Comment appliquer les principes du développement durable au transport maritime sur le fleuve Saint Laurent ? La deuxième Stratégie de navigation durable du Comité de concertation Navigation répond à cette question

Mercredi 19 octobre 2016
Technologie
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Sébastien Marcoux
Analyste en transport
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)

 

La croissance démographique, l’occupation toujours plus dense du territoire, l’exploitation accélérée des matières premières et les impacts de ces activités sur l’environnement ont conduit divers intervenants internationaux, dans les années 1960, à amorcer une réflexion portant sur la durabilité sociale, économique et environnementale de ce développement. Cette réflexion s’est graduellement intensifiée et a culminé, en 1987, avec le rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Une expression simple, mais intégrante, du développement durable était finalement proposée et acceptée par la communauté internationale :

Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins.

Cette définition a servi de cadre de référence à différents secteurs d’activité qui l’ont adaptée à leurs besoins respectifs. Ainsi, dans le secteur des transports, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a proposé une définition du transport durable qui ne faisait pas de distinction entre les différents modes :

Un transport qui ne met pas en danger la santé publique et les écosystèmes et qui respecte les besoins de mobilité tout en étant compatible avec une utilisation des ressources renouvelables à un taux inférieur à celui nécessaire à leur régénération; et une utilisation des ressources non renouvelables à un taux inférieur à celui nécessaire à la mise au point de ressources renouvelables de remplacement[1].

Ces multiples efforts ont permis d’établir le cadre d’orientation du développement durable. Ce dernier prend en considération les trois pôles principaux suivants, soit l’économie, l’environnement et la société, et il doit tendre à un équilibre entre eux. En appliquant ces concepts aux activités de navigation, il devient possible de définir ce que pourrait être une navigation durable pour le Saint‑Laurent :

Une gestion de la navigation commerciale et récréative et des opérations de navires à quai intégrant les objectifs de durabilité économique, environnementale et sociale et assurant, à court terme et pour les générations futures, une protection adéquate des écosystèmes, de la qualité de vie, de la santé et de la sécurité humaine, tout en permettant le développement de la navigation[2].

Comment appliquer ces principes de développement durable au transport maritime sur le fleuve Saint-Laurent ? Le Comité de concertation Navigation a proposé des pistes à suivre pour avancer dans cette réflexion. En effet, des principes directeurs et d’application ont été élaborés afin de servir de cadre de référence aux intervenants et aux décideurs ayant à agir directement ou indirectement sur les questions touchant les activités de navigation commerciale et de plaisance. Conformément à la définition, les principes constituent une vision du Saint‑Laurent à préserver en proposant des balises au déroulement des activités de navigation. L’appropriation de cette vision par les décideurs et les intervenants en favorise la mise en œuvre concrète.

Les principes directeurs et d’application ont été définis afin d’encadrer les différentes actions reliées à la navigation en vue de respecter les exigences d’une navigation durable.

PRINCIPES DIRECTEURS

  • Protection des écosystèmes et de la ressource eau

Assurer la pérennité des écosystèmes du Saint‑Laurent, leur productivité et les rôles essentiels qu’ils jouent, et ne pas perturber la qualité et la quantité d’eau disponible.

  • Sécurité des personnes et des navires

Suivre les principes et les mesures de sécurité reconnus pour les équipages, les usagers, les marchandises et les navires.

  • Développement des activités de la navigation commerciale

Respecter les exigences du développement économique des activités de navigation et s’assurer de leur harmonisation avec les impératifs environnementaux et sociaux; maintenir les accès portuaires soutenant ces activités et optimiser le recours à la navigation dans les situations où ce mode de transport offre comparativement plus de gains environnementaux.

  • Développement des activités récréatives et de plaisance

Favoriser le développement et la pratique responsable de ces activités et s’assurer de leur harmonisation avec les impératifs environnementaux et sociaux.

  • Harmonisation des usages et implication des collectivités riveraines

Respecter les besoins des différents usagers du Saint‑Laurent, particulièrement en matière d’accessibilité, et s’assurer de la participation des collectivités riveraines aux processus décisionnels.

 

PRINCIPES D’APPLICATION

  • Concertation élargie des intervenants de la navigation

Développer et maintenir la concertation entre les intervenants publics, les usagers et les collectivités riveraines, et favoriser la participation au processus décisionnel selon des modalités diverses pouvant aller de l’échange d’information à la consultation et, le cas échéant, à la prise en charge de projets particuliers.

  • Consolidation des bonnes pratiques et innovation dans les mesures de gestion environnementale

Appuyer et consolider les bonnes pratiques et les initiatives existantes, et en élaborer de nouvelles au regard de l’évolution des connaissances, des technologies et des conditions environnementales.

  • Acquisition et partage de connaissances, et formation

Favoriser, par la recherche et le développement, l’acquisition et le partage de connaissances environnementales, techniques et économiques reliées à la navigation. En assurer le transfert, par la formation, vers les usagers commerciaux et récréatifs.

  • Diffusion de l’information, sensibilisation et implication

Diffuser l’information concernant les impacts et les avantages de la navigation afin de modifier les perceptions et les comportements des intervenants du domaine maritime, des collectivités riveraines et des usagers, et favoriser la réalisation d’actions stratégiques ciblées.

  • Appréciation environnementale des actions

Assurer un suivi systématique et régulier de l’efficacité environnementale des mesures mises en œuvre, et instaurer des correctifs au besoin.

Ces principes reposent principalement sur des valeurs environnementales et sociales telles que le maintien et le développement d’activités à moindre impact sur le milieu, la collaboration et la concertation entre les divers intervenants, mais aussi sur une économie maritime fondée sur une efficacité accrue des activités de navigation.

 

La Stratégie de navigation durable

Avec ces idées en tête, dès sa première édition en 2004, la première Stratégie de navigation durable a constitué, dans le milieu maritime, une référence en développement durable résultant de la concertation des gouvernements, de l’industrie maritime, des organismes environnementaux, des collectivités riveraines représentées par les comités ZIP (zones d’intervention prioritaires) et des plaisanciers.

Cette initiative avait été élaborée par le Comité de concertation Navigation et était issue de la troisième phase du Plan d’action Saint‑Laurent (1998-2003), une entente Canada‑Québec pour la conservation et la mise en valeur du Saint‑Laurent. Cette première édition avait comme objectif d’adapter les pratiques de gestion des intervenants de la navigation commerciale et de plaisance de façon à prendre en considération les impératifs de durabilité environnementale, économique et sociale. Elle visait à établir un équilibre entre les pratiques de la navigation et les autres usages du Saint‑Laurent, ainsi qu’à concilier ces différents intérêts par la concertation.

La deuxième Stratégie de navigation durable a évolué au rythme des préoccupations émergentes et constitue, en ce sens, un exemple de gestion adaptative. Soucieux de mesurer les résultats accomplis depuis le premier plan d’action, le Comité de concertation Navigation présente dans ce document le bilan de ses réalisations, celles de ses membres et d’autres intervenants du milieu de la navigation. Il présente également le plan d’action 2012‑2017 de la stratégie portant sur l’ensemble des enjeux prioritaires énoncés dans la première édition et sur un nouvel enjeu, soit la protection des mammifères marins.

Enjeux et résultats

Basée sur ces principes, la Stratégie de navigation durable a permis de structurer plusieurs gestes importants sous cette thématique. Dans les prochains paragraphes, deux exemples illustreront comment certains enjeux de la Stratégie de navigation durable produisent des résultats probants.

1er enjeu : la gestion intégrée du dragage et des sédiments

Effectué dans le contexte de la navigation, le dragage est une activité qui vise à enlever des sédiments déposés naturellement au fond des cours d’eau de manière à assurer en continu une navigation sécuritaire. La gestion intégrée du dragage et des sédiments, maillon important de la Stratégie de navigation durable, vise une prise en compte du cycle complet des activités de dragage depuis l’enlèvement des matériaux jusqu’à leur mise en dépôt, y compris l’examen des conséquences potentielles sur l’environnement.

Résultats : Un groupe de travail, mis sur pied par le Comité de concertation Navigation, regroupe des spécialistes gouvernementaux de différents ministères fédéraux et provinciaux concernés par la gestion et l’évaluation environnementales des travaux de dragage. Autonome, le Comité sur la gestion intégrée du dragage et des sédiments (CGIDS) s’est employé à mettre en œuvre différentes recommandations. L’une de ses réalisations est la mise en ligne du « Registre de planification des activités de dragage ». L’objectif principal du registre est d’améliorer la gestion des travaux de dragage au Québec en facilitant leur planification à long terme et la transparence des activités en cours ou futures.

2e enjeu : l’effet relatif du batillage des navires et des embarcations de plaisance

L’érosion est un phénomène manifeste sur tous les cours d’eau et ses causes proviennent de sources diverses. L’une d’elles peut être le batillage, qui est le battement des vagues contre les rives d’un cours d’eau. Il est produit par le remous des navires et des embarcations de plaisance. L’amplitude du batillage varie selon la dimension du bateau, la forme de sa coque, son enfoncement dans l’eau, sa vitesse et les caractéristiques du chenal dans lequel il circule. Le batillage est l’un des éléments examinés lors de l’évaluation du phénomène de l’érosion des rives dans le tronçon Montréal‑Sorel du fleuve Saint‑Laurent.

Résultat : Une mesure volontaire de réduction de la vitesse des navires commerciaux a été mise en place au cours de l’automne 2000 par l’industrie maritime. Sur une longueur de près de 25 km, plus précisément dans le secteur Sorel‑Varennes, cette mesure incite fortement les pilotes des navires à ne pas dépasser une vitesse de 10 nœuds (18,5 km/h) en remontant le fleuve, et de 14 nœuds (25,9 km/h) en descendant, c’est‑à‑dire une vitesse de 12 nœuds (22,2 km/h) comparée à la masse d’eau en mouvement. La vitesse a été établie en considérant certains aspects sécuritaires, dont la manœuvrabilité des navires. Depuis son entrée en vigueur, on observe que l’industrie maritime respecte dans une très forte proportion cette mesure volontaire (environ 99 % en 2016).

Autres enjeux 

Sept autres enjeux sont traités dans la deuxième  Stratégie de navigation :

  • La concertation des intervenants économiques, environnementaux et sociaux du développement durable.
  • L’évaluation des options d’adaptation pour la navigation relativement aux fluctuations des niveaux d’eau.
  • L’amélioration de la gestion des rejets d’eaux usées et des résidus de cargaison par les navires et les embarcations de plaisance.
  • La réduction du risque d’introduction et de propagation d’espèces exotiques par les navires et les embarcations de plaisance.
  • La prévention et les interventions en cas de déversement de produits dangereux ou d’hydrocarbures.
  • La promotion du transport maritime au regard de ses avantages environnementaux et sociaux.
  • La protection des mammifères marins.

Conclusion

Dans la foulée des réalisations accomplies par l’exercice de concertation issue de la première Stratégie de navigation durable, la deuxième édition incarne encore une volonté commune de s’attaquer à des problématiques existantes et à d’autres en émergence. Le Comité de concertation Navigation, à qui revient le mérite d’avoir mené à bien l’élaboration de cette Stratégie, s’engage à continuer dans la même veine avec ce second plan d’action. Si les enjeux sont aussi grands que nombreux, le travail à faire est aussi nécessaire qu’exaltant, tant le défi est grand, à la hauteur de ce grand écosystème qu’abrite le Saint‑Laurent. À cet égard, la concertation qui aura conduit à la cohésion existante au sein du comité devra être constamment préservée afin que l’ensemble des acteurs et des intervenants concernés adhère aux principes de navigation durable, visant la préservation des usages et d’un patrimoine hors du commun au profit des générations futures.

Pour en savoir plus sur cette deuxième édition de la Stratégie de navigation durable : http://planstlaurent.qc.ca/fileadmin/site_documents/documents/Usages/SND_FR_2015_web_acc.pdf

 

Le Comité de concertation navigation

Le CCN a été mis en place en 1998. Ce comité est composé de 25 membres venant de divers ministères des gouvernements du Canada et du Québec, d’associations de l’industrie maritime et de la navigation de plaisance, ainsi que des groupes environnementaux. Il est coprésidé par des représentants de Transports Canada et du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports du Québec.

L’objectif de ce comité est d’harmoniser les pratiques de navigation commerciale et récréative avec la protection des écosystèmes. Par conséquent, on attend du CCN qu’il continue de concilier les intérêts variés et parfois divergents des groupes représentés, notamment pour poursuivre la mise en œuvre de cette 2e Stratégie de navigation durable du Saint‑Laurent.

 

[1] Tiré de la traduction d’Environnement Canada et de Transports Canada, 1997

[2] Comité de concertation Navigation, 2003

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr