Les transports actifs comme solution au manque d’activité physique
Les impacts de la motorisation accélérée des ménages et, conséquemment, de l’utilisation de la voiture sur la santé des populations sont bien connus. Du moins, certains impacts comme ceux reliés à la qualité de l’air et au bruit.
En ce sens, certains résultats de l’enquête Origine-Destination 2013 dévoilés en janvier 2015 par l’Agence métropolitaine de transport (AMT) n’ont rien de très réjouissants d’un point de vue de santé publique. En effet, l’enquête est venue confirmer le rythme de croissance du parc automobile observé depuis quinze ans, et également le fait que la stagnation observée en 2008 était circonstancielle, comme l’indiquait l’AMT lors du dévoilement des résultats. Plus précisément, une augmentation de 11 % de la motorisation en cinq ans a été observée, soit deux fois plus que la croissance de la population (5 %).
Nous verrons brièvement dans les lignes qui suivent que, bien qu’il n’y ait évidemment pas lieu de se réjouir de cette situation, nous pouvons tout de même être optimistes quant aux possibilités de développement des transports actifs (vélo et marche) à des fins utilitaires (travail, études). En effet, l’enquête démontre qu’on observe au centre-ville de Montréal une croissance des déplacements actifs d’environ 15 %, un taux qui dépasse même celui de la voiture et des transports collectifs, alors que les transports actifs à Montréal affichent une croissance marquée, de 54 % pour l’utilisation du vélo et de 7 % pour la marche.
Dans cet article, nous proposerons une solution alternative toute simple au manque de temps si souvent évoqué pour justifier l’inactivité physique, laquelle a de graves répercussions en matière de santé publique, notamment la croissance significative des cas d’obésité.
L'obésité est devenue un enjeu majeur de santé publique, au point que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a qualifié d’épidémie l’augmentation de l’obésité et des problèmes de poids à travers le monde[1]. Et le Québec n’y échappe pas. En effet, l’obésité et l’embonpoint sont en hausse ici comme au Canada. Selon une étude publiée dans la revue de l’Association médicale canadienne, le taux d’obésité au Canada a triplé entre 1985 et 2011[2].
Par ailleurs, le 26 janvier 2015, le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs[3] a publié ses dernières lignes directrices sur la prévention et la gestion de l'obésité adulte. Aujourd'hui, 67% des hommes et 54% des femmes sont considérés comme obèse ou en surpoids.
Les lignes directrices du Groupe d'étude présentent des recommandations fondées sur des preuves et formulées pour aider les médecins en soins primaires à jouer un rôle plus intégral dans la prévention et la gestion de ce problème croissant.
L'obésité chez les adultes est souvent mal comprise. Bien qu'un excédent de poids résulte essentiellement du rapport entre l’énergie consommée et celle dépensée, plusieurs facteurs externes peuvent l’expliquer, notamment la génétique, le comportement et l'environnement. Il est aussi reconnu qu’un excès de poids augmente le risque de plusieurs maladies chroniques, dont les maladies cardiovasculaires (MCV), certains cancers, le diabète de type 2 (DT2), l'arthrose et les douleurs lombaires.
Par ailleurs, une étude toute récente menée par des chercheurs de l'Université de Cambridge (Royaume-Uni) et publiée également en janvier 2015 dans l'American Journal of Clinical Nutrition indique qu’en Europe, le manque d'exercice serait deux fois plus meurtrier que l'obésité.
Les scientifiques ont analysé les données de 334 000 hommes et femmes, suivis pendant douze ans dans le cadre de l'Étude prospective européenne sur le cancer et la nutrition (EPIC). Parmi eux, près d'un quart (22%) ont été classés dans la catégorie des inactifs, qui exercent un emploi sédentaire, n'ont aucun loisir sportif et ne pratiquent pas d'activité physique régulière. En croisant ces résultats avec les données d'une étude de l’OMS sur la mortalité en Europe, les chercheurs ont estimé que la sédentarité causait chaque année en Europe 676 000 décès, soit deux fois plus que l'obésité, qui en provoque 337 000, et augmente les risques de développer des maladies cardio-vasculaires et des cancers.
Et si sédentarité et surpoids vont souvent de pair, il est par ailleurs démontré que les personnes minces ont plus de risques d'avoir des problèmes de santé s'ils sont inactifs. De même, les personnes obèses qui pratiquent une activité physique régulière sont en meilleure santé que ceux qui ne font aucun sport.
Dans cette même étude, les chercheurs britanniques indiquent qu’un peu d'exercice suffirait à réduire les risques de mort précoce entre 16% et 30% tout en ayant une meilleure santé en général.[4]
De plus, dans un rapport de l’Unicef daté de 2013 portant sur le bien-être des enfants dans les pays riches, le Canada se situe au 3e rang des pays affichant des taux d’obésité infantile élevés sur les 29 pays à l’étude[5].
Enfin, il est bon de rappeler que le lien de causalité entre l’urbanisation et la santé en général, particulièrement la sédentarité, a été mis en lumière il y a plus de 20 ans. On sait en effet depuis longtemps que la création de milieux de vie orientés principalement vers l’usage de l’automobile entraîne des effets néfastes sur la santé des populations.
La conjecture de Zahavi
La conjecture de Zahavi, du nom de son concepteur, Yacov Zahavi, est une théorie selon laquelle les déplacements quotidiens se font à budget-temps de transport constant et que leur portée spatiale est reliée à la vitesse de déplacement. Dans le cadre de ces recherches, le chercheur a constaté que le budget-temps quotidien consacré au transport au fil des siècles a toujours été d’environ une heure.
Avec l’accélération des transports, le temps passé pour la mobilité ne diminuerait pas, car la distance parcourue augmenterait. C’est paradoxal si on se fie à certaines statistiques qui indiquent que plus la distance et le temps de déplacement augmentent, plus les gens sont stressés, plus ils sont portés à réduire leur temps de sommeil et à considérer qu’ils n’ont pas de temps pour s’amuser. La vitesse accrue des transports leur offre pourtant l’opportunité d’améliorer leur qualité de vie, dans la mesure où ils n’en profitent pas, bien entendu, pour s’établir encore plus loin de leur lieu de travail. Il faut donc chercher des solutions qui permettront à ceux et celles qui s’établissent en banlieue de combiner transports actifs et collectifs.
Se donner le temps en combinant transport et activité physique
En 2006, la distance franchie par la population active entre le lieu de résidence et le lieu habituel de travail atteignait une valeur médiane de 7,8 km au Québec, alors que 35,4 % des Québécois parcouraient moins de 5 km pour se rendre au travail.
Comme on peut donc le voir dans le tableau ci-contre, la très vaste majorité des Québécois pourrait se tourner vers les modes actifs, notamment le vélo, pour assurer leurs déplacements domicile-travail. Ces personnes auraient donc la possibilité de combiner transport utilitaire et activité physique sans pour autant hypothéquer leur temps de déplacement car, sur de si petites distances, a fortiori en milieu urbain dense, le vélo est aussi rapide que la voiture sinon plus. Ce mode de déplacement actif ferait ainsi tomber l’un des arguments évoqués pour ne pas améliorer sa forme physique, soit le manque de temps causé par un horaire de travail trop chargé.
Toutefois, au préalable, il est nécessaire de développer les infrastructures cyclables qui rendront ces déplacements sécuritaires. Ces infrastructures représentent des sommes négligeables quand on connaît les effets positifs qui en résulteraient. Sachant que le budget de la santé gruge environ la moitié des dépenses de l’État, il est grandement temps que nous passions graduellement d’un mode essentiellement curatif à un mode préventif.
Il importe également de poursuivre l’implantation de mesures d’apaisement de la circulation, car la diminution de la vitesse des véhicules a un effet sécurisant sur les usagers de la route les plus vulnérables, les piétons et les cyclistes, ce qui entraînera un attrait pour les modes actifs. Il est encore trop tôt pour évaluer le lien de causalité entre les mesures d’apaisement de circulation judicieusement implantées à Montréal depuis l’adoption du Plan de transport en 2008 et la croissance phénoménale de l’utilisation des modes actifs annoncée dans l’Enquête Origine-Destination, mais cela n’a certainement pas nui.
Enfin, il faut souligner la pertinence des projets de vélo-station mis de l’avant par la Société de transport de Montréal (métro Lionel-Groulx) et l’AMT (gare de Deux-Montagnes). Ces projets permettent aux usagers de combiner transports actif et collectif. Dans ces deux cas, des pistes cyclables favorisent la complémentarité des modes. Voilà une excellente idée qui devrait être répétée partout au Québec, et pas seulement dans la région de Montréal.
Des villes en mode solution
Ce n’est pas d’hier que le monde municipal porte une attention particulière au secteur de la santé publique. Créé en 1988, le Réseau québécois de Villes et Villages en santé compte aujourd’hui 200 municipalités membres, représentant plus de 70 % de la population québécoise.
Nous pourrions citer en exemple plusieurs municipalités qui se sont distinguées au fil des ans en ce qui a trait à la qualité des documents stratégiques qu’elles ont élaborés avec leurs citoyens pour promouvoir la santé, notamment Lévis, Longueuil ou Québec pour n’en nommer que quelques-unes. Soulignons également la vaste consultation publique entreprise par la Ville de Montréal qui a mené à l’adoption de son plan d’action régional 2014-2025 ayant pour objectif de d’encourager les Montréalais à combattre la sédentarité qui les gagne.
Enfin, mentionnons l’adoption en janvier 2015 par la Ville de Victoriaville du programme Hop la Ville. Ce n’est pas un hasard si Victoriaville a mis en place un tel programme. Son maire, M. Alain Rayes, donne l’exemple, lui qui a décidé il y a quelques années de prendre le virage des saines habitudes de vie.
Sa conférence remarquée et inspirante lors du colloque La mobilité cyclable en milieux urbains, l’heure des choix, organisé par l’AQTr en décembre 2014 est venue confirmée ce que nous savions, soit que les élus ont une grande influence sur leur population et que celle-ci n’attend bien souvent que le signal de départ pour suivre le mouvement des saines habitudes de vie. Hop la Ville, nous en sommes convaincus, servira de levier pour inciter la population de Victoriaville à prendre un virage santé. Une chose est sûre, les initiatives audacieuses implantées en matière de réseau cyclable devraient faciliter l’adoption des transports actifs à des fins de déplacements utilitaires, ce qui représente tout un défi pour les villes de taille moyenne au sein desquelles bien souvent la congestion routière n’existe pas.
Le Grand défi Pierre Lavoie, les événements cyclistes et l’Association cycliste pour le développement des affaires (ACDA)
On ne saurait passer sous silence les retombées des différents événements cyclistes qui se sont développés ces dernières années au Québec sur la pratique du vélo à des fins utilitaires. Le Grand défi Pierre Lavoie, par exemple, avec les fameux 1000 km en est un bel exemple. Véritable événement de masse, ce marathon cycliste spectaculaire réunit près de 1500 cyclistes qui doivent pédaler à relais du Saguenay–Lac-Saint-Jean jusqu’à Montréal. Ce Grand défi n’est pas seulement un exploit sportif. C’est avant tout une tribune pour faire prendre conscience à la collectivité de l’importance de changer nos habitudes de vie.
Mais au-delà de cela, les 1500 participants 1000 km et les 5000 autres qui participent à La Boucle prennent ainsi conscience de l’importance d’intégrer la pratique de l’activité physique à leur quotidien. Plusieurs nous en font part et nous indiquent que ces événements ont changé leur vie et qu’ils se convertissent aux transports actifs dès qu’ils en ont l’occasion. Et s’ils ne peuvent pas le faire, ils sont néanmoins sensibilisés au respect mutuel qui doit s’établir entre les différents usagers de la route.
L’ACDA apporte également tout un lot de retombées positives en ce qui a trait au choix des transports actifs à des fins utilitaires. Cette association est née de l’initiative de professionnels du milieu des affaires désirant créer une nouvelle avenue en développement et en réseautage par l’entremise d’une passion commune : la pratique du vélo. Mais au-delà de cela, les activités organisées par l’ACDA ont permis de convertir bon nombre d’entre eux aux vertus des transports actifs. Comme il s’agit de dirigeants influents dans leur milieu, ces professionnels participent dans plusieurs cas dans leur milieu de travail au développement de mesures incitatives favorables aux transports actifs, comme l’aménagement de douches ou l’installation d’enclos à vélo sécuritaires.
Enfin, la multitude d’événements cyclistes, notamment l’éclosion des activités de type Gran Fondo, amène encore plus de gens à prendre conscience des avantages du vélo en milieu urbain. En effet, ces cyclistes en quête de performance intègrent de plus en plus la pratique du vélo utilitaire à leurs habitudes de vie car, comme tout le monde, ils manquent de temps pour tout faire et, hélas!, pour eux aussi, les journées ne durent que 24 heures.
Luc Couillard est directeur de la Table d’expertise en mobilité durable de l’AQTr. Il est formateur au sein de l’Alliance des moniteurs de ski du Canada (AMSC). Il est impliqué dans le domaine du vélo depuis plusieurs années à titre de directeur d’un club cycliste regroupant plus de 200 membres, membre du comité organisateur du Gran Fondo Mont-Tremblant, du Tour cycliste CIBC Charles-Bruneau et encadreur pour la Grande traversée du Canada, organisateur de camps de vélo en Virginie, commissaire dans le cadre de courses cyclosportives et enfin entraîneur au sein de l’Association des cyclistes en développement des affaires (ACDA). Du temps où il travaillait pour l’AMT, il a été à l’origine du premier projet de vélos en libre-service à Montréal, ce qui allait devenir BIXI.
Pierre LAVOIE est un athlète engagé. En 1999, il lance le premier Défi Pierre Lavoie au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Grâce à son défi, Pierre réussit à recueillir les fonds nécessaires pour mettre en place une équipe multidisciplinaire de chercheurs à l’Université du Québec à Chicoutimi. Des avancées importantes sont réalisées, et le gène responsable de l’acidose lactique est enfin trouvé en 2003. Il est :
- Président de l’Association de l’acidose lactique
- Porte-parole de CORAMH (Corporation de recherches et d’actions sur les maladies héréditaires)
- Fondateur du Club cycliste acidose lactique (10-17 ans)
- Fondateur du Défi Pierre Lavoie qui a amassé 650 000 $ en quatre éditions pour la recherche sur l’acidose lactique
- Cofondateur du Grand défi Pierre Lavoie
Il a également été récompensé à maintes reprises, dont :
2005 – Membre de l’Ordre des 21
2005 – Personnalité de l’année, catégorie Humanisme, courage et accomplissement, gala Excellence de La Presse
2005 – Médaille du service méritoire du Gouverneur général du Canada
2006 – Chevalier de l’Ordre national du Québec
2009 – Personnalité de l’année, catégorie Courage, humanisme et accomplissement personnel, Soirée Excellence La Presse/Radio-Canada
2010 – Doctorat honoris causa de l’Université du Québec à Chicoutimi
2010 – Lauréat d’un Maurice de l’Hommage Jacques-Beauchamp, Gala Sports Québec
2011 – Médaille d’honneur de l’Assemblée nationale
2011 – Médaille d’or de l’Ordre du mérite de la Fédération des commissions scolaires du Québec
2011 – Médaille d’honneur de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal
2012 – Membre de l’Ordre du Canada
[1] Organisation mondiale de la Santé (2003). Obésité : prévention et prise en charge de l’épidémie mondiale. Série de rapports techniques (no 894).
[2] Laurie K. Twells et collaborateurs (2014). Current and predicted prevalence of obesity in Canada: a trend analysis. Canadian Medical Association, 2(1), E18-E26.
[3] Canadian Task Force on Preventive Health Care (January 2015), Recommendations for prevention of weight gain and use of behavioural and pharmacologic interventions to manage overweight and obesity in adults in primary care.
[4] The american journal of Clinical Nutrition, January 14 2015, Physical activity and all-cause mortality across levels of overall and abdominal adiposity in Europe men and women : the European Prospective Investigation into Cancer and nutrition (EPIC).
[5] UNICEF (2013). Le bien-être des enfants dans les pays riches - Vue d'ensemble comparative. Bilan innocenti 11, Centre de recherche de l'UNICEF, Florence.