Enjeux de main-d'œuvre et de formation dans le domaine ferroviaire : le milieu se mobilise

Jeudi 8 décembre 2022
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Revue Routes et transports automne-hiver 2022-2023 : Décarbonation : transformation des transports, propulsion vertes  | Article de Luc Faucher - Centre d’expertise ferroviaire RAIL

Historiquement, le maintien du savoir et le transfert des connaissances ont majoritairement relevé des entreprises ferroviaires elles-mêmes. À l’exception d’une attestation d’étude collégiale pour les chefs de train, aucun programme ministériel ne forme actuellement la relève de cette industrie. En y ajoutant l’absence de structure publique ou d’un comité sectoriel, la formation de la relève est encore plus ardue, surtout en ces temps de pénurie de main-d’œuvre.

La mobilisation autour de cet enjeu a débuté à l’été 2019. Dès juin, Transports Québec lançait une série de consultations sectorielles et régionales à travers le Québec afin de réviser son plan stratégique ferroviaire pour les prochaines années. Cette consultation élargie a mené au Sommet sur le transport ferroviaire du 9 décembre 2019. Plus de 400 personnes ont pris part aux consultations, et plus de 60 mémoires ont été déposés. L’événement de décembre, tenu devant plus de 250 personnes, « avait pour but de susciter des réflexions sur l’avenir du transport ferroviaire au Québec et de dégager des pistes de solutions concrètes, durables et viables afin de favoriser le développement du transport ferroviaire des personnes et des marchandises ». 

Du Sommet, un Forum sur le transport ferroviaire a été lancé en 2020, duquel deux tables d'expertise, regroupant divers acteurs du milieu, ont été créées pour mener des travaux. Initialement , Transports Québec avait identifié quatre (4) enjeux pour ses consultations, mais en a rapidement ajouté un cinquième dès les premières rencontres. Ce nouvel enjeu, constamment rapporté par les participants, était la formation et la disponibilité de la main-d’œuvre. Pour les entreprises du domaine, cette difficulté était bel et bien présente, même avant la pandémie et l’accélération récente de la pénurie de main-d’œuvre. Le défi est d’autant plus grand pour les petits chemins de fer. En effet, les chemins de fer de classe I (CN et CP) forment leurs employés à l’interne et ont un centre de formation dédié. En revanche, les exploitants miniers et les sociétés publiques forment des gens à l’interne, avec l’aide du Cégep de Sept-Îles ou des consultants. 

De leur côté, les chemins de fer d’intérêt local (CFIL) et les cours industrielles font majoritairement affaire avec des consultants. Tel que discuté lors du Sommet sur le transport ferroviaire, ce modèle est de moins en moins viable. Les consultants sont habituellement des retraités du monde ferroviaire. Ces retraités ont déjà beaucoup donné et se retirent réellement du domaine à court terme. Les compagnies ont donc de plus en plus de difficulté à trouver des formateurs. Pourtant , l'industrie ferroviaire représente une part importante du secteur des transports au Québec et au Canada. Cette branche emploie entre 7 250 et 8 755 personnes. Le Québec est la province ayant le plus de salariés dans ce domaine, ce qui représente 22 % de tous les emplois au Canada (figure 1). Ce nombre d’emplois est élevé, malgré le fait que le Québec n’opère que 5 887 des 42 780 km de voie ferrée en activité au Canada, soit 13,8 %. 

 

Figure 1: Répartition des emplois ferroviaires au Canada par province en 2018. Source:  Centre d’expertise ferroviaire Rail  Luc Faucher.

Le nombre élevé de salariés s’explique par la quantité de wagons complets à l’origine (1,15 M sur 6,1 M au pays, soit 18,8 % du total, figure 2). Également, l’importance des trains de banlieue dans la région de Montréal est un facteur important, tout comme la présence de différents sièges sociaux établis au Québec.   

Figure 2: Répartition des wagons complets à l’origine au Canada par province en 2018. Source:  Centre d’expertise ferroviaire Rail  Luc Faucher.

Lorsque comparé aux autres domaines du transport, le secteur ferroviaire se démarque. Au Canada, 39  700 des 554  800  emplois en transport se situent dans le domaine ferroviaire, soit 7,2 % (figure 3). Malgré cela, le secteur ferroviaire contribue à 19,9 % du produit intérieur brut (PIB) lié au domaine des transports. Chaque emploi a donc une contribution plus importante au PIB canadien. En moyenne, la contribution est de 212,8 k$/emploi. 

Figure 3: Répartition des emplois dans le domaine du transport au Canada en 2019. Source:  Centre d’expertise ferroviaire Rail  Luc Faucher.

Les autres secteurs présentent des statistiques plus de 2x inférieures, soit 94,2 k$/emploi dans l’aviation, 69,6 k$/emploi dans le maritime et 58,2 k$/emploi dans le camionnage (figure 4). 

Figure 4 Contribution au PIB par travailleur dans les industries liées au transport en 2019. Source:  Centre d’expertise ferroviaire Rail  Luc Faucher.

Cela s’explique en grande partie par les économies d’échelle liées au domaine ferroviaire. En effet, chaque wagon a une capacité de transport qui équivaut à 3 camions-remorques. Un train de 100 wagons, opéré par deux personnes, peut donc transporter autant de marchandise que 300 camions-remorques opérés par 300 chauffeurs. Il en est de même dans le transport de passagers, où une équipe de trains transporte plus de personnes que deux chauffeurs dans deux autobus. Il est cependant important de noter que la vocation n’est pas totalement interchangeable, et que ces domaines sont complémentaires. Finalement, une autre particularité du secteur ferroviaire réside dans les salaires. Le salaire moyen d’un employé est de 94 k$, alors qu’il est de 88,4 k$ dans le maritime, 66,2 k$ dans l’aviation, et 56,0 k$ dans le camionnage. 

En ces temps de pénurie de main-d’œuvre et de transition vers les économies vertes, le domaine ferroviaire peut apporter plusieurs solutions : son rendement est plus élevé, et cela, en consommant 3,7 fois moins d’hydrocarbures que le camionnage pour transporter la même quantité de matériel sur la même distance. De plus, la bande de terrain nécessaire pour construire une voie ferrée est plus étroite qu’une autoroute à plusieurs voies. Depuis 2020, plusieurs initiatives ont été lancées au Cégep de Sept-Îles pour combler le vide de formation.

En septembre 2020, le Cégep regroupait ses activités ferroviaires en créant le Centre d’expertise ferroviaire RAIL.

La vision du Centre est de devenir un pôle national d’excellence en formation, aide technique et recherche ferroviaire. Son objectif est de rendre la formation accessible aux individus et aux entreprises par la création d’une école publique. Au moment où le Centre a été lancé, le Cégep offrait déjà une attestation d’étude collégiale pour former les chefs de train depuis 2007 et une douzaine de formations ferroviaires sur mesure. Il était également l’hôte d’une Chaire de recherche industrielle dans les collèges sur l’exploitation et la maintenance ferroviaire depuis 2013. Cette Chaire existe toujours et est financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et différentes entreprises partenaires. D’autres activités de recherche sont également financées par Transports Canada et l’industrie.    

Le travail accompli dans les deux dernières années s’est d’ailleurs traduit par des résultats tangibles. En mai 2022, le Cégep annonçait l’obtention de près de 16,9 M$ pour construire un nouveau pavillon dont plus de 40 % des espaces laboratoires seront dédiés au secteur ferroviaire. Sa construction devrait commencer en 2023 (figure 5).

Figure 5: Plan du futur pavillon au Cégep de Sept-Îles. Source:  Centre d’expertise ferroviaire Rail  Luc Faucher.

Les simulateurs de conduite ferroviaire y seront déménagés, alors qu’une petite voie ferrée extérieure sera construite. Cette voie cheminera à l’intérieur du pavillon où un wagon sera présent pour la formation et la recherche.Le camion d’inspection 3D des voies ferrées y sera également entreposé, tout comme les bureaux des employés et les salles de cours. En parallèle à cela, le Centre d’expertise ferroviaire annonçait que le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur finançait les activités de base du Centre afin de l’appuyer dans son développement en formation. Ces sommes serviront entre autres à faire un état des lieux des emplois et des formations nécessaires dans le domaine. Pour ce faire, le Centre d’expertise a développé un partenariat avec l’Association québécoise des transports (AQTr), qui est également l’hôte d’une table d’expertise ferroviaire. Les différents acteurs se rassembleront pour écrire un mémoire conjoint sur les métiers ferroviaires. Les besoins de formation pour les prochaines années seront également abordés. Cet état des lieux servira de base pour établir l’offre de formations nécessaire dans les années à venir.

En conclusion, même si le ferroviaire est un domaine très pointu, il n’a jamais vraiment eu sa place dans les maisons d’enseignement. L’accès à des experts formateurs et à une main-d'œuvre qualifiée étant ardu, la mobilisation du milieu est nécessaire pour contrer les effets de la pénurie. L’importance de ce secteur et la nécessité de maintenir les connaissances à long terme justifient cette vision. De plus, l’implication financière du gouvernement créerait une équité envers tous les domaines du transport. Cette implication est plus que souhaitable dans une perspective où le gouvernement désire prioriser le transport sur rail pour ses vertus environnementales. En effet, ce domaine est voué à une forte croissance (REM, Train grande fréquence de VIA Rail, Tramway de Québec, EXO, Métro de Montréal, agrandissement des chemins de fer actuels, etc.). Il est facile d’imaginer à quel point ce secteur serait encore plus compétitif s’il avait accès aux mêmes avantages que les autres domaines du transport.


Le Centre d’expertise ferroviaire RAIL est une direction du Cégep de Sept-Îles. Cumulant près de 15 années d’expérience dans le domaine, le Centre met ses experts à votre service pour des programmes de formation, des projets d’aide technique et de la recherche. Leur objectif est de trouver la solution à vos besoins et de rendre votre entreprise encore plus performante.

Visitez leur site Web au https://www.cefrail.ca/ 

 

RÉFÉRENCES  

  1. Site web consulté le 20 octobre 2022 : https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/ministere/role_ministere/colloques...
  2. Profils provinciaux/régionaux 2018, Infographic, 2018, Association des chemins de fer du Canada 
  3. Addenda statistiques 2019, 2019, Transports Canada 
  4. Les chemins de fer au Canada : guide du parlementaire, janvier 2016, Association des chemins de fer du Canada 
  5. Site web consulté le 20 octobre 2022 : https://lenord-cotier.com/2022/05/18/les-gouvernements-donnent-17m...
  6. Site web consulté le 20 octobre 2022 : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/572044/legault-ecolo
  7. Site web consulté le 20 octobre 2022 : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1512801/quebec-premiers-ministres...

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr

https://aqtr.com/association/actualites/deposez-votre-candidature-devenez-membre-comites-techniques-groupes-detude-lassociation-mondiale
4 juillet 2023

AQTr