Les mesures préférentielles pour bus : les défis de l'implantation et du partage de la chaussée

Lundi 1 juin 2015
Mobilité durable, Infrastructures de transport, Gouvernance, Mobilité durable
Voie réservée en site propre sur l'autoroute A-10

Dans la grande région de Montréal, les récentes données de l’enquête Origine-Destination de l’Agence métropolitaine de transport (AMT) révèlent que près d’un million de déplacements sont réalisés en périodes de pointe, pour atteindre un total de 8,8 millions de déplacements quotidiens[1]. De plus, la motorisation des ménages n’a jamais été aussi élevée avec plus de 2,2 millions de véhicules à disposition des personnes (0,83 véhicule par permis de conduire), soit une croissance de 11 % en cinq ans. Ces hausses de déplacements, combinées à l’accroissement du parc automobile, provoquent une saturation des réseaux de transport, notamment des infrastructures routières. La congestion routière récurrente sur de nombreux axes influence négativement le transport collectif par autobus et réduit considérablement son attrait et sa performance.

 

Par ailleurs, le développement du réseau routier est très limité dans la plupart des secteurs urbanisés, que ce soit par l’élargissement des infrastructures existantes ou par la création de nouvelles routes. En outre, ce type de solution n’est pas toujours souhaitable et n’améliore pas systématiquement la fluidité de circulation. Il en est de même des infrastructures majeures de transport collectif, qui ne peuvent être implantées dans tous les secteurs de la région considérant, notamment, les coûts requis pour leur construction et leur exploitation.

 

Dans un tel contexte, les planificateurs et les opérateurs du transport collectif doivent trouver des solutions pour optimiser et maximiser l’utilisation des réseaux existants. En d’autres mots, il s’agit de trouver des solutions pour déplacer plus d’individus sur le réseau existant, dans de meilleures conditions et à moindres coûts.

 

Une des solutions développées par plusieurs agences de transport depuis plusieurs années, et actuellement préconisée par l’AMT, est la mise en place de mesures préférentielles pour les bus (MPB), qui visent spécifiquement l’amélioration et l’optimisation des déplacements par autobus sur les réseaux existants.

 

Dans le contexte d’augmentation du nombre de projets de MPB dans la grande région de Montréal, l’AMT poursuit trois grandes orientations : poursuivre la coordination des plans de développement des différents partenaires, implanter de nouveaux projets et favoriser une interopérabilité entre les systèmes. L’objectif est de maximiser les bénéfices pour l’ensemble des clients et des transporteurs tout en optimisant les investissements de fonds publics.Dans son Plan stratégique ‒ Vision 2020, l’AMT s’est fixé une cible spécifique concernant ces mesures avec, pour la grande région de Montréal, l’ajout de près de 170 km supplémentaires de MPB aux 85 km de voies réservées en service en 2011. Pour répondre à ces cibles, un Plan de développement 2013-2016 a été conçu, permettant la réalisation, en 2014, de deux projets de voies réservées et le développement d’interventions sur plusieurs axes métropolitains.

 

Les récents projets révèlent toutefois que la mise en place de telles solutions s’avère complexe et que de nombreux défis d’implantation et de partage de la chaussée sont à relever.

 

Les Mesures préférentielles pour les bus

Contrairement aux idées reçues, les voies réservées ne sont pas les seules mesures préférentielles pour bus réalisées au Québec. Il existe de multiples mesures d’envergure, de coûts et de bénéfices variés. Plusieurs d’entre elles peuvent être déployées sur un même axe afin de répondre à des problématiques et des objectifs spécifiques.

 

Des critères de sélection sont considérés lors de l’étude des projets pour déterminer les types de mesures à implanter et le niveau d’intervention requis.

 

Les types de mesures

  • Les voies réservées désignent une affectation exclusive de la chaussée pour divers modes de transport (taxis, autobus, bicyclettes, covoiturage, etc.). Selon le cas, un ou plusieurs modes peuvent y circuler et des plages horaires indiquant les heures de services peuvent être précisées. Elles peuvent être implantées en rive (de droite ou de gauche), en accotement (de droite ou de gauche), à contresens ou encore en site propre, selon les besoins et les contraintes géométriques du milieu.
  • Les mesures aux feux de circulation sont utilisées principalement pour réduire le temps de passage aux intersections, pour faciliter les manœuvres des autobus et pour assurer une fluidité du trafic. Ces mesures incluent, notamment, l’optimisation et la synchronisation des feux de circulation, les feux prioritaires et les systèmes de préemption. Les feux prioritaires, comme les feux chandelles, permettent aux autobus de devancer le trafic à certaines intersections, facilitant ainsi l’insertion des autobus dans la circulation.

 

Les systèmes de préemption aux feux de circulation permettent, quant à eux, de modifier en temps réel les phases des feux, avec, par exemple, le prolongement d’une phase de vert ou encore le raccourcissement d’une phase de rouge, réduisant le temps d’attente des autobus aux intersections.

  • Les autres types de mesures regroupent une multitude d’initiatives procurant des bénéfices aux autobus, dont les voies d’évitement (queue jump), les allongements de baies de virage, les suppressions de places de stationnement, les suppressions ou les obligations de tourner, le déplacement des arrêts d’autobus, etc. Celles-ci sont généralement déployées de façon ponctuelle pour maximiser la fluidité de circulation. Enfin, sur le réseau supérieur et pour certains transporteurs seulement, une mesure permet aux autobus de circuler sur l’accotement selon certaines modalités[2].

Précisons également que le développement de ces types de mesures est fortement soutenu par le ministère des Transports du Québec (MTQ) avec la promulgation, le 25 septembre 2013, d’un décret bonifiant le Programme d’aide gouvernementale au transport collectif des personnes (PAGTCP) déjà en place. Les projets liés au déploiement de MPB dont le coût est de 7 M$ au plus[3] sont remboursés à 100 %.

 

Les bénéfices des mesures 

De façon générale, les MPB procurent des bénéfices tant aux clients qu’aux opérateurs du transport collectif, variant selon les types de mesures déployées et les caractéristiques du milieu dans lesquelles elles seront insérées.

 

À court terme, les MPB procurent des bénéfices aux usagers du transport collectif, mais également pour l’ensemble des usagers de la route. À titre d’exemple, l’implantation de voies réservées va généralement de pair avec une optimisation de la synchronisation des feux de circulation et des temps pour les piétons. L’impact est alors positif pour les autobus, mais aussi pour les automobilistes, les cyclistes et les piétons. À long terme, ces mesures permettent également d’offrir des opportunités de développement de service pour les opérateurs et encouragent également un transfert modal de l’automobile vers le transport collectif.   

 

Les défis d’implantation

Les MPB constituent un atout majeur pour offrir un meilleur service aux usagers du transport collectif. D’ailleurs, tous les partenaires s’entendent sur la pertinence de telles mesures. Toutefois, lorsque vient le temps d’implanter ces mesures, les planificateurs doivent relever de nombreux défis techniques, opérationnels, sociaux et réglementaires.

 

Insertion dans le milieu

Les MPB étant principalement implantées en milieu urbain bâti, les emprises sont souvent limitées. Ainsi, un compromis doit être trouvé concernant le partage de la chaussée pour concilier les besoins du transport collectif avec les différentes contraintes : géométrie du milieu, enjeux de sécurité, besoins des chauffeurs, besoins des autres usagers de la route, stationnement, normes du MTQ, coûts de construction, etc. De plus, le développement de ces mesures étant récent au Québec, celles-ci ne sont pas toujours encadrées par des normes ou des critères d’implantation. De nombreuses démarches doivent alors être entreprises pour démontrer aux décideurs les bénéfices de telles mesures, comme le recours à des projets-pilotes ou encore l’étude des différentes pratiques au Québec, au Canada et à l’international.

 

Coordination avec les partenaires

Les villes et le MTQ sont responsables de leurs infrastructures et de multiples interventions sont constamment en développement : planification des travaux d’entretien, de reconstruction et de développement, plan de mobilité, plan particulier d’urbanisme, extension du réseau cyclable, etc. L’implantation de MPB doit s’intégrer à l’ensemble des démarches en cours. Une coordination avec l’ensemble des partenaires est donc essentielle afin d’assurer la cohérence et l’efficacité des interventions. Cette coordination est d’autant plus importante que dans de nombreux cas, les mesures sont déployées simultanément dans plusieurs réseaux locaux et supérieurs.

En raison de son rôle de planificateur régional du transport collectif, l’AMT développe des projets de MPB pour les différents transporteurs de la région. Une coordination est aussi réalisée avec tous les transporteurs pour s’assurer que les interventions répondent à leur planification et à leurs besoins opérationnels. D’ailleurs, les développements récents de mesures confirment l’importance d’une coordination entre les partenaires afin de favoriser l’interopérabilité des mesures, pour que tous les transporteurs puissent les utiliser et de façon sécuritaire. Cette coordination permet également d’optimiser la réalisation des projets et d’assurer une équité envers l’ensemble des usagers de la région.  

 

Acceptation sociale

Jusqu’à présent, le développement et l’utilisation du réseau routier étaient principalement orientés vers l’automobile. La mise en service de MPB induit une forme de rééquilibrage dans le partage de la chaussée en limitant la capacité routière pour les automobilistes au profit des usagers du transport collectif. Dans de nombreux cas, cette restriction de circulation est difficilement acceptée par les usagers de la route. D’ailleurs, même dans les cas où les voies réservées permettent de déplacer plus d’usagers du transport collectif que d’automobilistes, la difficulté d’acceptation sociale subsiste.    

 

Il est également intéressant de noter que de nombreuses Villes adoptent des plans de mobilité comportant des volets sur le développement du transport collectif et des MPB. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’exécuter ces interventions, il demeure difficile de convaincre les décideurs puisque ceux-ci doivent composer entre les impacts potentiels sur la circulation routière ou le stationnement et la réalisation de projets répondant aux besoins du transport collectif. Un tel contexte complexifie considérablement les projets tout en limitant parfois leur efficacité.

 

Une attention particulière est alors portée dans l’étude des MPB pour réduire au maximum les impacts sur l’automobile et pour sensibiliser les riverains, les commerçants et les élus aux bénéfices de ces projets. Par exemple, les voies réservées sont mises en place lors des périodes les plus critiques uniquement, pour limiter les impacts pour tous les usagers de la route. La planification des communications entourant le projet et la coordination avec les partenaires est aussi mise de l’avant dans ce type d’intervention pour le succès des projets.

 

Les défis du partage de la chaussée

L’implantation de MPB, notamment des voies réservées, entraîne plusieurs défis et questionnements sur le partage de la chaussée entre tous les modes de transport (automobiles, autobus, cyclistes, piétons, etc.). En effet, le déploiement de ces mesures vise à améliorer la performance du transport collectif, mais dans quelle mesure doit-on encourager la cohabitation avec d’autres modes, au risque de limiter les bénéfices des interventions ? Les récents développements des projets ont soulevé plusieurs enjeux et défis liés au partage de la chaussée :

  • Cohabitation avec les cyclistes et piétons : par exemple, l’implantation d’une voie réservée sur un axe induit des enjeux de cohabitation entre les autobus, les cyclistes et les piétons. Comme les cyclistes ont l’obligation de circuler à l’extrême droite de la chaussée (art. 487 du code de la sécurité routière), l’implantation de la voie réservée limite leur possibilité d’emprunter certains axes. De même, sur les axes dépourvus de trottoirs, les piétons sont autorisés à marcher sur le bord de la chaussée dans le sens inverse de la circulation (art. 453 du code de la sécurité routière). L’implantation d’une voie réservée sur les accotements complexifie leur déplacement sur ces tronçons.
  • Cohabitation avec les taxis et le covoiturage : la présence de taxis ou de covoitureurs est parfois autorisée dans les voies réservées. Néanmoins, les arrêts des taxis ou le trop grand nombre de covoitureurs peuvent réduire la performance des MPB et augmenter les enjeux de sécurité (notamment les insertions). L’efficacité des mesures aux feux de circulation peut aussi être réduite de façon significative avec une telle cohabitation.
  • Cohabitation avec les automobilistes et le stationnement : le déploiement de MPB sur les axes peut impliquer une réduction de capacité pour les automobiles, mais aussi une réduction des permissions de stationnement dans des secteurs particulièrement congestionnés. Ceci complexifie alors la circulation et le stationnement des automobiles.

Les problématiques soulevées par ces situations illustrent la complexité de conception et de fonctionnement des équipements pour assurer la sécurité de tous les usagers, répondre aux besoins de chaque clientèle et améliorer l’efficacité du transport collectif. Plusieurs questions demeurent sans réponse : doit-on autoriser tous les types de cohabitation dans les voies réservées ? Dans quelle circonstance faut-il permettre ou interdire la cohabitation ? Quelles sont les configurations des équipements les plus adéquates ? La réglementation actuelle nécessite de traiter les problématiques au cas par cas. Toutefois, les mesures en service et les projets en développement pourront servir de référence pour répondre à ces problématiques et ajuster la réglementation, en vue de satisfaire au mieux les besoins de tous.

 

Perspectives de développement

Le récent développement de MPB et les bénéfices engendrés par ces mesures démontrent qu’il est possible d’optimiser les déplacements en transport collectif dans un milieu bâti et à moindre coût. Les projets déployés à ce jour confirment que ces mesures induisent des retombées positives tant pour l’opérateur que pour la société dans son ensemble.  

 

Grâce au décret du MTQ bonifiant le programme d’aide au développement de ces mesures, de nombreux projets devraient être réalisés au cours des prochaines années. Leur déploiement sur le territoire de la grande région de Montréal sensibilisera graduellement la population et les élus aux enjeux du partage de la chaussée. Ceci devrait aussi faciliter la mise en place et l’acceptation sociale des projets. Ces nouveaux projets permettront en outre de mieux comprendre la dynamique des comportements des usagers dans le partage de la chaussée et d’ajuster en conséquence les réglementations. Ces ajustements devront être établis en collaboration avec tous les intervenants afin que les besoins et contraintes de chacun soient considérés.

 

Afin d’encourager les modes alternatifs de déplacement et d’assurer un partage plus équitable de la chaussée, d’autres mesures préférentielles pourraient également être développées pour d’autres modes de transport comme le vélo, la marche ou encore l’autopartage. Pourrait-on imaginer des voies réservées aux véhicules d’autopartage ? Des corridors avec des feux synchronisés pour les cyclistes ? Des voies de circulation réservées au covoiturage en milieu urbain ? L’expérience des MPB indique que tous les partenaires devront poursuivre leur collaboration pour développer des solutions innovantes et surmonter les nombreux défis liés à leur implantation.

 

[1] Enquête Origine-Destination de 2013, La mobilité des personnes dans la grande région de Montréal, Faits saillants – mars 2015.

[2] Ce type de mesure, dénommé UAB (utilisation de l’accotement par les autobus), est autorisé pendant les périodes de congestion uniquement, les chauffeurs des transporteurs autorisés doivent avoir reçu une formation spécifique et les différentiels de vitesses avec la circulation sont limités.

[3] (Décret n°1005-2013) Des conditions additionnelles s’appliquent :

  • Les crédits nécessaires sont disponibles au PQI (pas de nouvelle source de financement) ;
  • La subvention est accordée avant le 31 décembre 2015 ;
  • L’organisme s’engage à réaliser le projet au plus tard le 31 décembre 2016.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr