Padam veut donner un visage numérique au transport en commun
Padam est une jeune entreprise française créée en 2014 par Grégoire Bonnat et Ziad Khoury, tous deux diplômés de l’École Polytechnique (Université Paris-Saclay). L’entreprise développe depuis un peu plus d’un an une solution de transport en commun innovante, basée sur l’optimisation en temps réel de l’itinéraire des véhicules.
Les transports en commun, un domaine encore peu touché par le numérique
L’idée de Padam est née d’un constat simple : les transports publics restent le dernier bastion à ne pas avoir encore connu la « révolution numérique ». La grande majorité des lignes d’autobus fonctionne encore comme il y a plusieurs décennies, avec des itinéraires et des horaires fixes. C’est donc bien aux usagers de s’adapter aux transports, et non l’inverse. Si BlaBlaCar a révolutionné les trajets interurbains avec le covoiturage et Uber les trajets intra-urbains avec des voitures privées, très peu de services de transport en commun mettent à profit des outils tels que la géolocalisation ou l’information des usagers en temps réel, pourtant rendus accessibles à de nombreux utilisateurs de ces services grâce aux téléphones intelligents.
L’enjeu est pourtant de taille : utiliser ces outils permettrait d’améliorer la qualité du service, de mieux adapter les transports aux besoins des usagers, mais également de rendre les transports plus efficients. Il est donc nécessaire : d’une part, de redessiner un transport en commun beaucoup plus tourné vers ses utilisateurs finaux, en mettant l’accent sur l’expérience utilisateur; et, d’autre part, d’optimiser les transports pour ne plus voir rouler des autobus presque vides, ce qui est un non-sens d’un point de vue économique et écologique.
Une solution unique pour répondre à des problématiques diverses
Afin d’injecter une dimension numérique aux transports en commun et de rendre ces derniers plus flexibles et mieux adaptés à la demande, Padam développe ses propres logiciels de simulation et ses algorithmes innovants. La solution développée par l’entreprise est conçue pour optimiser en temps réel et en fonction de la demande un parc de véhicules circulant sur un territoire donné. Lorsqu’un utilisateur effectue une demande de trajet depuis l’application mobile Padam, un véhicule dévie alors sa route en temps réel pour le prendre en charge. L’algorithme identifie ce véhicule selon le trajet déjà dessiné pour déposer les autres passagers, en respectant certaines contraintes (limitation du détour et du temps de parcours total, par exemple). Les passagers allant dans une direction similaire sont ainsi regroupés automatiquement au sein d’un même véhicule.
Le cœur algorithmique de la solution est constamment enrichi grâce à un logiciel de simulation et à l’analyse de nombreuses données concernant les flux de voyageurs, permettant à moyen terme de rendre prédictif le cœur algorithmique. Par ailleurs, utilisateurs et véhicules sont constamment géolocalisés jusqu’à ce que le passager soit pris en charge, afin d’être mutuellement informés et de permettre une plus grande fluidité du service.
La solution développée par Padam peut ainsi répondre à différents cas d’usage : le remplacement de certaines lignes fixes déficitaires – car trop peu utilisées – par des lignes dynamiques par exemple; ou encore la mise en place de services de transport à la demande sur des territoires où cette dernière est trop dispersée pour mettre en place des lignes fixes. Il est également possible d’envisager l’utilisation de Padam pour répondre à la problématique du premier et dernier kilomètre à proximité des gares et des aéroports, qui accueillent des flux importants de voyageurs à des heures précises. Pour assurer une qualité de service optimale aux usagers et un service flexible, la géolocalisation, la réservation en temps réel et l’information en continu sont donc des éléments essentiels.
Un cas d’application concret : le transport de nuit à Paris
Afin d’améliorer ses algorithmes et de peaufiner son service tant sur les aspects techniques que logistiques, Padam a lancé un service test, disponible la nuit à Paris, lorsque l’offre de transport est plus restreinte. En effet, après la fin de service du métro, des RER et des Transiliens (trains de banlieue), il reste peu d’alternatives aux noctambules pour rentrer chez eux. On trouve, d’une part, les taxis, flexibles mais coûteux et qui se font rares dans certains quartiers; d’autre part, les autobus de nuit exploités par des opérateurs publics, peu fréquents et aux lignes fixes ne desservant pas uniformément tout le territoire, en particulier dans le cas de la banlieue parisienne, qui est très inégalement desservie.
Des minibus huit places, conduits par des chauffeurs professionnels, circulent ainsi les soirs de week-end pour reconduire les noctambules chez eux. Plus de 1 300 personnes ont ainsi été transportées lors des deux phases pilotes réalisées à l’automne 2014 et au printemps 2015. À une échelle plus réduite et avec plus de contraintes (moins de véhicules, prise en charge limitée à certains quartiers centraux, zone de couverture limitée à Paris intra-muros et sa proche banlieue), le service disponible la nuit à Paris ressemble donc au projet Kutsuplus, une initiative développée par la mairie d’Helsinki en Finlande.
L’orientation vers le marché B2B et le choix du modèle SaaS
Si le test réalisé la nuit à Paris est très pertinent pour améliorer le service et les interfaces destinées aux chauffeurs et aux clients, il n’en demeure pas moins compliqué pour une entreprise privée – et de surcroît une jeune entreprise – de se lancer seule sur un marché auparavant réservé à des acteurs publics bénéficiant de moyens importants et d’un imposant parc de véhicules. Après avoir lancé le service disponible la nuit à Paris avec un modèle B2C (Business to Consumer), Padam réoriente ainsi son business model vers un modèle B2B (Business to Business), en recherchant des opérateurs de transport ou des collectivités locales intéressés par la solution et prêts à mettre en place rapidement une phase pilote. Dans cette hypothèse, Padam commercialiserait sa solution en SaaS (Software as a service), avec pour modèle économique une commission prélevée sur chaque trajet payé par un passager. Actuellement en relation avec des acteurs du transport public et des collectivités, pour qui elle réalise des simulations et des études de faisabilité, Padam compte signer son premier contrat au 3e trimestre 2015.
Un projet qui présente de multiples défis
Malgré des débuts prometteurs et la validation du besoin, tant du point de vue des usagers que des opérateurs, le projet Padam reste avant tout un défi. Un défi technologique tout d’abord, car il mobilise différents savoir-faire, notamment en mathématiques, en informatique, en data science et en user experience design. Une fois le cœur algorithmique développé, il faut effectuer des tests théoriques, mais aussi réels, car la confrontation des formules à la réalité du terrain révèle souvent des ajustements à faire. La difficulté est ici de gérer les éléments aléatoires (accidents, embouteillages, difficultés pour retrouver un client, etc.) ainsi que les cas particuliers. Il est déjà compliqué de gérer un service entièrement automatisé où un chauffeur doit prendre en charge un client. Dans le cas de transports mutualisés où il faut récupérer des clients en différents lieux, le problème est encore forcément plus complexe.
Le deuxième type de contraintes rencontrées est plus d’ordre juridique et institutionnel : la réglementation en France concernant le transport, qu’il soit public ou privé (taxi, VTC, etc.) est assez complexe, comme l’illustrent en ce moment les débats ardents autour de la loi Thévenoud, votée il y a moins d’un an, et l’incertitude quant à l’avenir de services comme UberPop, Heetch ou Djump. La réglementation évolue, mais assez lentement. Il faut montrer patte blanche pour être admis comme un nouvel acteur du transport et respecter la réglementation en vigueur, même si cette dernière est encore changeante et incertaine. C’est pourquoi Padam a fait le choix lors de l’expérimentation pendant la nuit à Paris de faire appel à des chauffeurs professionnels et donc de rester dans la légalité.
Une dernière difficulté est d’entrer en contact avec les bons partenaires, des partenaires volontaires pour développer de nouveaux services et mettre en place rapidement des phases pilotes par exemple. Le transport public est un secteur qui change plus lentement que les autres, et c’est d’ailleurs en partie pour cela qu’il est resté encore peu touché par la révolution numérique. En France, les relations sont de surcroît souvent compliquées entre l’autorité organisatrice du transport (c’est-à-dire les collectivités) et les opérateurs de transport. À cela se mêlent souvent des enjeux politiques et électoraux, rendant le sujet extrêmement sensible. Le résultat est que l’usager, le client, est souvent oublié et négligé, alors qu’il devrait être au centre des décisions prises dans ce domaine.
Un impact réel sur la vie quotidienne de nombreux citoyens
Faire adopter le tournant numérique aux trans- ports en commun aura un impact sur la vie de millions de personnes, pour qui emprunter les transports en commun est un acte quotidien, beaucoup plus fréquent que celui de commander un Uber par exemple. On peut estimer que de nombreuses villes de plus de 20 000 habitants possèdent ainsi un service de transport en commun, alors qu’Uber n’est présent que dans un peu plus de 300 villes dans le monde1.
Non seulement l’amélioration des services de transport en commun concerne des millions de citoyens, mais elle aura également des effets très concrets : amélioration de la mobilité et de la qualité de vie grâce à une offre publique plus efficiente, mais aussi diminution de l’impact financier et écologique des transports publics. On peut ainsi imaginer grâce à Padam le développement d’une offre de transport à la demande dans des villes de taille moyenne, mais aussi à l’implémentation d’un service de transport dans des pays émergents sans avoir recours à des infrastructures coûteuses. L’utilité sociale de Padam a d’ailleurs été validée dans le cadre du concours Hello Tomorrow, qui s’est tenu à Paris en juin 2015 et durant lequel l’entreprise a remporté le premier prix dans la catégorie « Transport et Mobilité ».
1-Source : Uber (https://newsroom.uber.com/2015/06/five-years-and-311-cities-later/).