Gestion de la demande en transport : une réglementation municipale appuie le mandat des Centres de gestion des déplacements du Québec

Mercredi 3 mai 2017
Mobilité durable
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Josiane Paradis
Chargée de projet
Développement économique Saint-Laurent

Les visions de mobilité durable proposées sur le territoire québécois mentionnent, fréquemment et à juste titre, le développement de l’offre de transports durables ainsi que des stratégies d’aménagement du territoire. Un aspect plus rarement mis de l’avant est l’influence potentielle sur les choix que feront les usagers des réseaux en matière de transport. Autrement dit, il est essentiel d’intégrer à une approche de mobilité durable la gestion de la demande en transport – ou encore gestion des déplacements – qui consiste en des stratégies visant à encourager le transfert modal, à moins se déplacer ou encore à revoir le moment où les individus se déplacent. Transport Canada la définit ainsi : « La gestion de la demande de transport (GDT) couvre l'utilisation de politiques, de programmes, de services et de produits qui influencent la destination des voyageurs, de même que le moyen, la raison et le moment de leurs voyages ».

Au Québec, les stratégies en gestion des déplacements ont trouvé des porte-parole dans les Centres de gestion des déplacements (CGD), des organismes à but non lucratif nés d’initiatives locales et présentement soutenus par le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports du Québec (MTMDET). Les déplacements domicile-travail représentant une proportion importante des déplacements quotidiens, c’est principalement sur ceux-ci que s’attardent les CGD en offrant aux générateurs de déplacements un ensemble d’outils et de services pour encourager l’utilisation de solutions en remplacement de l’automobile en solo et les intégrer dans leur organisation. Les solutions proposées par les CGD, éprouvées et adaptées aux réalités locales, permettent aux employeurs, aux promoteurs ou encore aux décideurs municipaux d’accroître la diversité dans le choix de leur personnel en matière de transport, tout en améliorant leur bilan environnemental. Des études canadiennes démontrent que de telles stratégies réduisent la dépendance à l’automobile de l’ordre de 5 à 20 %, selon le type de mesure mis en place.

 

Quinze ans de gestion des déplacements au Québec

Entre 2001 et 2002, trois CGD voient le jour, à Montréal, sous la forme de projets-pilotes, associés à divers partenaires locaux : Voyagez Futé et CGD DESTL et le CGD de l’Est. Nés d’une collaboration entre divers acteurs du milieu, ils sont inspirés d’initiatives américaines, se donnant pour mission de travailler avec les grands générateurs de déplacements, afin de favoriser une mobilité plus durable chez leurs étudiants ou employés par des programmes appelés « Allégo ». Ce sont parmi les premiers acteurs à s’intéresser à la gestion des déplacements en territoire québécois. En 2004, Allégo Laval devient un quatrième projet-pilote. Au même moment, le Centre de gestion des déplacements de Québec, Mobili-T, voit le jour, inspiré par les initiatives montréalaises et né d’une collaboration entre divers organismes locaux. Créé en 2006 dans le secteur Côte-des-Neiges, Mobiligo devient le sixième CGD à s’implanter au Québec.

Fruit de la collaboration entre les CGD existant à l’époque, l’AMT et le MTQ, un programme d’aide gouvernementale aux modes de transports alternatifs à l’automobile (PAGMTAA) est proposé par le ministère des Transports du Québec, en 2007. Les Centres de gestion des déplacements y sont alors officiellement reconnus au travers du volet III : Programmes employeurs. Une aide financière est offerte en soutien au fonctionnement des CGD et aussi aux organisations qui souhaitent aller de l’avant avec un plan de gestion des déplacements (PGD). On y trouve également une démarche incluant un diagnostic de la situation actuelle et un plan d’action personnalisé présentant des mesures qui visent à encourager l’adoption d’habitudes de transport plus durables, ainsi qu’un volet sur la promotion et la sensibilisation aux modes de transport.

Fort de ce programme gouvernemental incitant à l’action en matière de gestion des déplacements, le mouvement de création de CGD se poursuit alors ailleurs dans la province, avec l’ouverture de Roulons vert (Mauricie et Centre-du-Québec) en 2009, du CADUS (Saguenay) en 2009, puis du Centre de mobilité durable de Sherbrooke (CMDS) et de Mobi-O (Outaouais) en 2011.

Des projets-pilotes démarrés au début des années 2000, six CGD existent encore aujourd’hui, chacun étant constitué en tant qu’organisme à but non lucratif et ayant un territoire d’intervention délimité pour correspondre à une zone d’emploi génératrice de migrations pendulaires (navettage domicile-travail) : MOBA-Mobilité alternative, Voyagez Futé, Mobili-T, Roulons Vert, le CADUS et Mobi-O.

L’année 2010 marque un tournant dans l’histoire des CGD, car l’Association des Centres de gestion des déplacements du Québec voit le jour. Les réalités d’une région à l’autre sont indubitablement différentes : au niveau local, l’application des diverses stratégies doit ainsi être adaptée aux spécificités des territoires et aux organismes responsables des transports locaux sur place, afin de ne pas les supplanter, mais d’agir à leur côté. La force d’une association provinciale réside donc dans la possibilité de partager les expertises et d’amorcer des projets communs qui font rayonner les transports durables à plus grande échelle.

En somme, depuis leur création, les CGD du Québec ont collaboré avec plus de 350 organisations, partout en province, afin de les aider à développer des solutions novatrices incitant des centaines de milliers d’employés à utiliser des modes de transport durables. Bien que le PAGMTAA et l’aide financière aux employeurs aient pris fin en 2011, les CGD sont toujours soutenus dans leur fonctionnement par le MTMDET, une reconnaissance de leur contribution au développement de la mobilité durable au Québec. Plusieurs projets innovants ont découlé des activités des CGD, parmi lesquels une initiative particulièrement intéressante à Montréal.

 

Une réglementation avant-gardiste sur les plans de gestion des déplacements : un outil de réduction de la dépendance à l’automobile

L’arrondissement de Saint-Laurent, qui abrite le premier pôle industriel du Québec, est le premier, au Québec, à exiger un plan de gestion des déplacements (PGD) pour les demandes de permis de construction ou de certificats d’autorisation concernant les projets institutionnel, commercial ou industriel d’importance générant plus de 100 cases de stationnement. Cette initiative a été possible grâce à la collaboration étroite entre la Direction de l’aménagement urbain et des services aux entreprises (DAUSE) de Saint-Laurent et MOBA, Centre de gestion des déplacements (CGD) de l’ouest métropolitain de Montréal.

Cette nouvelle mesure a comme objectifs la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la réduction de la dépendance à l’automobile, deux enjeux sur lesquels les municipalités sont appelées à se positionner et à agir.

Cette réglementation prévoit des mesures minimales que l’employeur doit mettre en place :

● Mettre un plan d’accès multimodal à la disposition des employés et visiteurs;

● Installer un stationnement pour vélos, couvert et sécurisé, qui comprend un nombre suffisant de places;

● Offrir des rabais aux employés sur les titres de transport en commun;

● Offrir des stationnements privilégiés aux covoitureurs;

● Réaliser au moins une activité promotionnelle par an;

● Actualiser le PGD tous les trois ans.

Le PGD est un outil incontournable de la gestion de la demande en transport. Il s’adresse aux employeurs qui sont de grands générateurs de déplacements. Un des éléments importants est d’offrir de vraies solutions de rechange aux employés quant à leur choix de déplacement. Tous les modes de transports alternatifs sont encouragés de façon à répondre aux besoins du plus grand nombre : covoiturage, transport en commun, transport actif (vélo, marche).

Selon MOBA, l’impact des PGD sur la réduction des autosolistes est de 19 % et permet d’éviter 12 % de GES. Ce sont donc des tonnes de GES qui sont évitées avec la mise en place d’un PGD. De la même façon, cette diminution d’autosolistes améliore la circulation sur nos routes et facilite les déplacements des personnes et le transport des marchandises.

L’intérêt d’une telle réglementation réside aussi dans le fait qu’elle permet de récolter les données en amont du déménagement de l’entreprise. Ces données sont utilisées, notamment, par les sociétés de transport pour évaluer si la desserte au futur site est adéquate et, conséquemment, apporter des modifications de service en amont de la venue des travailleurs.

De plus, les coûts du PGD sont inclus dans les coûts de construction, puisque c’est au dépôt de la demande de permis que la preuve de sa réalisation est demandée.

Enfin, cela permet d’augmenter le taux de rétention du personnel. Les employés sont rassurés sur leurs nouveaux trajets domicile-travail lors de séances d’information réalisées en amont. En fonction de la localisation de leur nouveau site d’emploi, les employés sont invités à essayer des modes de transport remplaçant le voiturage en solo, au travers de trajets personnalisés et de titres de transport à l’essai, par exemple.

En attendant un investissement majeur dans les transports collectifs et actifs par les gouvernements, il est important d’agir. Un des leviers disponibles se trouve dans la réglementation municipale. Par ailleurs, il est prévu dans le plan de transport de la ville de Montréal de 2008 que ce type de réglementation soit implanté partout sur l’Île.

Cette approche collaborative pour la mise en place d’une telle réglementation peut se reproduire à l’échelle du Québec, puisqu’il existe six Centres de gestion des déplacements qui connaissent les particularités propres à leur région.

 

Autres résultats des actions des CGD

Depuis la création des CGD, de nombreuses entreprises ayant déjà effectué une fois un PGD ont continué de faire confiance aux CGD et leur sont restées fidèles.

Voici deux exemples :

1 – Depuis 2008, Desjardins collabore avec le CGD du centre-ville de Montréal, Voyagez Futé ainsi qu’avec celui de Québec, Mobilit-T dans le cadre du Programme de transport alternatif adapté aux besoins de leurs employés.

Les succès ont été les suivants :

  • Transport collectif
    • 20 % de rabais sur le transport en commun
    • Adhésion de plus de 4000 employés abonnés à Opus+ entreprise (AMT) et à Opus & Cie (STM)
  • Transport actif
    • Plus de 1000 utilisateurs et utilisatrices des vestiaires et douches au Complexe Desjardins, dont 2/3 pour le programme « vélo-boulot »
    • Amélioration des stationnements vélo du Complexe Desjardins
    • Distribution de près de 300 codes-rabais de 20 % sur l’abonnement annuel à BIXI en 2016
  • Covoiturage
    • Implantation d’un logiciel de jumelage, qui compte plus de 1000 abonnés Desjardins
  • Autopartage
    • Ajout de 4 véhicules électriques de Communauto au Complexe Desjardins
  • Sensibilisation
    • Participation active au Défi sans Défi sans auto-solo partout au Québec.

2 – Transat A.T. inc. et Voyagez Futé sont des partenaires de longue date. Comptant quelque 1100 employés à la tour Transat, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, l’entreprise a mis en œuvre un plan de gestion des déplacements, en 2009, et a adopté un ensemble de mesures variées et dynamiques pour faire la promotion des modes de transports collectifs et actifs, afin d’encourager ses employés à les adopter (transport collectif à l’essai, abonnement aux programmes OPUS, promotion des rabais BIXI et Car2Go, etc.). Résultats? Entre 2009 et 2011, il y a eu une diminution de 3 % de la part modale de voiturage en solo (de 19 % à 16 %) et une augmentation de 6 % du transport collectif (de 55 % à 61 %).

 

L’avenir des CGD

Certes, depuis leur création, les CGD ont bénéficié et bénéficient encore de subventions annuelles de fonctionnement du Ministère des Transports de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports. Toutefois, la plupart des CGD n’ont pas encore reçu l’appui financier récurrent des villes dans lesquelles ils exercent leur expertise, comme cela se fait en Europe et dans d’autres villes et pays du monde.

Les CGD souhaitent vivement faire partie intégrante de la planification des transports et continuer à exercer leur expertise en mettant en place des PGD auprès des entreprises, car celle-ci prouve qu’il y a des gains (en matière d’économie, de productivité, de santé et d’environnement) à réaliser pour l’ensemble des acteurs concernés, à commencer par les entreprises elles-mêmes.

Les données obtenues lors du dernier sondage réalisé par l’Ordre des Conseillers en ressources humaines agréés du Québec (OCRHA), en août 2016, prouvent que les employés sont fatigués (45 % des répondants) et stressés (47 % des répondants) de passer de plus en plus de temps dans la congestion routière et que cela affecte directement leur productivité et leur bien-être. L’impact est non négligeable et se répercute sur la compétitivité des entreprises.

Pour l’avenir, nos souhaits sont, d’abord, de bénéficier d’un financement récurrent pour nos organismes et nos équipes spécialistes de la mobilité durable. Ensuite, obtenir une reconnaissance concrète marquée par des mesures d’appui et de législation officielle dans les CGD des villes et, pourquoi pas, des sociétés de transport, car nos actions et résultats sont probants et répondent à un besoin des entreprises. Finalement, les CGD souhaitent faire partie prenante de la nouvelle gouvernance des transports collectifs et actifs, autant au niveau métropolitain que provincial.

Sur la toile

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