Promouvoir l’utilisation des transports collectifs et actifs grâce au programme-employeur : le cas du CHUM

Lundi 30 mars 2015
Mobilité durable, Mobilité durable
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Marion Ait Akkouche
Étudiante à la maîtrise
Université de Montréal (UdeM)

La réduction de notre dépendance à l’automobile au profit des transports collectifs et actifs constitue un défi majeur pour les professionnels de l’aménagement et des transports mais aussi de la santé. Parallèlement à cela, de plus en plus d’employeurs, aux prises avec des difficultés reliées aux déplacements de leurs employés, adoptent une démarche proactive par la mise en application de plans de déplacements entreprise (PDE), ou programmes-employeurs, sur leurs sites d’implantation.

C’est le cas du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) qui décida en 2010 de mettre en œuvre son propre programme-employeur au sein de ses trois hôpitaux, Saint-Luc, Notre-Dame et Hôtel-Dieu, conséquemment aux importantes difficultés rencontrées en matière de stationnement sur les trois sites.

 

Le programme-employeur comme outil de gestion de la demande en transport

Les programmes-employeurs commencèrent à être plébiscités au Québec au début des années 2000, après que le ministère des Transports (MTQ) ait constaté les résultats satisfaisants de quelques projets-pilotes qu’il avait commandités. Ils se basent sur les préceptes de la gestion de la demande en transport afin de promouvoir une utilisation accrue des transports collectifs et actifs auprès des travailleurs. S’ils sont parfois le fruit d’une réglementation imposant aux entreprises de se doter de telles politiques, les programmes-employeurs sont le plus souvent issus d’une démarche volontaire émanant de l’employeur souhaitant se doter d’outils afin de résoudre certains dysfonctionnements internes à l’entreprise. On pense notamment au manque de places de stationnement disponibles sur le site de l’entreprise et aux coûts que ceux-ci représentent, aux conséquences de la congestion sur l’accessibilité au site et sur la ponctualité des employés, ou encore à la volonté d’améliorer les conditions de travail des employés en réduisant le stress relié à leurs déplacements quotidiens et en encourageant la pratique d’une activité physique.

Les programmes-employeurs consistent en la mise en application au sein de l’entreprise d’un cocktail de mesures visant à encourager les employés à effectuer un report modal de l’auto-solo vers des modes de déplacement alternatifs (autobus, métro, covoiturage, vélo, marche, etc.) lors de leurs déplacements domicile-travail et professionnels. Certaines entreprises élargissent même l’application de ces mesures à leur clientèle. Il est ainsi question de subventionner en partie les abonnements aux transports collectifs, de mettre à disposition des employés des infrastructures favorables à l’utilisation des transports actifs (supports à vélos, enclos sécurisés, douches, etc.) ou encore de mettre en place une campagne de communication assurant la promotion de ces modes alternatifs en en vantant les avantages économiques, sanitaires et environnementaux.

Afin de parvenir à implanter ces programmes, les entreprises peuvent compter sur l’expertise des Centres de gestion des déplacements (CGD), mis sur pied avec le soutien du gouvernement du Québec au début des années 2000, dont la mission est d’accompagner les employeurs désireux de se doter d’une politique de gestion des déplacements de leurs employés et éventuellement de leurs clients. En plus de maîtriser l’ensemble des mesures pouvant être mises en œuvre lors de l’élaboration d’un programme-employeur, ces experts sont également capables de dresser un diagnostic des besoins des employés ou clients en matière de déplacement. C’est en comparant ces besoins au portrait des modes de déplacement à disposition des employés sur le site de l’entreprise que les experts des CGD sont alors à même de conseiller l’entreprise dans le choix des mesures les plus appropriées à sa situation.

 

Un programme-employeur au CHUM pour pallier le manque de stationnements

Accueillant plus de 12 000 professionnels de la santé, près de 6 000 étudiants et recevant jusqu’à 1 million de visiteurs par année, les trois hôpitaux du CHUM sont de très importants générateurs de déplacements localisés dans un espace urbain très dense et relativement bien desservi par les transports collectifs. Contraint par le manque d’espace, limitant notamment les possibilités d’agrandissement des stationnements existants largement insuffisants, mais également motivé par une volonté d’améliorer les conditions de travail de ses employés, le CHUM décida en 2010 de se doter d’un programme-employeur. L’objectif était alors de réduire l’empreinte écologique de l’établissement de santé en minimisant l’usage de transports polluants et en « [offrant] des solutions de remplacement – transport en commun, covoiturage, marche, vélo – aux employés […] qui [voulaient] se déplacer autrement que seuls en voiture ».

Au-delà des aspects traditionnellement considérés lors de l’implantation d’un plan de déplacements, comme l’origine géographique des employés, la qualité de la desserte en transports collectifs ou le budget alloué au programme, plusieurs spécificités complexifient cette démarche dans le cadre d’un établissement de santé. On notera par exemple la multiplicité des horaires de travail à prendre en considération, reliée à la diversité des professions en présence au sein de celle-ci et, notamment, à la part significative de travailleurs de nuit, ces derniers n’ayant que très peu de choix de modes de déplacement pour se rendre au travail. La main-d’œuvre féminine importante au sein d’un hôpital imposera également de considérer la sécurité comme un critère majeur dans le choix du mode de déplacement utilisé, les femmes étant généralement peu enclines à utiliser les transports collectifs ou actifs seules en soirée ou la nuit. La notion d’urgence intrinsèque à certaines professions de la santé ou encore le souci de rétention du personnel, très présents dans le contexte hospitalier, sont également des éléments à prendre en compte lors du choix des mesures à adopter.

Consciente de ces spécificités et s’appuyant sur les résultats d’un sondage soumis à ses employés avec le soutien du Centre de gestion des déplacements (CGD) Voyagez-Futé, la Direction des services techniques du CHUM mit en œuvre les mesures suivantes :

  • Deux mois offerts sur l’abonnement annuel OPUS/TRAM financés par l’AMT et le MTQ auxquels s’ajoute un mois offert la première année par le CHUM ;
  • Abonnement OPUS gratuit pendant un an pour tous les employés décidant de renoncer à leur permis de stationnement ;
  • Mise à disposition d’enclos à vélos sécurisés (cadenas et caméras) sur chaque site moyennant des frais d’adhésion de 20 $ (payés une fois lors de la remise des clés) ;
  • Mise en place d’un programme pour faciliter le covoiturage.

Une collaboration avec la Direction de la qualité, de la promotion de la santé et de l’expérience patient du CHUM a également mené à la réalisation de multiples campagnes de sensibilisation encourageant la pratique d’une activité physique régulière ou encore le recours à la marche ou au vélo pour se déplacer entre les différents sites de l’hôpital.

 

Évaluation de ces stratégies de gestion des déplacements

En novembre 2012, 795 employés adhéraient au programme, avant que celui-ci ne soit modifié pour se rattacher aux programmes OPUS & Cie et OPUS+ Entreprise mis en place respectivement par la STM et l’AMT et proposant aux entreprises des partenariats permettant d’offrir à leurs employés des rabais sur les titres de transport annuels. Les chiffres de mars 2014 recensaient 78 employés adhérant à OPUS & Cie et 384 à OPUS+ Entreprise, soit une baisse significative comparativement aux premiers résultats.

Rarement recueillies à la suite de la mise en œuvre de tels programmes, les perceptions des usagers directement concernés pas ceux-ci permettent néanmoins d’aller plus loin que des données chiffrées et visent l’évaluation de la pertinence des mesures introduites et leur ajustement. Dans le cadre d’un travail dirigé de maîtrise, une dizaine d’acteurs du CHUM – gestionnaires, employés, patients – furent ainsi interrogés sur leurs impressions à l’égard du programme-employeur en application et sur leurs besoins réels en matière de mobilité vers et depuis le centre hospitalier. Il en ressort principalement une vraie reconnaissance de l’utilité d’un tel programme, tant chez les gestionnaires qui y voient des gains en matière d’efficacité ou de productivité, que chez les employés pour qui une meilleure accessibilité à leur lieu de travail constitue un réel avantage. Néanmoins, plusieurs faiblesses sont à relever. Le manque de mesures variées favorisant le transport actif, la communication insuffisante sur les incitatifs et les infrastructures existants ou encore le décalage observé entre les mesures proposées et la demande réelle (aucune mesure à destination des travailleurs de nuit, des patients et des visiteurs mis totalement à l’écart des réflexions menées relativement à la gestion des déplacements) sont ainsi autant de constats établis par ces usagers et pouvant justifier le faible engouement actuel pour le programme. Ils laissent également entrevoir différentes pistes d’amélioration afin de faire évoluer le programme-employeur, dont certaines ont d’ores et déjà été intégrées au projet du nouvel hôpital (douches et vestiaires dans tous les bâtiments, grands enclos à vélos sécurisés, amélioration des partenariats avec les acteurs du transport comme la STM ou Bixi, etc.).

 

Bonnes pratiques et perspectives d’avenir pour les programmes-employeurs

Afin de renforcer l’efficacité de son programme-employeur, parmi les bonnes pratiques ayant fait leurs preuves dans de nombreux cas et dont pourrait se doter la direction du CHUM, on évoquera, notamment, l’établissement d’une politique de stationnement claire, transparente et juste comme base de toute stratégie de gestion des déplacements. Mieux prioriser les interventions et adopter une démarche plus collaborative (impliquant les employés) permettraient également d’optimiser les ressources investies et de maximiser l’adhésion au programme, tout en assurant une meilleure communication sur les mesures mises en œuvre. Enfin, l’intégration des patients et des visiteurs à ces réflexions devrait être envisagée afin de faciliter aussi leurs déplacements et d’encourager les personnes suffisamment autonomes à recourir aux transports collectifs et actifs lors de leurs visites sur le site.

De manière générale, employeurs et employés ont tout à gagner à investir davantage de moyens financiers et humains dans la mise en œuvre de tels programmes-employeurs. Les nouvelles générations de travailleurs, plus sensibilisées aux problématiques du développement durable et de la santé, exigent de plus en plus fréquemment que leurs employeurs adoptent des comportements exemplaires à cet égard. Il en est donc de l’attractivité et de la compétitivité des entreprises de se doter d’un programme-employeur.

Sur la toile

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