Se déplacer en sécurité et de façon autonome, comment y voir plus clair?

Samedi 21 juin 2014
Sécurité et Aménagement
Aménagement extérieur centre-ville

Actuellement, les piétons découvrent de nouveaux aménagements du domaine public qui encouragent pleinement la mobilité active : piste multifonctionnelle, rue partagée, zone de rencontre, rue piétonne. Des lieux où les concepteurs font preuve de beaucoup de créativité. Des lieux où la joute visuelle entre le piéton, l’automobiliste et le cycliste sert de régulateur aux conflits.

D’autre part, certaines personnes présentent des difficultés visuelles. Au Québec, on estime que 304 0001 personnes ont des problèmes significatifs et persistants à réaliser leurs activités quotidiennes à cause de limitations visuelles. Ces personnes se déplacent à l’extérieur, marchent sur les trottoirs, traversent aux intersections, croisent des pistes cyclables. Elles doivent éviter de heurter le mobilier urbain. Elles doivent aussi éviter de se faire heurter par les autres usagers de la rue. Et, surtout, elles doivent maintenir leur orientation et percevoir en tout temps où elles sont situées et vers où elles se dirigent, malgré les bifurcations et les changements de direction, et ce, dans tous les types de conditions atmosphériques.

Sans surprise, nous pouvons affirmer que les personnes ayant une déficience visuelle rencontrent de grandes difficultés dans leurs déplacements à l’extérieur. Les obstacles environnementaux sont nombreux. Malheureusement, leurs modes de déplacement sont méconnus des concepteurs du domaine public qui, s’ils étaient mieux outillés, pourraient faire en sorte de leur faciliter les choses.

Les spécialistes en orientation et mobilité de l’Institut Nazareth et Louis-Braille et les spécialistes en accessibilité universelle de Société Logique ont choisi de s’attaquer à cette question en développant les Critères d’accessibilité universelle – déficience visuelle – aménagements extérieurs, un outil unique et complet permettant de comprendre à la fois comment les personnes ayant une déficience visuelle appréhendent l’espace urbain et comment aménager le domaine public de façon à leur permettre la pleine utilisation de leurs capacités.

La méthode utilisée

L’équipe multidisciplinaire a commencé par dresser une liste des espaces problématiques, à partir de l’expérience clinique des spécialistes en orientation et mobilité. Des regroupements ont conduit au choix de six thématiques : le trottoir public, le coin de rue, le signal sonore, les intersections complexes, les pistes cyclables et les espaces vastes.

Une revue de la littérature a ensuite permis d’établir un certain nombre de critères d’accessibilité, communs à plusieurs sources. Des critères ont également été définis à partir de l’expérience terrain des membres de l’équipe. Comme les problématiques reliées aux conditions hivernales soulèvent plusieurs questionnements, des études et des essais terrains ont été menés. Enfin, une attention particulière a été portée afin que les critères choisis ne posent pas préjudice à d’autres clientèles, les personnes ayant une limitation motrice par exemple.

Une fois établis, les critères ont été soumis à une validation auprès de représentants de personnes ayant une limitation visuelle, d’experts en orientation et mobilité de sept centres de réadaptation au Québec, d’un expert de Vélo Québec et de deux ingénieurs en signaux sonores du ministère des Transports du Québec. Cette validation a permis de bonifier le contenu, tout en s’assurant qu’il soit représentatif des besoins des usagers et des divers contextes régionaux.

La surface podotactile et la tuile de guidance en conditions hivernales : résultats d’études et d’essais terrains

Les conditions hivernales prévalant au Québec soulèvent plusieurs questions concernant l’efficacité de certaines solutions proposées ailleurs dans le monde. Est-ce que les surfaces podotactiles aménagées aux coins des rues peuvent être perçues malgré la neige et la glace? Peuvent-elles résister aux nombreux passages de la machinerie assurant l’entretien des trottoirs? Est-ce que les lignes de guidance, qui permettent de maintenir une trajectoire dans des espaces vastes, sont fiables durant la saison hivernale? Afin d’en savoir davantage, une équipe de spécialistes en orientation et mobilité de l’INLB et du Centre de réadaptation MAB-Macka

y a mené des études et a participé à des essais terrains dans divers sites du Grand Montréal métropolitain.

Surface podotactile

L'Étude sur l’efficacité et la sécurité des surfaces podotactiles en conditions hivernales2 a permis de tester les surfaces podotactiles constituées de dômes tronqués telles que recommandées par la norme américaine Americans with Disabilities Act (ADA). Des tuiles de matériaux et de couleurs différentes, pour vérifier l’effet de la couleur sur la fonte de la neige, ont été installées sur un toit plat et des participants ayant une cécité totale ont tenté de les détecter.

Longeant une corde, chaque participant devait s’arrêter dès que la tuile, légèrement couverte de neige, était perçue par le pied. Le taux de détectabilité obtenu fut de 64 %, comparable à celui d’autres études. Les auteurs de l’étude concluent que la couleur n’a aucun effet sur la fonte de la neige et que la surface podotactile peut être efficace sur les côtés ensoleillés des trottoirs, là où la neige et la glace fondent rapidement. D'autre part, l’essai terrain de différents matériaux mené par la Ville de Montréal a permis de conclure que seuls des matériaux de forte densité tels la fonte et l’acier plein offrent une résistance suffisante au déneigement et à l’entretien.

Tuile de guidance

L’INLB a également vérifié l’efficacité de tuiles de guidance en conditions hivernales3. Trente-six participants ont testé des bandes de guidance de 30 cm de largeur, configurées en T. Ils étaient invités à effectuer des trajets en forme de « L » et leurs déplacements étaient observés. Les résultats obtenus indiquent que le maintien du contact avec la tuile recouverte de neige pose de grandes difficultés à la majorité des participants. Les auteurs suggèrent que l’emploi des tuiles de guidance soit considéré uniquement pour faciliter l’orientation (et non lorsqu'il est question de sécurité), en condition non hivernale et sur de courtes distances. Une bande plus large (60 cm de largeur) permettrait d’offrir un meilleur taux de détection lors d’une approche perpendiculaire.

Un aperçu des Critères d’accessibilité universelle – déficience visuelle – aménagements extérieurs

L’utilisation aisée du document par les concepteurs étant au cœur des préoccupations des auteurs, les six thématiques sont présentées sous forme de fiches illustrées, dans une terminologie appropriée à l’aménagement. Chaque fiche débute par les habiletés utilisées lors des déplacements ainsi que les difficultés qui s’y rattachent, en fonction de la thématique traitée. Les concepts et les critères de base facilitant la circulation et l’orientation sont ensuite présentés, à titre de bonnes pratiques. En dernier lieu, un certain nombre de situations particulières sont abordées, guidant le concepteur dans la recherche de solutions adaptées à son contexte.

Le trottoir public

Deux principaux problèmes sont attribuables au trottoir public : un corridor piétonnier mal défini qui entraîne la désorientation et des objets en saillie causant des collisions. La fiche 1 – Trottoir public présente les critères de base : le corridor piétonnier libre d’obstacle, de largeur suffisante, en ligne droite, près des bâtiments et distinct des autres composantes du trottoir public (chaîne de trottoir, zone de plantation ou destinée au mobilier urbain, marge de recul). On y traite également de l’éclairage et de l’entretien.

« Une attention particulière doit être portée à l’implantation des supports à vélos, des bancs publics, des parcomètres, des panonceaux, des bornes de stationnement qui se trouvent dans la zone de plantation ou de mobilier urbain de manière à ce qu’ils n’empiètent pas dans le corridor piétonnier. »

Le coin de rue

Les deux principaux problèmes constatés à un coin de rue simple sont la détection de la transition trottoir/chaussée (bateau pavé – abaissement du trottoir au niveau de la chaussée) et le maintien de l’orientation nécessaire à la poursuite du déplacement, une fois la traversée complétée. La fiche 2 – Coin de rue présente les critères d’aménagement d’un bateau pavé détectable par une personne ayant une limitation visuelle (surface podotactile) et franchissable par une personne ayant une limitation motrice. On y explique l’importance de l’alignement entre le corridor piétonnier, le bateau pavé et le passage piétonnier afin qu’une personne puisse reconnaître l’endroit où traverser et rester orientée.

« Le bateau pavé en apex est situé dans la trajectoire du corridor piétonnier. Le passage pour piétons est aligné avec le corridor piétonnier et couvre la pleine largeur du bateau pavé. »

Les principaux problèmes associés à la traversée de certaines rues avec feux de circulation consistent à savoir quand et où traverser de façon sécuritaire. La fiche 3 – Signal sonore présente des situations où la configuration de l’intersection ou le peu de circulation parallèle rendent aléatoire, et par conséquent dangereuse, toute tentative de traversée. Dans ces situations, le signal sonore peut s’avérer la solution. Certains critères, ajoutés à ceux inclus dans la norme du ministère des Transports, doivent toutefois être respectés pour éviter les erreurs d’interprétation et permettre l’alignement avant et après la traversée.

« Lorsque le bouton d’appel est accompagné d’une signalisation visuelle, cette dernière ne doit pas présenter un obstacle à la personne qui approche le fût des feux de circulation : le panneau illustrant le besoin d’activer un bouton-poussoir doit être courbé, de préférence, et installé sur le fût; les panneaux de signalisation non courbés sur le fût doivent être placés à une hauteur supérieure à 2,20 m afin d’éliminer les risques de blessure. »

Les intersections complexes

Lorsque l’intersection est complexe, les défis pour savoir où et quand traverser sont amplifiés, car les indicateurs habituels (bruit de la circulation, emplacement du bateau pavé) ne sont plus suffisants. La fiche 4 – Intersections complexes analyse et propose des solutions pour la traversée sécuritaire d’une grande variété d’intersections : intersection munie de système de contrôle automatisé des feux de circulation, rue de largeur excessive avec ou sans refuge, avec bretelles d’accès, intersection décentrée ou en T, carrefour giratoire ou passage piétonnier entre deux intersections. « Dans le cas d’une rue de largeur excessive avec arrêt sur un refuge, l’entrée et la sortie du refuge doivent être bien perçues à l’aide d’indicateurs tactiles. »

Les pistes cyclables

Quatre principaux problèmes sont causés par la croissance rapide du réseau cyclable en milieu urbain : les risques de collision plus élevés, l’anxiété créée par l’incapacité de percevoir l’arrivée soudaine d’un cycliste, la présence accrue de vélos faisant saillie dans le corridor piétonnier et la difficulté de localiser l’arrêt et d’accéder à l’autobus lorsqu'il faut traverser une piste cyclable. La fiche 5 – Pistes cyclables présentent les critères permettant une cohabitation plus harmonieuse et sécuritaire des réseaux cyclable et piétonnier.

« L’emplacement des supports à vélos doit faire l’objet d’une attention particulière : éviter d’installer les supports à vélos près des bâtiments; installer les supports à vélos dans la zone de mobilier urbain et éloigner suffisamment les supports à vélos du corridor piétonnier de manière à ce que les vélos (incluant pédalier, guidon) n’empiètent pas dans le corridor piétonnier. »

Les espaces vastes

Les places publiques, les rues piétonnes et les stationnements présentent des défis d’orientation importants. La fiche 6 – Espaces vastes présentent les critères permettant de définir et de bien délimiter les corridors piétonniers dans les espaces vastes, de façon à permettre à tous de s’y déplacer en sécurité et en toute confiance.

« Dans les places publiques, les espaces de circulation doivent être organisés de sorte à favoriser des déplacements simples et intuitifs. Des corridors situés aux endroits où l’usager s’attend normalement à les trouver, le long des façades d’édifice par exemple, seront plus faciles à localiser. »

 

À vous de jouer… et d’y voir plus clair!

Considérant le vieillissement de la population, le contexte québécois en matière d’inclusion, l’absence de réglementation en matière d’accessibilité du domaine public et l’émergence de nouvelles pratiques, les Critères d’accessibilité universelle – déficience visuelle – aménagements extérieurs constituent un outil indispensable pour toute personne concernée par l’accessibilité, la sécurité et la fonctionnalité des lieux extérieurs.

Le document, finaliste au Concours international de Design For All Foundation Good Practices Awards 2014, est accessible gratuitement sur les sites Internet de l’Institut Nazareth et Louis-Braille (www.inlb.qc.ca) et de Société Logique (www.societelogique.org). Vous pouvez consulter les fiches au : http://www.inlb.qc.ca/ criteres-accessibilite-amenagements-exterieurs

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr

Formation

Sécurité et Aménagement Gestion de la circulation