Partage de la route avec des robots? Défis et implications en matière de sécurité reliés à l’introduction des véhicules autonomes sur la voie publique

Lundi 1 juin 2015
Sécurité et Aménagement, Technologie, Mobilité durable, Mobilité durable
Figure 1 : Véhicule autonome en 1956

Selon un récent rapport de Morgan Stanley, la valeur économique associée à l’industrie automobile est estimée à 10 trillions de dollars; cette somme représente environ 15 % du PIB mondial. Ce rapport prévoit que, dans un futur proche, cette industrie connaîtra un bouleversement considérable, en raison de l’économie du partage et du développement de véhicules autonomes qui permettront à de nombreux nouveaux joueurs de se lancer dans cette industrie. Ces entreprises innovatrices risquent de provoquer des changements drastiques en matière de déplacement des personnes.[i]

 

Au-delà de la science-fiction

C’est déjà une réalité, plusieurs compagnies expérimentent ces véhicules autonomes sur la voie publique avec beaucoup de succès. Aux États-Unis, quatre États autorisent ces véhicules sur la voie publique à titre d’essai.

La confiance de ces États est bien placée. En effet, jusqu’à présent, plus d’un million et demi de kilomètres sur route ont été parcourus par les voitures Google en mode autonome[ii], notamment sur les routes de Californie et du Nevada, sans aucune collision causée par le système autonome. Selon le calcul de Bryan Walker Smith de l’université Stanford, on peut alors être assuré à 99 % que la voiture Google est plus sécuritaire qu’une voiture pilotée par un humain[iii].

Plusieurs compagnies visent la commercialisation d’une voiture pouvant fonctionner sans intervention du conducteur (par exemple, Audi, BMW, Tesla, Mercedes Benz, Nissan et Volvo), avant 2020. Mais, même si les compagnies technologiques et automobiles croient que leurs logiciels et leurs véhicules sont efficaces et sécuritaires, est-ce que ce type de véhicule répondra aux exigences réglementaires en vigueur? Est-ce que le consommateur aura un intérêt pour ce type de véhicule? Et enfin, au Québec, le public sera-t-il prêt à partager la route avec des robots?

 

Question de responsabilité en cas de collision

Plusieurs questions sont soulevées lorsque l’on considère les implications de l’introduction des automobiles sans chauffeur humain sur la voie publique. Premièrement, en cas de collision causée par un véhicule autonome, qui sera responsable?

Actuellement, le Code de la sécurité routière du Québec (CSR) stipule qu’« une personne est présumée avoir la garde ou le contrôle d’un véhicule routier lorsqu’elle occupe la place ou la position ordinairement occupée par le conducteur dans des circonstances qui permettent de croire qu’elle risque de mettre le véhicule en mouvement ». La Convention de Vienne sur le trafic routier, dont le Canada est signataire, spécifie également que tout véhicule doit avoir un conducteur, que le conducteur est responsable de la conduite de son véhicule et que les automobiles doivent être munies d’un volant[iv].

Mais, en réalité, la personne qui est dans la position du conducteur ne peut pas être tenue responsable d’une collision causée par son véhicule autonome. Actuellement, les véhicules à l’essai aux États-Unis doivent tous être munis d’un volant et le conducteur doit pouvoir prendre le contrôle du véhicule à tout moment. Malgré cela, il est irréaliste de penser qu’une personne restera aussi attentive à la route dans une automobile autonome que dans une automobile traditionnelle. Une fois notre confiance concernant le fonctionnement du système autonome acquise, notre attention sur la conduite va décroître. L’attrait pour ce type de véhicule tient justement en grande partie à la possibilité de se concentrer sur d’autres choses durant ses déplacements – sur son travail, sur son téléphone cellulaire, sur un film, etc.

En Suède, la compagnie automobile Volvo s’apprête à lancer un projet pilote pour louer une centaine d’automobiles autonomes dans la ville de Gothenburg, à partir de 2017. Lorsque le véhicule sera en mode autonome, en cas d’accident dû au système autonome, la compagnie en assumera la responsabilité[v]. C’est la solution logique au problème de la responsabilité lors d’un accident, mais elle nécessitera une révision de l’encadrement juridique de base de la conduite. Une déresponsabilisation de l’utilisateur d’un véhicule autonome pourrait également diminuer ses frais d’assurance et augmenter ainsi l’attrait de ces véhicules!

 

Est-ce qu’on se fie aux décisions d’un ordinateur?

En tant que conducteur responsable, on est toujours très attentif à la circulation sur la route. Malgré nos meilleures intentions, il est possible qu’une situation survienne devant nous et qu’elle nécessite des manœuvres afin d’éviter une collision. L’avantage d’un système autonome est que cette réaction peut être plus rapide et plus précise qu’une réaction humaine.

Mais on peut se trouver aussi non pas seulement dans une situation où il faut réagir rapidement afin d’éviter une collision, mais dans le cas où il faut prendre une décision afin de minimiser les dégâts d’une collision. Par exemple, un automobiliste change de voie de circulation sans avoir remarqué qu’on y circule déjà. Est-ce qu’on freine brusquement, en risquant de provoquer un accident avec le véhicule derrière nous? Est-ce qu’on continue tout droit, en laissant l’automobile entrer en collision avec nous? Est-ce qu’on klaxonne ou on démontre autrement notre insatisfaction envers la conduite de l’autre conducteur? Est-ce que nos décisions seront influencées par la taille des véhicules, par l’âge des conducteurs, par la présence d’enfants dans l’un des véhicules, etc.?

En éthique existe une expérience de pensée populaire connue sous le nom du « dilemme du tramway ». Plusieurs philosophes ont inventé des scénarios assez originaux selon lesquels le conducteur d’un tramway, dont les freins ont lâché, doit prendre une décision (ou décider de ne pas intervenir) sur sa trajectoire. Dans la version classique, le tramway se dirige vers cinq personnes se trouvant sur son chemin. Le conducteur peut choisir de changer de rail pour se diriger vers un rail où se trouve seulement une personne. Est-ce qu’il est moralement acceptable pour le conducteur de changer de voie et de mettre la vie d’une personne en péril pour en sauver cinq autres[vi]?

Évidemment, on peut imaginer toutes sortes de situations, comme le font les philosophes afin de mettre à l’épreuve les réflexes moraux humains. Dans ces scénarios, il y a toujours un acteur moral qui doit prendre une décision. Est-ce que, en tant qu’humain, on fera confiance aux décisions des véhicules qui n’ont pas d’acteur moral au volant? Ou est-ce que l’équipe de développeurs programmant les véhicules autonomes est en effet l’acteur moral? Est-il possible de programmer toutes les variables possibles?

Actuellement, les logiciels qui guident les décisions des systèmes autonomes sont développés par les entreprises privées. Une ouverture de ces programmes et une participation publique s’avèrent nécessaires afin de rassurer la population sur la justesse des décisions prises par ces systèmes.

 

Trop courtois au volant?

Imaginons circuler dans un véhicule autonome sur une autoroute congestionnée. Le véhicule laisse toujours un espace suffisant entre lui et le véhicule précédent. Une automobile vient occuper cet espace dans la voie devant vous, le véhicule autonome ralentit afin de laisser à nouveau un espace sécuritaire et immédiatement une autre automobile prend cette place. Imaginons également que la voiture autonome doit changer de voies, mais qu’aucun conducteur au volant des autres voitures ne cède la place. La voiture autonome, programmée pour être patiente, finit par manquer sa sortie.

Serait-il possible de choisir un mode de conduite plus déterminé afin d’éviter ces frustrations? Le « comportement » du véhicule autonome dépendrait de la personne ou de la compagnie à qui imputer la responsabilité en cas d’accident : si la compagnie automobile est responsable, il est probable que les véhicules autonomes soient assez téméraires!

 

Est-ce qu’on veut vraiment lâcher le volant?

Le grand écrivain états-unien, William Faulkner, a dit de façon mémorable qu’« en réalité, l’Américain n’aime rien de plus que son automobile : pas sa femme, ni son enfant, ni son pays, ni même son compte bancaire... »[vii]. Il est certain que notre rapport à l’automobile a changé depuis 1948 quand Faulkner écrivait ces mots, mais il y a toujours un certain plaisir associé à la conduite. On aime le sentiment de contrôler le véhicule. Et sans doute développe-t-on une « relation » avec notre automobile, même si ce n’est pas toujours basé sur l’amour. On connaît ses forces et ses faiblesses et on en prend soin. Est-ce qu’on aurait autant de satisfaction avec un véhicule autonome, avec lequel notre rapport serait beaucoup plus passif? Il est fort possible que le désir de contrôler le véhicule pour préserver un sentiment d’indépendance et d’autonomie soit un facteur qui ralentira l’adoption des technologies autonomes.

 

Quand au Québec?

Pour l’instant, la technologie autonome, qui dépend largement des systèmes de détection par laser (LIDAR) pour recréer une image de l’environnement dans lequel l’automobile circule, n’a pas fait ses preuves lors des intempéries – c’est-à-dire dans 15 à 20 % du temps en milieu urbain au Québec[viii]. Les essais de la voiture Google déjà mentionnée ont majoritairement été faits dans le climat chaud et sec du sud-ouest états-unien.

Même si, à cause de son climat, l’introduction des véhicules autonomes sera plus tardive au Québec qu’ailleurs, il n’y a pas de raison pour que les obstacles soient insurmontables. La technologie avance généralement à une vitesse exponentielle et les véhicules autonomes sécuritaires seront donc probablement parmi nous plus rapidement qu’on ne l’imagine[ix].

 

 

[i] Jonas, Adam : “Why Google and Apple may want to make your car”, Morgan Stanley (https://www.morganstanley.com/ideas/why-google-apple-may-want-to-make-your-car/)

Hirsch, Jerry : “Major auto industry disruption will lead to robotic taxis, Morgan Stanley says”. Los Angeles Times, 7 avril 2015. (http://touch.latimes.com/#section/-1/article/p2p-83236815/)

[ii]   Pritchard, Justin : « Google acknowledges 11 accidents with its self-driving cars », Associated Press, 11 mai 2015. http://bigstory.ap.org/article/297ef1bfb75847de95d856fb08dc0687/ap-exclusive-self-driving-cars-getting-dinged-california La voiture Google fait référence aux automobiles munies de systèmes de pilotage automatisés développés par l’entreprise technologique Google. La plupart des essais ont été faits avec des Toyota Prius ou des Lexus, modifiées afin de pouvoir être contrôlées par ce système.

[iii] Cité dans Perreault, Mathieu : « Une évolution juridique ». La Presse Plus, 29 mars 2015

[iv] Code de la sécurité routière du Québec, article 5.1 (http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/C_24_2/C24_2.htm) ; Convention de Vienne sur la circulation routière, article 8 (http://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19680244/)

[vi] Cova, Florian : Le dilemme du Trolley : les origines. (http://blog.philotropes.org/post/2008/12/26/364-le-dilemme-du-trolley-les-origines)

[vii] Faulkner, William : Intruder in the Dust, (traduction libre) : https://www.goodreads.com/work/quotes/1121143-intruder-in-the-dust

[viii] Andrey, Hambly, Chaumont et Rapaic : Changements climatiques et sécurité routière : perspectives urbaines. Association des transports du Canada, 2013. P.27

[ix] La loi des retours accélérés (law of accelerating returns) stipule que la technologie se développe à une vitesse exponentielle. Kurzweil, Ray : « The Law of Accelerating Returns », 2001 (http://www.kurzweilai.net/the-law-of-accelerating-returns

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr

Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation