Mesurer l’impact économique des infrastructures de transport au Québec : méthodologie, résultats et implications
Impact économique des infrastructures de transport au Québec : méthodologie, résultats et implications
La valorisation des infrastructures de transport constitue un défi actuel, tant pour les décideurs publics que pour les acteurs du transport. Le développement durable représente un concept basé sur la prise en considération de plusieurs dimensions dont l’idée est de maximiser les avantages d’un nouveau projet et de répondre aux demandes des générations présentes tout en se souciant du bienêtre des générations futures. Si les outils du génie aident à planifier efficacement la construction d’infrastructures de transport, les méthodes de l’économie géographique, associées aux techniques de la géomatique, permettent de mesurer les impacts et les retombées d’un projet. La modélisation hédonique constitue une méthodologie à l’interface de ces disciplines : à partir de transactions immobilières enregistrées sur un territoire, la valeur monétaire des impacts des effets de voisinage et des structures spatiales environnantes est évaluée. Il est ainsi possible de déterminer la valeur de la rente de localisation de façon assez précise.
La rente de localisation se définit comme la prime que les individus sont prêts à payer, lors de l’achat d’une maison, pour se situer à proximité de services (épicerie, école, centre de santé, aréna, etc.) ou d’une infrastructure de transport leur permettant d’atteindre facilement les services. Appliquée au domaine des transports, la rente de localisation représente la volonté de payer pour avoir accès à un ou des services de transport, pour des externalités. La valeur de la rente dépend non seulement de la distribution géographique des lieux de vie des individus (demande) ainsi que de celle de l’offre en transport (externalités), mais également de la qualité (rapidité, confort, coût), de la variété et de la quantité d’offres en transport.
De façon générale, les infrastructures de transport génèrent deux types d’externalité opposés sur la rente : 1) les externalités positives et 2) les externalités négatives. Les premières sont liées à une proximité des infrastructures suffisante pour permettre aux habitants d’avoir une bonne accessibilité aux services et donc d’internaliser la diminution des coûts et des temps de déplacement ainsi que la possibilité de substituer un mode de déplacement par un autre. D’un autre côté, les externalités négatives représentent les inconvénients liés à une trop grande proximité des infrastructures de transport (pollution). La rente de localisation est donc la différence (effet net) entre les deux effets opposés.
L’estimation empirique de la rente repose sur l’utilisation de la modélisation des prix hédoniques qui combine théorie hédonique (du grec hèdus « agréable, plaisant »), théorie des probabilités et calcul différentiel.
Associée aux techniques de géomatique et à des outils performants comme les systèmes d’information géographique (SIG) ainsi qu’aux lois et aux modèles de géographie, cette approche devient transversale et permet d’estimer l’effet net de la rente.
La théorie hédonique fut formellement définie par Rosen (1974). Elle repose sur l’hypothèse qu’un logement est un bien composé de plusieurs attributs intrinsèques et environnementaux. L’hétérogénéité des attributs fait en sorte que les logements sont des biens complexes. La théorie hédonique propose d’effectuer une comparaison des caractéristiques composant le logement afin d’évaluer l’utilité (la satisfaction), pour les consommateurs, de chacun des attributs. Le logement est donc considéré comme un bien de consommation (produit final) dont le prix est établi par le marché et reflète l’évaluation commune qu’en font les acquéreurs et les vendeurs. Il s’agit d’un équilibre entre la demande et l’offre dans un marché libre et ouvert à la concurrence.
Même si les effets de la proximité des infrastructures ne sont pas nécessairement comparables d’une ville à l’autre, certains constats peuvent être synthétisés à partir des résultats présents dans la littérature. La plupart des études ont trouvé une relation négative entre la proximité des aéroports et les prix des immeubles résidentiels (McMillen, 2004a; Theebe, 2004). L’effet fluctue selon certains facteurs : 1) le type d’immeuble, 2) la fréquence des départs et des arrivées, 3) l’emplacement et 4) la technologie. Nelson (2004) argumente pour sa part que les facteurs les plus susceptibles d’influencer l’impact estimé sont la forme des villes à l’étude et le type de modèle géostatistique utilisé.
Les infrastructures ferroviaires ont également une influence sur le prix des résidences. Si la plupart des études montrent que la proximité du rail a un effet positif sur le prix des immeubles (Hess et Almeida, 2007; Celik et Yankaya, 2006; Garrett, 2004; McMillen et McDonald, 2004), les résultats varient considérablement en fonction de nombreux facteurs. Les facteurs prédominants sont : la taille de la ville (nombre d’habitants), la mesure retenue pour quantifier la proximité, le type d’infrastructure et le type d’immeuble considéré. De plus, la nature des infrastructures de rail (rail léger, trains de banlieue, métro, etc.) a une incidence très nette sur les impacts. Cependant, la proximité du rail constitue le plus souvent un atout majeur lors du choix de localisation des entreprises ou des ménages.
Si la littérature empirique sur l’effet du rail est imposante, on ne peut en dire autant sur l’effet des autobus comme mode de transport en commun.
En plus d’être relativement récents, les résultats sont plutôt mitigés; l’effet dépend de la caractérisation des variables de proximité et d’accessibilité : les autobus à desserte rapide (RBT) semblent plus susceptibles d’influencer le prix des résidences à proximité (Dubé, 2008; Rodriguez et Mojica, 2008; Rodriguez et Targa, 2004) que les services d’autobus ordinaires (Cao et Hough, 2007).
La littérature sur l’impact de la proximité des routes et des autoroutes sur les valeurs immobilières a aussi été largement documentée (Tableau 4).
Si les autoroutes sont génératrices de bruits, elles favorisent également les déplacements rapides et directs vers les principaux lieux centraux ou services régionaux. Ainsi, certaines études confirment les effets de nuisance à l’échelle résidentielle (Kawamura et Mahalan, 2005; Haider et Miller, 2000), essentiellement liée au bruit et à la vue (Wilhelmsson, 2000), alors que d’autres enregistrent l’effet totalement inverse pour les immeubles industriels (Ryan, 2005). L’effet positif de proximité pour les entreprises et les industries s’explique, dans la littérature, par deux facteurs principaux : 1) la visibilité que procure l’emplacement le long d’un axe autoroutier et 2) la diminution des coûts de transport étant donné la proximité des autoroutes. Yiu et Wong (2005) ont montré que la construction d’un tunnel à Hong Kong a accru les prix résidentiels, et ce, avant même que celui-ci ne soit entré en fonction.
À Québec, des chercheurs du centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) de l’Université Laval se sont penchés sur l’impact du transport en commun et sur la proximité aux autoroutes sur les valeurs résidentielles unifamiliales (Carte 1). Une étude (Voisin, 2008) démontre que l’impact des autoroutes sur les valeurs des transactions est dual : les résidences situées à moins de 250 mètres d’une voie autoroutière voient leur valeur vénale légèrement baisser, alors que le prix de vente de celles situées entre 250 mètres et un kilomètre d’une bretelle d’accès augmente jusqu’à plus de 3 100 dollars. Pour l’ensemble de la ville de Québec, la satisfaction apportée par des opportunités de déplacements rapides se reflète dans la rente de proximité positive internalisée dans les transactions bien que l’impact soit hétérogène sur le territoire.
Une autre étude (Des Rosiers et al., soumis) estime l’effet de l’accessibilité des résidences aux trois services d’autobus du Réseau de transport de la Capitale (RTC). Si les services réguliers et de Métrobus n’ont pas un effet positif sur les prix de vente des résidences unifamiliales, il en va tout autrement des services Express.
En offrant un service plus direct et rapide, les Express s’avèrent des substituts intéressants à l’utilisation de l’automobile et font en sorte d’augmenter le prix des résidences situées à proximité des arrêts. Les résultats suggèrent également que les résidences qui bénéficient d’un plus grand choix de destinations, mesuré par le nombre de tracés accessibles à moins de cinq minutes de marche, voient leurs prix majorés. Cependant, le nombre d’arrêts accessibles entre 100 et 400 mètres de la résidence a tendance à faire diminuer le prix étant donné l’achalandage créé à ces points de service. Dans ce cas, les désavantages liés à la trop grande proximité prédominent sur les effets positifs liés à une bonne accessibilité.
Enfin, une étude cherche à évaluer l’impact économique d’un changement dans l’offre de transport en commun pour les propriétaires de résidences et les administrations municipales (Dubé, 2008; Dubé et al., 2008). Les auteurs montrent que la rente de localisation est nulle, pour le corridor central, lorsque les résidences sont situées trop près du trajet (entre 0 et 50 mètres), mais que l’effet devient positif entre 50 et 300 mètres, pour redevenir non significatif à plus de 300 mètres. L’effet de rente varie entre 6,9 % et 2,9 % selon la localisation, bien qu’elle soit marginale et non significative pour les corridors étendus, situés aux extrémités des tracés et ayant été implantés postérieurement à la première phase de développement. En matière économique, l’étude estime que l’arrivée du service Métrobus a contribué à générer une hausse des valeurs représentant 42 millions de dollars en l’espace d’un peu plus de dix ans.
Tirer les leçons des expériences passées devrait aider à orienter les décisions publiques futures, vers des aménagements durables. Pour mieux connaître les attentes des habitants, il importe d’estimer les effets de rente dans les projets d’infrastructures afin de définir des pratiques courantes adaptées et de maximiser ainsi les effets positifs des nouveaux projets.
Bien entendu, la rente de localisation comporte une dimension économique importante qui peut influencer le rôle foncier et donc les recettes foncières des municipalités. L’indexation et l’ajustement des rôles fonciers à partir de la méthode des prix hédoniques permettraient un juste reflet des effets de localisation et, par le fait même, reflèteraient les processus de détermination des valeurs marchandes des résidences, incluant les impacts des infrastructures de transport. L’optimisation de la rente de localisation liée aux infrastructures de transport pourrait, dans ce cas précis, permettre un effet de redistribution en augmentant les recettes fiscales et, par conséquent, en influençant les choix publics. De plus, certains auteurs ont déjà montré l’utilité de l’approche dans l’identification des bénéficiaires de nouvelles infrastructures, dans une optique de recherche d’équité sociale « utilisateurs-payeurs ».
Ces quelques constats penchent pour une évaluation plus large des effets des infrastructures de transport sur le paysage urbain et rural. L’allongement de la ligne de métro à Montréal, les nouveaux développements (et les actuels) de trajets des trains de banlieue, le changement dans le service d’autobus, les voies réservées, l’aménagement de boulevards urbains (Carte 2), l’acoustique en bordure des autoroutes, le développement de nouvelles autoroutes (autoroutes 25 et 30 par exemple), etc., ne constituent qu’une liste partielle des projets d’estimation qui pourraient permettre aux décideurs publics de connaître l’effet des projets d’infrastructures de transport sur les valeurs immobilières urbaines ou péri-urbaines. Une meilleure compréhension des processus territoriaux et des préférences sociales vis-à-vis des infrastructures de transport participe à l’amélioration du développement des infrastructures dans une logique de développement intégré et durable. La méthode hédonique constitue donc une excellente façon de mesurer de façon quantitative l’impact des décisions publiques sur les investissements réalisés. R&T