Adoption et utilisation d’une offre d’autopartage jumelée à Montréal

Lundi 16 avril 2018
Mobilité durable
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Martin Trépanier
Professeur titulaire
Polytechnique Montréal - professionnels
Catherine Morency
Professeure titulaire
Polytechnique Montréal - professionnels
Gregory Wielinski
Étudiant
Société de transport de Laval (STL)

Présent depuis le début des années 90 dans la province, l’autopartage contribue de façon substantielle et durable à l’offre modale des Québécois. Communauto et car2go, respectivement à l’été et à l’automne 2013, ont influencé le portrait de la mobilité partagée à Montréal avec l’implantation d’une flotte de véhicules en libre-service intégral (LSI). Depuis quelques années, ce type d’autopartage gagne de plus en plus en popularité, notamment en raison de l’entrée de grands manufacturiers automobiles dans l’industrie de l’autopartage.

Le principal avantage pour les membres est que ceux-ci peuvent désormais effectuer des déplacements sans devoir revenir au point de départ et sans être contraints par un réseau de stations établi. Ils doivent seulement respecter les zones de couverture délimitées par l’opérateur, zones desquelles ils peuvent sortir avec le véhicule emprunté le temps d’effectuer leurs activités, mais dans lesquelles ils doivent  revenir pour terminer leur réservation. De plus, étant donné que les deux opérateurs de la métropole ont développé leur service graduellement (24 voitures Auto-mobile en juin 2013 à plus de 605 en 2017), on peut supposer un changement progressif au niveau des habitudes de mobilité des membres, que ce soit entre le service traditionnel par stations (TRAD) et le LSI chez Communauto, ou même dans le porte-folio de mobilité des membres. Cet article propose une introduction à l’évolution de l’adoption des services de mobilité offerts aux usagers de Communauto sur la base de l’analyse des données opérationnelles et de géolocalisation des véhicules disponibles dans les deux types de service.

ADOPTION DES SERVICES

Le cas de Communauto est particulier, étant donné qu’il imbrique ses deux services dans une offre commune et complémentaire. En effet, le LSI, en raison de sa structure tarifaire ainsi que de la nature du service, est généralement plus avantageux pour de courts déplacements. Par contre, en 2014, Communauto a emboîté le pas, afin d’harmoniser ses tarifs pour les membres disposant d’un forfait du service régulier. Cela permet à ces derniers de débourser le tarif le moins dispendieux entre leur forfait TRAD et celui du LSI pour les déplacements faits avec un véhicule LSI (une durée minimale est requise). Ceci permet de réduire indéniablement une barrière importante à l’utilisation du LSI par les membres du TRAD. On peut, par exemple, penser à un membre qui aimerait profiter d’un véhicule partagé le temps d’une fin de semaine pour une excursion non planifiée, mais qui n’a pas réservé son véhicule auparavant, et se retrouve à court étant donné le haut taux d’utilisation dans son secteur pour cette plage horaire. Il peut alors se rabattre facilement sur un véhicule Auto-mobile sans aucune conséquence sur sa facture mensuelle. Un autre cas de figure pourrait simplement être celui des usagers qui, avec le déploiement soutenu de nouveaux véhicules dans le réseau, ne prennent tout simplement plus la peine de réserver un véhicule du service régulier étant donné le haut niveau de disponibilité des véhicules LSI dans leur secteur.

En observant les données opérationnelles de l’opérateur québécois pour les membres qui ont employé les deux services à au moins une occasion, on constate - depuis la mise en place d’Auto-mobile - une réduction du nombre de membres actifs recourant essentiellement au service régulier. Cette baisse est compensée par une augmentation soutenue des usagers utilisant quasi exclusivement le LSI et des membres utilisant les deux services de façon récurrente. Une analyse de segmentation temporelle auprès de ces membres entre 2012 et 2017 sur leurs habitudes d’utilisation (fréquences, durées, moments d’utilisation) permet de constater cette migration des types de membre. La Figure 1 présente un diagramme de Sankey montrant le flux des membres entre différents groupes d’utilisation à travers le temps.

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Figure 1 : Diagramme de Sankey sur l'évolution de l'attribution des groupes d’utilisation suite à un exercice de segmentation pour la période entre 2012 et 2017 pour les usagers ayant fait l’essai des deux services à au moins une occasion.

L’année 2012 ne comporte qu’un seul groupe, soit les « TRAD principalement », composé de membres utilisant presque exclusivement le service traditionnel en stations, ce qui est naturel étant donné qu’Auto-mobile ne fait pas encore partie de l’offre de Communauto. Ce groupe qui constitue 85,7 % de ces membres actifs en 2013 n’est plus qu’à 20,6 % en 2017. Un exode des membres de ce groupe vers d’autres groupes s’est  alors  produit, surtout vers les deux groupes « TRAD + LSI ». La différence entre les deux est que le premier groupe comprend des membres qui semblent utiliser le libre-service intégral comme un service de rabattement, avec des durées d’emprunt élevées et une fréquence d’accès au service inférieure à celle des autres groupes. Tandis que les « TRAD + LSI 2 » utilisent les deux services de façon plus distinctive, du moins en ce qui a trait à la durée d’utilisation, comme on devrait s’y attendre, soit une durée plus courte pour le libre-service intégral et plus longue pour le service basé-stations. Cet exode est tout à fait logique, puisque les barrières à l’entrée pour utiliser Auto-mobile ont été réduites avec les politiques de Communauto. En observant de plus près le groupe « TRAD + LSI 2 », on constate qu’entre 2016 et 2017, une grande proportion de l’augmentation du groupe « LSI » (composé de façon quasi exclusive de membres n’utilisant que le libre-service intégral) est attribuable à des membres de « TRAD + LSI 2 ». Ainsi, un certain équilibre s’établit : des membres qui autrefois n’avaient accès qu’au service basé-stations préfèrent maintenant utiliser davantage le LSI, ce service répondant sans doute mieux à leurs besoins. Il faut également savoir qu’Auto-mobile n’implique pas de coût fixe annuel lors de l’abonnement, ce qui peut être une option attrayante pour des usagers plus occasionnels. Pour les usagers qui sont toujours au sein des « TRAD principalement » en 2017 (20,6 %), 79,4 % d’entre eux résident à l’intérieur de la zone de couverture du service Auto-mobile. Étant donné que la proximité à la zone de couverture est un critère important dans l’adoption du service LSI, on peut présumer que le service en stations répond pleinement aux besoins de ce sous-ensemble d’usagers.

UTILISATION DES SERVICES

Depuis plusieurs années, le service traditionnel en station de Communauto permet à ses membres d’effectuer des déplacements planifiés avec retour à la station. Le service Auto-mobile permet d’effectuer quant à lui des emprunts en sens unique, mais également des emprunts avec retour à l’origine. Les cas d’utilisation du service LSI sont donc divers. À l’aide de deux méthodes de calcul, une catégorisation des emprunts effectués avec les véhicules du libre-service intégral a été conçue pour évaluer les différentes utilisations possibles du service. On classe alors les emprunts des usagers selon quatre types non mutuellement exclusifs (un emprunt peut être catégorisé dans plus d’une classe) :

  1. Sens unique : emprunts sans retour à l’origine;
  2. En boucle : emprunts avec retour à l’origine;
  3. Symétrique : deux emprunts en sens unique effectués à l’intérieur d’un intervalle de 12 heures dont l’origine du deuxième emprunt se fait à proximité de la destination du premier trajet, tandis que la destination du second emprunt se fait tout près de l’origine du premier départ;
  4. Travail : l’emprunt du matin en semaine est effectué près du domicile du membre; l’emprunt du retour de l’après-midi débute près de la destination du matin et se termine également à proximité du domicile.

Les résultats sont présentés à la Figure 2 :

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Figure 2 : Évolution de la proportion d'utilisation (non exclusif) du service Auto-mobile selon deux méthodes de calcul; selon les données GPS (lignes pleines) ou les données origine-destination capturées via l’API (lignes hachurées).

Les résultats sont scindés selon la technique employée : pour la période complète de l’année 2015, le détail des déplacements des véhicules (précision GPS de 10 secondes, approximativement) a été analysé, tandis que pour la période entre juillet 2015 et 2017, seules les origines et les destinations ont été capturées au moyen des données sur la localisation des véhicules disponibles de Communauto. La première méthode (GPS) permet alors d’obtenir des résultats plus détaillés sur la chaîne de déplacements et permet également d’assigner un membre à l’emprunt, tandis que la seconde (OD) ne nous permet pas de connaître le détail de l’emprunt ni de l’usager en question.

On peut donc constater que le service est utilisé principalement afin d’effectuer des emprunts en sens unique (~70-85 %) (L’origine et la destination sont espacées d’au moins 750 m.). Les emprunts en boucle sont donc quasi complémentaires de ceux faits en sens unique puisqu’ils sont considérés pour tous les emprunts sous le seuil des 750 mètres et qui durent au moins 30 minutes. Les emprunts symétriques sont intéressants, car ils permettent d’évaluer comment s’insère un mode sans ancrage comme le LSI dans l’ensemble des autres modes de transport de la ville. Un haut taux implique que les usagers utilisent le même mode de transport pour l’aller et le retour. La première méthode oscille autour du seuil des 10 %, tandis que pour la seconde méthode, le taux se retrouve autour des 25 % avant d’augmenter à partir de l’été 2016. Pour la méthode GPS, le membre est utilisé comme critère discriminant, tandis que la méthode OD ne se base que sur l’origine et la destination. Le taux se rapproche donc davantage de la réalité dans le cadre de la méthode GPS. Pour ce qui est de l’augmentation observée, ce taux est directement corrélé dans le temps avec une augmentation du parc de véhicules, ce qui a probablement augmenté la densité des déplacements dans un secteur, se traduisant par une augmentation du taux d’emprunts catégorisés « symétriques ». L’augmentation de la densité des véhicules dans le service peut également augmenter l’attractivité du service LSI comme mode unique pour les déplacements aller et retour, mais la méthode de collecte ne permet pas de statuer clairement sur la question.

Les emprunts pour le motif travail sont déduits et ne peuvent être estimés que par la méthode 1. Ces emprunts (5 à 10 %, approximativement) sont un sous-ensemble des emprunts symétriques, mais le jour de la semaine ainsi que l’heure sont alors considérés comme des contraintes. Pour ces 12 mois de données, on observe une certaine tendance à la hausse pour ces emprunts travail. En septembre 2015, Communauto présente une nouvelle offre commerciale, soit Auto-mobile illimité. L’offre, conçue sur le modèle du vélopartage, permet à l’abonné de bénéficier des 30 premières minutes incluses dans le prix du forfait. Cette offre pourrait inciter à l’utilisation plus fréquente du service, mais son impact sur les emprunts travail est difficilement estimable étant donné l’échantillon à notre disposition.

CONCLUSION

L’introduction du service Auto-mobile en 2013 a permis de bonifier l’offre modale aux membres de l’autopartage dans la métropole. Cette avenue a permis de créer plusieurs classes d’usagers et des types de déplacements divers, pas seulement à cause de son implantation, mais bien par l’intégration commune, de la part de Communauto, des deux services sous une offre jumelée et complémentaire. Les membres peuvent alors bénéficier d’une liberté accrue quant à leur type d’abonnement ainsi que leur utilisation, ce qui ultimement augmente l’attractivité de l’autopartage sur l’île. Le grand taux d’emprunts en sens unique et un bas taux d’emprunts symétriques jumelés à un déploiement du service Auto-mobile près de pôles importants en transport en commun projettent un potentiel fort intéressant d’insertion du service Auto-mobile dans le cocktail de mobilité de la ville.

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier l’opérateur d’autopartage Communauto et le CRSNG pour leur participation à cette étude.

Sur la toile

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