Lâcher le volant sans perdre le contrôle de nos villes

Lundi 23 janvier 2017
Technologie, Technologie, Mobilité durable
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Catherine Morency
Professeure titulaire
Polytechnique Montréal - professionnels
Vincent Lichère
Nicolas Pelé
Étudiant
Polytechnique Montréal - étudiants

Introduction

Les dernières années ont vu poindre une panoplie d’offres de transport s’inscrivant hors des définitions modales types et proposant des modalités opérationnelles nouvelles. Portées par les développements technologiques rapides et le courant de l’économie du partage, ces nouvelles offres sont venues ébranler les interactions entre les modes de transport plus classiques en offrant des services qui ont rapidement séduit les segments d’utilisateurs bêta pour ensuite prendre des parts de marché plus importantes. C’est le cas de modes tels que l’autopartage, le vélopartage ou le covoiturage, ainsi que toutes leurs déclinaisons. Ces offres innovantes et les plateformes technologiques qui les soutiennent ont modifié la façon dont les personnes planifient leurs activités et se déplacent.

Une autre révolution se prépare dans le monde du transport et c’est celle de l’autonomisation des véhicules, vers laquelle l’introduction de l’automatisation grâce à de nombreuses aides à la conduite nous pousse de plus en plus inexorablement. En regard des multiples impacts qu’une telle conversion aura, il semble étonnant, voire inquiétant, qu’aucune stratégie d’implantation ne soit pas encore discutée et que les territoires ne soient pas déjà en train d’imaginer les modalités d’insertion de telles technologies. Regarder le train passer, dans un tel contexte, pourrait s’avérer désastreux pour l’avenir de nos villes, puisque la façon dont s’implantera cette technologie au sein des systèmes de transport aura des incidences importantes sur les comportements de mobilité et la structure des villes.

Cet article s’interroge ainsi sur les devenirs possibles de notre système de transport, entre le prolongement d’un modèle où le véhicule privé à usage individuel est dominant et un développement coordonné intégrant les transports collectifs et les véhicules partagés. Un état des lieux sur l’autonomisation des véhicules est tout d’abord dressé, suivi d’une revue des enjeux et des impacts selon l’intégration de cette technologie dans nos systèmes de transport urbain.

Vous avez dit autonomisation?

Les technologies relatives à l’autonomisation des véhicules progressent rapidement, avec leur mise en place graduelle dans les véhicules actuels sous la forme d’aide à la conduite : aide au stationnement, au dépassement, au freinage d’urgence par exemple. Les aspects législatifs évoluent également avec, d’une part, des efforts de création de nomenclatures sur l’automatisation (telles que celle proposée par l’administration de la sécurité routière aux États-Unis – NHTAS ou la Société des Ingénieurs Automobile – SAE) et, d’autre part, les premières autorisations de circuler des véhicules autonomes. Plusieurs essais de voitures autonomes sont en cours, en circuits fermés ou mêlés à l’ensemble de la circulation, dont ceux de la très médiatique Google Car. Les prévisions les plus optimistes quant à leur arrivée sur le marché se situent à partir des années 2020, pour une généralisation parmi les ventes de voitures neuves d’ici 2050.

Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser en première approche, l’autonomisation des véhicules ne concerne pas exclusivement nos voitures personnelles, dans le simple prolongement de nos usages actuels. Il existe en effet différents types et usages de véhicules autonomes :

  • Les voitures autonomes individuelles, utilisées de manière personnelle;
  • Les voitures autonomes individuelles, utilisées de manière collective, disponibles dans le cadre d’un parc partagé de véhicules en libre-service;
  • L’ensemble des transports collectifs publics, tels que les autobus, le métro, les navettes, gérés au sein d’un système de transport automatisé;
  • Enfin, bien que hors du champ de la mobilité quotidienne des personnes qui nous intéressent plus particulièrement ici, les véhicules de marchandises, de transports interurbains et de livraisons intra-urbaines.

Les études portant sur les challenges de l’autonomisation des véhicules sont très récentes, mais l’intérêt pour le sujet et la variété des thématiques concernées vont croissants. En plus du formidable défi technologique qui est posé, les questions soulevées par les futurs usages de ces véhicules sont également très vastes : la gestion des circulations, la diminution de la congestion, l’amélioration de la sécurité occupent une place importante des études publiées. D’autres travaux s’intéressent également aux conséquences de l’autonomisation des véhicules sur les comportements de mobilité, l’organisation du système de transport, ses nouveaux acteurs et sa gouvernance, le développement de la ville, les retombées sociales, les impacts sur l’environnement, globaux et locaux, ainsi que sur la santé publique… Pour une revue de la littérature actualisée, voir par exemple (Litman, 2014; Fagnant et Kockelman, 2015; Corporate Partnership Board, 2015) ou pour un rapport destiné aux décideurs politiques (Anderson et collab., 2014).

En revanche, les essais d’implémentation de systèmes de transport collectifs automatisés et les conclusions qui en découlent restent encore rares, mais permettent néanmoins de juger de la faisabilité de leur mise en place. Le projet CityMobil2, qui a lieu actuellement en Europe, vise justement à implémenter et à tester ces nouveaux systèmes de transport (Alessandrini et collab., 2015). Cependant, les questions posées par ces expériences sont fondamentales car, parmi les mondes possibles qui s’ouvrent à nous au cours des prochaines années, l’option « avec des systèmes de véhicules partagés » apparaît de plus en plus probable, avec des interrogations sur les modalités de leur gestion, portée par des acteurs privés ou intégrée au sein des réseaux de transport collectif, et de leur régulation, par le marché ou avec des règles introduisant une cohérence globale voulue par la collectivité.

Des pommes et des oranges : usage individuel ou collectif?

Les effets de l’autonomisation des véhicules seront probablement très différents selon le niveau d’anticipation des pouvoirs publics. Sans la prise en considération rapide de ce phénomène par les collectivités, le remplacement des véhicules traditionnels par des véhicules autonomes s’effectuera en premier lieu de manière individuelle, avec la généralisation de la possession d’une voiture autonome par ménage et les inégalités évidentes que cela produira du fait du prix à payer pour en disposer. Dans le cas contraire, l’autonomisation pourrait représenter une opportunité pour les collectivités de repenser le système de transport avec la mise en place conjointe et coordonnée d’un système de transport public automatisé et d’un parc de voitures autonomes partagées.

Le remplacement des voitures traditionnelles par des voitures autonomes en l’absence d’une offre de transport public à la hauteur de ce changement aura certainement pour conséquence un usage plus important de l’automobile. La voiture autonome simplifie et généralise l’accès à l’automobile en fournissant un service de conduite aux jeunes et aux personnes âgées, et plus généralement à ceux qui ne pouvaient pas conduire un véhicule traditionnel. La disparition de la fatigue liée à la conduite, la possibilité de réinvestir ce temps de conduite dans d’autres occupations, l’absence de recherche d’un espace de stationnement et le dépôt au lieu de destination exact (la voiture ira ensuite se garer toute seule si besoin) sont autant de facteurs qui vont radicalement changer la perception du temps de déplacement, pouvant faciliter les trajets longs et renforcer le phénomène d’étalement urbain. Cela pourrait également contrebalancer les gains sur la congestion promis par l’autonomisation des véhicules et même réduire ceux reliés à la sécurité routière du fait d’une trop forte hausse des volumes de circulation.

La mise en place d’un système de transport public automatisé permettrait de conserver son attractivité sur certains axes structurants, tels que ceux entre le centre-ville et les pôles périphériques. L’automatisation pourrait être l’opportunité d’instaurer sur ces axes un haut niveau de service à partir d’un cadencement régulier et fiable. Ces axes pourraient être combinés à des services de navettes desservant les quartiers de manière fine et régulière. L’absence de chauffeur permettrait d’utiliser des véhicules plus petits, mais à fréquence élevée, diminuant ainsi les temps d’attente et renforçant l’attractivité du service. Enfin, un système de transport à la demande pourrait être mis en place dans les périphéries dans des zones non desservies pour le moment pour des raisons budgétaires. Avec un tel service de transport collectif performant dans le centre et en périphérie, la voiture individuelle ne serait alors plus l’unique mode de transport utilisé, réduisant ainsi le phénomène de dépendance à l’automobile.

Par ailleurs, en levant la contrainte de posséder sa propre automobile, la généralisation d’un système d’automobiles partagées permettrait de diminuer les coûts de la motorisation pour les ménages. Le parc automobile global serait par ailleurs mécaniquement réduit, permettant également de supprimer de nombreux emplacements de stationnement. D’une part, contrairement à la situation actuelle, les voitures autonomes partagées seraient pour la plupart en mouvement et, d’autre part, en ayant perdu leur caractère individuel et personnel, les véhicules inutilisés pourraient être garés de manière plus optimisée. Des gains de densité pourraient ainsi être faits tout en préservant une bonne qualité de vie et en libérant de l’espace pour les modes actifs : généralisation des pistes cyclables sécuritaires et trottoirs suffisamment larges pour accueillir un flux de piétons par exemple. Cela pourrait aboutir à une ville où les cyclistes et les piétons se sentent plus en sécurité et moins vulnérables face aux voitures, ce qui conduirait à un usage plus important des modes actifs et viendrait contrebalancer l’attirance pour la voiture liée à l’augmentation du confort de conduite.

Conclusion

L’automatisation des véhicules est le prochain défi auquel les collectivités seront confrontées dans un avenir qui se rapproche à grands pas. Cette révolution aura de multiples impacts, tant sur les comportements de mobilité que sur l’aménagement du territoire. Il est encore temps d’anticiper ce phénomène et de ne pas se laisser dépasser par la généralisation de la voiture autonome individuelle. Il est néanmoins important que les collectivités, en tant que planificateurs du territoire et fournisseurs de service à la mobilité, agissent rapidement afin de penser au mieux la transition de leurs réseaux de transport publics, l’intégration de systèmes de véhicules autonomes partagés, ainsi que la régulation de l’ensemble avec les nouveaux acteurs en émergence. Des tests d’implémentation sur les territoires ont déjà été réalisés en Europe, il serait sûrement pertinent d’en réaliser également au Québec afin d’acquérir plus d’expérience dans le domaine.

Ressources :

Alessandrini, Adriano, Andrea Campagna, Paolo Delle Site, Francesco Filippi, & Luca Persia. (2015). « Automated Vehicles and the Rethinking of Mobility and Cities ». Transportation Research Procedia, SIDT Scientific Seminar 2013, 5: 14560. doi:10.1016/j.trpro.2015.01.002.

Projet CityMobil2 : regroupe des chercheurs, des fournisseurs de services, des gérants de réseaux et des décideurs depuis 2012. Objectif : créer une plateforme qui gère un système de transport de véhicules autonomes « automated road transport systems » (ARTS). Cet article propose différents systèmes de transport de véhicules autonomes et synthétise les principaux enjeux – sécurité, congestion, pollution, stationnement, desserte du territoire, mobilité.

Anderson, James M., Nidhi Kalra, Karlyn D. Stanley, Paul Sorensen, Constantine Samaras, & Oluwatobi A. Oluwatola. (2014). Autonomous vehicle technology: a guide for policymakers. Santa Monica, CA : Rand Corporation.

Rapport détaillé à destination des décideurs sur ce qu’est un véhicule autonome, l’ensemble de ses impacts sur de nombreux secteurs, ses applications concrètes, la législation en vigueur et des recommandations aux politiques.

Fagnant, Daniel J., & Kara Kockelman. (2015). « Preparing a nation for autonomous vehicles: opportunities, barriers and policy recommendations ». Transportation Research Part A: Policy and Practice 77 (juillet) : 16781. doi:10.1016/j.tra.2015.04.003.

Synthèse des impacts potentiels des véhicules autonomes sur la mobilité – sécurité, congestion, comportements de mobilité, motorisation et distances parcourues en voiture, transport de marchandises et stationnement – et des obstacles à leur implémentation – coûts, certification, législation, sécurité, perception et vie privée.

Litman, Todd. (2014). « Autonomous Vehicle Implementation Predictions ». Victoria Transport Policy Institute 28. http://sh.st/st/787f28ed3e745c14417e4aec27303038/http://www.vtpi.org/avi....

Rapport explorant les différents impacts des véhicules autonomes, en réalisant une analyse coûts-bénéfices à la fois du point de vue économique, social et environnemental. Alors que d’autres articles ne proposent qu’une vision positive de l’automatisation, ce rapport fournit une vision nuancée sur le sujet. Les différents obstacles à franchir pour l’implémentation des véhicules autonomes sont également passés en revue.

Corporate Partnership Board. (2015). « Urban Mobility System Upgrade. How shared self-driving cars could change city traffic ». OECD/IIF.

Rapport sur les impacts des véhicules autonomes sur la mobilité – motorisation, distances parcourues, congestion –, sur les aménagements locaux des villes et la transition vers l’automatisation.

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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