Mobilité et numérique

Vendredi 4 novembre 2016
Technologie
Jean-Pierre Corniou
Jean-Pierre Corniou
Deputy CEO
Sia Partners

 

 

L’histoire de l’humanité se confond avec celle de la mobilité. De la grande migration qui a permis aux premiers humains issus de l’est de l’Afrique de conquérir la planète, au rôle central joué par la démocratisation des transports dans le développement de l’économie et de la liberté depuis le XVIIIe, la maîtrise de la mobilité est au cœur des progrès de la communauté humaine. Après des millénaires de marche à pied, la mécanisation des transports a élargi les horizons, rendu le transport plus rapide, plus confortable et plus sûr. Ces trois paramètres vont en permanence être au cœur des progrès techniques avant que l’on ne prenne conscience des limites énergétiques. Le XIXe siècle a connu, grâce à la vapeur, le développement des transports collectifs ferroviaires et de la navigation. Quant au XXe siècle, ce fut celui de l’explosion de « l’automobile », puis du transport aérien. 

Que propose alors le XXIe siècle? Fondamentalement, le mode de mobilité dépend de l’énergie utilisée, puisqu’il faut consommer de l’énergie pour mouvoir une masse, serait-ce un piéton. Mais la mobilité est aussi déterminée par l’information. Le XXIe siècle permet de remodeler l’univers de la mobilité en agissant simultanément sur ces deux facteurs : plus d’information permet de favoriser la mobilité individuelle et collective en consommant moins de ressources.

 

Le déplacement informé

Ce sont les progrès de la cartographie maritime et terrestre qui ont accéléré les déplacements dès le XVIIe siècle. C’est avec un sens aigu de la logique systémique, et du marketing, que les frères Michelin ont compris que, pour vendre des pneus, il fallait rassurer le voyageur par un système de repérage précis. Ils ont non seulement développé les cartes et les guides dès 1905, mais aussi la signalisation routière qui fut installée à leurs frais en France entre 1910 et 1971. Mais ce sont les techniques militaires qui vont bouleverser la relation entre information et mobilité avec l’apparition du système de géo-positionnement par satellite américain GPS (Global Positioning System), qui fut achevé en 1995 et étendu au domaine civil en 2000. En effet, l’économie de la mobilité a été totalement transformée au XXIe siècle par le développement de l’informatique mobile : avec un téléphone intelligent, ou un équipement installé dans un véhicule, exploitant le géo-positionnement par satellite, tout utilisateur de transport est en mesure de prendre la meilleure décision possible de mode de déplacement et de choix d’itinéraire. Les conséquences de cette nouvelle liberté sont considérables, car ce couplage inédit dans l’histoire entre la cartographie et le positionnement dynamique ouvre la voie à une multitude de services.

L’avenir de la mobilité au XXIe siècle est donc déterminé par la recherche de la combinaison idéale entre le déplacement des personnes, associé à un mode de transport et à une consommation d’énergie, et le déplacement de l’information en optimisant l’usage du temps et la consommation d’énergie. Le choix des modalités d’arbitrage s’est considérablement ouvert avec le développement des outils numériques.

 

Un environnement complexe où la voiture individuelle résiste

Si la mobilité individuelle est une forme essentielle de liberté, elle s’exerce dans un environnement qui s’est radicalement transformé et tend à réduire le champ de cette liberté de choix :

  • Le développement massif des villes où vont vivre les deux tiers de l’humanité change la nature du déplacement individuel qui s’insère dans une logique collective de massification;
  • La prise de conscience des conséquences des déplacements sur l’émission de gaz à effet de serre, les polluants chimiques, le bruit, la santé publique;
  • Le durcissement des réglementations d’usage, notamment la vitesse autorisée, qui ne dépasse plus nulle part 130 km/h.

Face à ces contraintes, l’offre de transport s’adapte en fonction des usages. Si l’avion, et notamment les modèles économiques « low cost » se sont imposés pour les transports de longue distance, complété par les systèmes de train rapide (entre 200 et 1000 km), la voiture individuelle assure encore dans le monde l’écrasante majorité des voyages quotidiens. Face à cette domination historique, fruit d’une pratique sociale qui a trouvé en Amérique du Nord son expression la plus accomplie, les moyens classiques de transport collectifs et individuels se sont raffinés pour couvrir une demande de mieux en mieux informée et donc exigeante sur le rapport coût/valeur du service.

De fait la voiture individuelle en pleine propriété n’est plus la seule réponse à une demande qualitative de déplacement :

  • L’offre de transports publics s’est améliorée partout dans le monde tant dans le confort du matériel que de la qualité de service dans les espaces urbains;
  • La mise en place de plateformes techniques informatiques offrant un moyen facile et peu coûteux de rapprocher l’offre et la demande a fait naître une offre nouvelle d’autopartage et de covoiturage dont le succès est croissant;
  • Les utilisateurs sont conscients du « coût total de possession » de la voiture et cherchent à en minimiser l’impact sur leur budget, favorisant le prêt, le partage, la location ponctuelle, et ralentissant ainsi le rythme de renouvellement.

Si les constructeurs n’ont que depuis une dizaine d’années entrepris de faire évoluer leur offre pour répondre à ce nouveau contexte d’usage, c’est à la fois sous la pression de la réglementation et pour redonner auprès des utilisateurs une nouvelle image de l’automobile : technologique et respectueuse de l’environnement. Cette évolution n’est pas toutefois pas accompagnée d’une remise en cause par les constructeurs du modèle historique de possession et d’usage de la voiture individuelle, les codes de marketing et communication continuant à emprunter les modèles antérieurs de puissance et de plaisir de conduire très individualistes.

La transformation du paysage automobile ne viendra pas à court terme d’une réduction du nombre d’automobiles. En effet, le taux de motorisation des ménages dans les villes de plus de 100 000 habitants ne baisse pas : en France, 81 % des ménages urbains étaient motorisés en 2014 contre 75 % en 1995. Les ménages périurbains et ruraux, qui dépendent largement de la voiture individuelle, sont quant à eux multimotorisés. Cette tendance est mondiale avec l’arrivée des primo-acquéreurs des pays émergents.

La ville, en attirant sans cesse par sa modernité, sa capacité à fournir des emplois comme des loisirs, poursuit une croissance sans limites. L’accroissement de la population mondiale se fera massivement dans les villes. Or elle doit sans cesse sortir de son centre historique pour développer des pseudopodes qui dispersent la population et génère un besoin infini de mobilité intra et péri-urbaine. Si le centre, dense, peut généralement se satisfaire de moyens publics de transport, l’éloignement en banlieue suscite l’usage de la voiture et crée une autodépendance des populations les plus éloignées, qui sont également les plus vulnérables économiquement.

 

La contrainte énergétique

La production moyenne de CO2 par kilomètre en Europe s’est élevée en 2014 en moyenne à  122 g. La France obtient l’excellent résultat de 112 g contre 134 g en Allemagne. Les motorisations hybrides et électriques émergent en France avec une part de marché respective de 3 % et 1 % en 2015, mais en dépit de la croissance du marché, restent marginales sur le niveau des émissions. Avec 97 687 immatriculations en 2015 contre 65 199 en 2014, le marché européen a battu un nouveau record qui le met en tête des ventes mondiales de véhicules électriques devant les États-Unis (73 000 immatriculations) et la Chine (88 000). C’est marginal dans un marché mondial de plus de 90 millions de véhicules thermiques !

Selon le scénario de l’Agence internationale de l’énergie qui limiterait les émissions de CO2  dans l’atmosphère à 450 ppm pour maintenir à 2°C l’élévation de la température sur terre (rappelons que nous avons déjà atteint 400 ppm), il serait impératif de plafonner les émissions moyennes des voitures européennes à 80 g CO2/km en 2020 et 60 g CO2/km en 2025. Cet effort sur courte durée ne peut être atteint que par une électrification massive du parc automobile et un allégement considérable du poids des véhicules. Il parait aujourd’hui hors de portée avec les méthodes classiques, la moyenne du parc neuf vendu en 2015 se situant à 121 g CO2 /km.

 

Depuis 1990, la circulation des véhicules français et étrangers sur le territoire français a augmenté de 36 %; les émissions de CO2 qui y sont associées, nettes des énergies renouvelables, n’ont, quant à elles, crû que de 7 %. Si les progrès unitaires sont indéniables, l’augmentation du nombre de voitures et le vieillissement du parc rendent difficile la baisse nette du volume des émissions de CO2. Au Québec, le transport routier représente 35 % des émissions totales de CO2 en 2012, en accroissement de 25 % depuis 1990.

 

Le numérique, une solution efficiente

Pour atteindre une réduction massive des émissions, il faut agir sur tous les paramètres : réduire le nombre de véhicules en circulation en en mutualisant l’usage, réduire l’usage des véhicules individuels, limiter les vitesses effectives et surtout renouveler le parc avec des voitures légères. L’information en temps réel sur tous les paramètres de circulation réelle permet à la fois de modéliser les transports et de donner aux usagers l’information la plus précise pour qu’ils optimisent leur parcours et leur mode transport.

La problématique de l’allégement

Pour y parvenir à baisser les consommations de carburant, les solutions sont connues. La principale cause de consommation, et donc d’émission, est la masse. Une charge de 100 kg induit 0,7 l de consommation supplémentaire.

Aussi, il faut d’abord alléger le poids du véhicule, après des générations de véhicules de plus en plus lourds, réduire la puissance des moteurs et travailler dans le moindre détail l’aérodynamisme et la résistance au roulement. 100 kg gagnés sur la structure permettent de gagner 30 kg sur la mécanique. C’est un travail minutieux qui impose une révision drastique des choix qui ont été faits depuis des années et ont conduit à l’obésité des véhicules, toujours plus longs et larges, toujours mieux équipés, toujours plus puissants. Or il faut choisir des matériaux moins lourds – aciers spéciaux, composites, aluminium, fibres de carbone voire magnésium –, moins coûteux et délicats à mettre en œuvre en grande série, renoncer à la multiplicité des accessoires, à l’utilité contestable, et repenser les éléments classiques comme les sièges. Dans ce domaine critique, l’usage de solutions de calcul sophistiquées est indispensable pour obtenir des progrès techniques efficaces.

Autopartage et covoiturage

Pour parvenir à accélérer cette transformation, un outil semble être en mesure de pousser les consommateurs à changer de comportement : il s’agit de mettre en place une fiscalité automobile sur un critère unique et indiscutable, qui ne souffre aucun artifice de calcul, la masse. Seul ce choix permettrait d’éviter tout débat sur les normes et conditions de mesure.

Par ailleurs, favoriser le partage est un objectif essentiel, mais freiné par les adhérences culturelles à « sa » voiture. Partant du constat que les voitures restent immobilisées 97 % du temps en ville, mettre à disposition des voitures en partage permet à plus de personnes de bénéficier de la souplesse du service rendu par l’automobile sans devoir en faire l’acquisition. La transformation du modèle d’usage de l’automobile se concrétise par plusieurs expériences à grande échelle qui permettent de valider les innovations techniques qui sont indispensables pour assurer la circulation et la mise à disposition de véhicules aux utilisateurs occasionnels. Citons Autolib en voiture électrique à Paris, Communauto à Montréal, Mobility en Suisse, car2go dans de nombreuses métropoles mondiales. Alors que 93 % des Français réaffirment leur désir de posséder leur automobile, le défi est de taille. Plusieurs composants techniques doivent être maîtrisés pour assurer un service de qualité, attractif et rentable pour les opérateurs.

 

L’hyper-mobilité, une nouvelle frontière culturelle nourrie par le numérique

S’il faut favoriser le rapprochement des personnes pour exploiter tout notre potentiel de créativité, nous pouvons désormais le faire avec beaucoup plus de discernement en évitant les déplacements inutiles grâce aux outils de communication et de travail coopératif qui permettent avec peu d’énergie de renforcer la dynamique de l’échange. Si l’échange des biens physiques reste incontournable pour se nourrir, se vêtir, se loger, on peut désormais prendre des décisions informées sans se déplacer, optimiser ses choix en fonction d’objectifs plus larges, notamment l’empreinte environnementale par la durabilité des solutions et la « recyclabilité » des produits. Cette réallocation du temps, de l’espace et de l’information ouvre le champ d’une hyper-mobilité. Ce sera la caractéristique du XXIe siècle. Elle bouleverse notre vision traditionnelle du temps et de l’espace, modifie le cadre du travail, la logique de consommation – les sites de « e-commerce » ne ferment ni la nuit ni le dimanche –, change la vie de famille et les relations citoyennes. Avec Skype on se voit plus souvent à 6000 km que d’un bout à l’autre de la ville… Dans une société massivement tertiaire où les « manipulateurs de symboles » peuvent exercer leurs travaux n’importe où, la notion de travail est définitivement sortie des murs de l’entreprise.

Cette ère multimodale change aussi la relation avec les moyens de transport. On peut utiliser un service de vélo en libre-service pour aller à la gare prendre son train rapide et partir à 600 km sans perdre le lien avec son bureau grâce à l’internet mobile. Posséder une voiture ne retire pas la nécessité d’en louer une, de prendre un taxi, d’emprunter les transports publics. L’hyper-mobilité implique des choix pour exploiter au mieux l’offre disponible. Il faut avant tout définir précisément l’objectif et opérer des arbitrages à l’intérieur d’un budget temps pour trouver le chemin d’efficience maximale. Elle implique une connaissance des conditions d’emploi et des usages de chacune des techniques, domaine dans lequel excelle la génération Y.

C’est bien cette forme de mobilité souple qu’il faut organiser en exploitant la nouvelle multimodalité. Qui plus est, le partage en temps réel et contextuel de l’information est la clé de ce nouveau modèle.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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