Planification des opérations de viabilité hivernale dans une perspective de développement durable
Viabilité hivernale et développement durable
Les opérations reliées à l’entretien hivernal des réseaux routiers ont un impact considérable sur l’environnement. En effet, les sels de voirie utilisés pour le déglaçage des routes polluent les rivières, les lacs et les nappes phréatiques et rendent le sol stérile et inutilisable. Le développement du réseau routier amplifie d’autant plus les impacts sur le milieu naturel. Cependant, étant donné la nécessité de combattre la dégradation des conditions routières de façon à faciliter la mobilité et à assurer la sécurité des usagers, l’aspect environnemental est souvent négligé dans l’élaboration des plans de déneigement. Le but de cet article est donc d’étudier la planification des opérations de viabilité hivernale non seulement dans une perspective de réduction des coûts d’exploitation et d’amélioration de la sécurité des transports, mais également dans une perspective de diminution de l’impact environnemental et de développement durable.
Nouvelles technologies
D’une part, les outils d’aide à la décision développés par les spécialistes de la recherche opérationnelle intègrent les techniques d’analyse mathématique et l’informatique afin de résoudre des problèmes d’optimisation de très grande taille. D’autre part, les nouvelles technologies de télédétection des conditions routières et de traitement des données permettent d’obtenir et de traiter une quantité importante de données opérationnelles traduisant les activités réalisées en hiver pour l’entretien des réseaux routiers.
En plus de permettre l’intégration des données recueillies à la planification des opérations de viabilité hivernale, l’utilisation combinée des techniques de la recherche opérationnelle et des nouvelles technologies permet d’échanger l’information entre les différents intervenants impliqués dans la planification des opérations reliées à l’entretien hivernal des réseaux routiers. La figure 1 présente les quatre étapes du cycle de l’information en viabilité hivernale.
À l’étape 1 du cycle, Récolte de données et instructions aux opérateurs, diverses données sur les conditions routières sont récoltées à partir de capteurs de température de la chaussée, fixes et mobiles. Les capteurs fixes sont installés à des endroits stratégiques, près des voies de circulation. Les capteurs mobiles sont montés sur des véhicules spécialement conçus afin de caractériser de plus grandes surfaces. Des capteurs peuvent également être installés directement sur les véhicules d’entretien afin d’obtenir une description détaillée des conditions routières. D’autres systèmes installés dans les véhicules des particuliers, comme les freins antiblocages, peuvent fournir aussi de l’information sur l’état de la chaussée.
À l’étape 2, Stockage, les données récoltées en temps réel, sont transmises par onde cellulaire au serveur central afin d’être stockées jusqu’à leur utilisation.
L’étape 3, Traitement et analyse, permet ensuite d’intégrer les données dans un Système d’information géographique (SIG) afin d’établir les liens entre les données récoltées ayant une certaine proximité géographique.
Enfin, à l’étape 4, Outils d’aide à la décision, le développement de ces outils vise à synthétiser une grande quantité de données pour guider la prise de décision comme le déploiement des ressources dans le réseau routier. Cette étape repose sur le développement de méthodes de la recherche opérationnelle. Ces méthodes tiennent compte des contraintes opérationnelles reliées à la configuration des tournées de véhicules pour l’entretien hivernal des réseaux routiers. Le cycle se termine lorsque les tournées, générées par les outils d’aide à la décision et validées par les gestionnaires, sont transmises aux opérateurs des véhicules de déneigement à l’aide d’un système de guidage (GPS).
Résolution de problèmes de tournées de véhicules pour le déglaçage et le déblaiement des routes
La résolution de problèmes de tournées de véhicules pour le déglaçage et le déblaiement des routes (étape 4 du cycle de la figure 1) grâce aux techniques de la recherche opérationnelle comprend les cinq phases suivantes : 1) définition du problème; 2) collecte des données; 3) élaboration d’un modèle mathématique; 4) résolution du modèle et 5) validation du modèle.
1) Définition du problème.
C’est la phase où sont définis le contexte, les données du problème à résoudre, l’horizon de planification, les objectifs à optimiser, ainsi que les contraintes prises en compte. Cette phase résulte d’une collaboration intensive entre les gestionnaires et les chercheurs. Le tableau suivant présente les principales caractéristiques des problèmes de tournées de véhicules pour les opérations d’entretien hivernal des réseaux routiers.
Nous décrivons ici quelques-unes de ces caractéristiques, parmi les plus courantes. Le respect de la hiérarchie du réseau exige que les classes de rues soient desservies en respectant un certain ordre établi selon la densité de circulation. Par exemple, les rues commerciales doivent être desservies en premier lieu, ensuite les rues résidentielles et les rues rurales en dernier. Un autre type de contrainte consiste à imposer certaines restrictions entre les rues et les véhicules. Cette restriction dépend de la taille du véhicule, de sa vitesse et de sa forme. Par exemple, les autoroutes doivent être obligatoirement desservies par les véhicules rapides. À l’opposé, les rues étroites doivent être desservies par les petits véhicules, comme les chargeurs. Une synchronisation peut aussi être imposée entre les véhicules. Le service en tandem assure, par exemple, que les véhicules seront localisés à un point donné du réseau routier au même moment.
2) Collecte des données.
Cette phase consiste à obtenir les données pertinentes au problème. Tout d’abord, le réseau routier est intégré dans un SIG (figure 2) afin d’associer les informations pertinentes au problème. Toutefois, la création d’un réseau routier complet et actualisé n’est pas chose simple. De nouvelles routes sont fréquemment construites, d’autres sont abandonnées. Statistique Canada fournit gratuitement les données reliées au réseau routier par l’entremise de l’Initiative de démocratisation des données (IDD). Malgré tout, un travail considérable de mise à jour de la topologie du réseau routier doit être réalisé en collaboration avec les gestionnaires.
Une fois le réseau routier actualisé, des attributs associés à chaque segment du réseau peuvent être ajoutés : nombre de voies à couvrir, classe du segment (commercial, rural, etc.), direction (pour les rues à sens unique), etc. Les données réelles fournies par les gestionnaires permettent enfin de préciser les paramètres du modèle développé à la phase suivante.
3) Élaboration d’un modèle mathématique.
Cette phase vise à élaborer une formulation mathématique du problème de tournées de véhicules pour le déglaçage et le déblaiement des routes. Cette formulation incorpore, à l’aide de formules mathématiques, les caractéristiques traitées dans les applications réelles et définies à la première phase.
4) Résolution du modèle.
C’est la phase où l’on recourt à une méthode d’approche, soit une méthode exacte, soit une approche de résolution approximative. Les méthodes exactes permettent d’obtenir le meilleur ensemble de tournées de véhicules selon l’objectif considéré et les contraintes prises en compte. Toutefois, les problèmes de tournées de véhicules pour le déglaçage et le déblaiement des routes sont souvent très difficiles à résoudre de manière exacte. En effet, lorsque l’on traite des problèmes de taille comparable à ceux rencontrés dans la pratique, les méthodes exactes s’avèrent coûteuses en matière de temps de calcul. Afin de traiter ces problèmes, on doit recourir à des méthodes approximatives. On sacrifie alors la garantie d’optimalité des méthodes exactes de façon à obtenir une solution de bonne qualité en un temps raisonnable.
Les approches de résolution approximatives peuvent être divisées en deux grandes catégories : les stratégies Groupes et Tournées et les stratégies Tournées et Groupes. Dans la première catégorie, pour chaque véhicule, un groupe de segments à desservir est d’abord créé (figure 3). Ce groupe de segments est appelé secteur de déneigement. Une tournée desservant les segments du secteur est ensuite construite. Cette tournée donne l’ordre dans lequel les segments du secteur doivent être empruntés. La seconde catégorie contient les méthodes qui consistent à construire une tournée englobant tous les segments du réseau routier puis à partager cette tournée géante en plusieurs tournées de façon à former une tournée par véhicule tout en respectant les contraintes. Les deux approches donnent de très bons résultats et le choix de la stratégie à adopter dépend des caractéristiques du cas étudié.
5) Validation du modèle.
À la phase finale, les tournées générées sont analysées en collaboration avec les gestionnaires. On peut alors remettre en cause le modèle, la valeur des paramètres, l’approche de résolution ou encore les critères d’évaluation des tournées de véhicules. Une fois validées, les tournées sont transmises aux conducteurs. Le format de présentation des tournées varie selon les besoins des gestionnaires : feuilles de route, format électronique pour utilisation sur GPS (figure 4), etc.
Application à la Ville de Dolbeau-Mistassini
La stratégie Groupes et Tournées a été utilisée pour élaborer de nouvelles tournées de véhicules pour le déglaçage et le déblaiement des routes de la ville de Dolbeau-Mistassini pendant la saison d’hiver 2010-2011. Cette méthode a permis de réduire le temps d’achèvement des opérations de déglaçage et de déblaiement de près de 50 % tout en assurant une meilleure coordination des véhicules. En plus de réduire les dépenses directes reliées à la conduite des opérations de déglaçage et de déblaiement, l’utilisation combinée des techniques de la recherche opérationnelle et des nouvelles technologies a permis d’améliorer le niveau de service et la sécurité des transports, de réduire les coûts payés par les automobilistes et les entreprises (coûts associés aux accidents, aux retards, et à la perte de salaires et de productivité) et d’atteindre un meilleur bilan environnemental en diminuant l’utilisation de sels de voirie.
Remerciements
Les auteurs remercient les gestionnaires du Service des travaux publics de la Ville de Dolbeau-Mistassini de leur collaboration, plus particulièrement MM. Denis Boily, ing., Nicolas Blackburn, ing. jr, et Julien Tremblay.
Les auteurs
Olivier Quirion-Blais est étudiant au doctorat au département de mathématiques et de génie industriel de l’École polytechnique de Montréal.
Martin Trépanier est professeur titulaire au département de mathématiques et de génie industriel de l’École polytechnique de Montréal.
André Langevin est professeur associé au département de mathématiques et de génie industriel de l’École polytechnique de Montréal.
Nathalie Perrier est associée de recherche au département de mathématiques et de génie industriel de l’École polytechnique de Montréal.