, 115 p.

4. Bruneau, J.-F. et L. Bellalite. Étude des conditions optimales correspondant aux différentes limites de vitesse en milieu urbain — recension des écrits 2. Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Laboratoire de recherche et d’application en aménagement, rapport de recherche, février 2011, 73 p.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation