Le Québec à l’heure du transport actif
Aujourd’hui, on s’entend généralement pour dire qu’il faut revoir la façon dont on aborde le transport urbain afin, notamment, d’y faire une place plus significative au transport actif. Certains amorcent tout juste leur réflexion sur cette question, poussés par le vent écolo venu de Copenhague ou tout simplement à l’écoute de revendications citoyennes de plus en plus pressantes. D’autres ont pris une longueur d’avance et s’emploient, depuis longtemps, à promouvoir le transport actif et à mettre de l’avant des solutions résolument tournées vers l’avenir. C’est le cas de Vélo Québec qui met tout en oeuvre depuis quarante ans pour faire du Québec la province la plus vélo au Canada, une entreprise couronnée de succès. La bicyclette a maintenant la cote au Québec. L’organisme vise à conférer la même valeur aux déplacements actifs quotidiens, piétons compris.
En 2008, dans la continuité de son programme de formation des intervenants municipaux en matière d’aménagements cyclables, Vélo Québec a souhaité répondre spécifiquement aux besoins des municipalités en créant le programme À pied, à vélo, ville active! Ce programme, qui comporte deux volets, l’un scolaire, l’autre municipal, a des racines plus profondes. Vélo Québec est d’abord intervenu dans le secteur scolaire à travers son programme Mon école, à pied, à vélo!, qui vise à modifier les habitudes de déplacement des enfants et de leurs parents sur le trajet domicile-école-travail. Créé il y a quatre ans, il touche aujourd’hui des dizaines de milliers de jeunes et quelque 100 000 adultes dans l’ensemble de la province.
Attention : école
Le programme Mon école, à pied, à vélo! se déploie en trois volets, la sensibilisation, la mobilisation et l’aménagement. Dans le cadre du volet aménagement, Vélo Québec élabore, en collaboration avec ses partenaires, des plans de déplacement qui répondent aux besoins de la communauté. Comme en témoigne Geneviève Handfield, agente de développement régional au transport actif chez Vélo Québec, tout un éventail de solutions s’offre aux écoles et aux municipalités désireuses d’assurer la sécurité des jeunes à proximité des établissements scolaires.
Ainsi, à l’école Le Ruisselet, à Ancienne-Lorette, on a opté pour diverses solutions, notamment le rétrécissement de la zone de débarcadère des autobus scolaires, la délimitation d’une zone piétonne, l’ajout de mobilier urbain afin de rétrécir la chaussée et l’aménagement d’une bande multifonctionnelle. À l’école des Hauts-Clochers, également à Ancienne- Lorette, on a agrandi la zone de circulation à vitesse réduite. À l’école St- Paul-Apôtre, à Québec, on a plutôt aménagé une bande cyclable et une intersection surélevée. Ici on crée un sens unique, ailleurs on modifie le circuit d’une piste cyclable, on recourt au marquage au sol ou, comme à l’école La Source à Québec, on ajoute un trottoir. Une école du Plateau- Mont-Royal a servi de projet pilote afin d’établir une signature école lisible, au-delà de la traditionnelle installation de panneaux. Aujourd’hui, constate Geneviève Handfield, qui voit là un gage de santé « de plus en plus de municipalités interviennent pour que davantage d’écoles participent au programme. »
Dialogue avec le monde municipal
Selon Annick St-Denis, directrice du transport actif chez Vélo Québec, c’est en élaborant des plans de mobilité pour les écoles que Vélo Québec a amorcé un dialogue fructueux avec le monde municipal. « Si le désir de la population de ralentir la circulation de transit dans les quartiers est évidente, il est vite devenu clair que la communication ne passait pas toujours entre les municipalités et les écoles », constate-t-elle. Il est alors devenu évident qu’il fallait travailler plus étroitement avec les municipalités. Ainsi naissait le programme À pied, à vélo, ville active! par lequel Vélo Québec accompagne les municipalités dans la création d’environnements favorables au déplacement actif, sous toutes ses formes.
Beloeil a été parmi les premières municipalités à se joindre au programme À pied, à vélo, ville active! La municipalité a adopté en juin dernier un plan d’action en développement durable qui prévoit une série d’initiatives en matière de transport actif. « Lors des consultations publiques, les citoyens nous ont demandé de rendre la ville aux piétons et d’offrir des aménagements plus sécuritaires pour le transport actif. Il y a une pression de la population », explique Martine Vallières, directrice générale de la ville. « Il y a de plus en plus de gens qui marchent et qui circulent à vélo, même l’hiver. On sent un changement, il faut en profiter. » Les interventions de la Ville visent notamment à mieux desservir les pôles de service, les lieux de travail et les zones scolaires. La Ville intervient aussi dans la planification de nouveaux développements domiciliaires. « Par exemple, nous avons prévu des sentiers piétonniers qui rendent les parcours plus agréables et qui permettent de raccourcir les distances vers les commerces », dit Denis Laplante, urbaniste à Beloeil.
Chambly aussi a emboîté le pas. « Il y a beaucoup de cyclistes à Chambly, mais ça demeure encore principalement un loisir. Nous voulons que les gens prennent l’habitude d’utiliser le vélo plutôt que l’auto pour leurs déplacements quotidiens, explique Christian Cléroux, directeur du Service de la planification et du développement du territoire à Chambly. La Ville profite de la révision de son plan d’urbanisme pour faire plus de place au transport actif. « Pour changer les comportements des citoyens, il faut leur fournir des aménagements sécuritaires », rappelle M. Cléroux. « Par exemple, nous avons la chance d’être bien desservis par la Route verte. Cependant, il faut s’assurer que tout le monde, y compris les familles avec de jeunes enfants, puisse traverser la 112 pour y avoir accès en toute sécurité. »
Marc Jolicoeur, directeur de la recherche chez Vélo Québec, est convaincu que la question touche directement l’ensemble de la population québécoise. Dans cet esprit, il vient de piloter le contenu d’un guide technique sans équivalent intitulé Aménagements en faveur des piétons et des cyclistes . Publié en février dernier, ce guide, destiné principalement aux élus et aux gestionnaires des municipalités québécoises, aux consultants et aux experts en génie civil ou en urbanisme, rappelle l’efficacité du transport actif et décrit les environnements qui lui sont favorables. Il contient des informations précises sur les sentiers piétonniers et les pistes cyclables, la conception de la voirie et des espaces publics, l’éclairage, la signalisation, le mobilier urbain et le stationnement pour vélos, entre autres sujets. Ce guide, produit par Vélo Québec Association, est offert à tous ceux qui participent aux formations données par Vélo Québec.
Top 5 des mesures incitatives
Certaines mesures favorisent concrètement le développement du transport actif. Marc Jolicoeur dresse un top 5 de ces mesures incitatives.
Premièrement, explique-t-il, il faut construire des trottoirs en bordure des rues afin d’encourager les gens à marcher davantage. La mesure peut paraître banale pour qui habite en milieu urbain, dans les quartiers centraux de Montréal ou de Québec par exemple, mais il suffit de faire quelques pas du côté de certaines banlieues pour constater que les trottoirs, qui contribuent grandement à la sécurité des piétons, s’y font rares.
Deuxièmement, ajoute-t-il, il faut prendre des mesures pour favoriser la modération de la circulation, de façon à ce que piétons et cyclistes puissent se déplacer dans un environnement sécuritaire. Ainsi, il est préférable d’aménager des rues plus étroites, lesquelles ont pour effet immédiat de ralentir le trafic. C’est ce que l’on observe dans la ville de Mont-Royal où des rues à double sens ont une largeur de moins de huit mètres ou encore à Rosemère où la largeur de certaines rues ne dépasse pas six mètres. D’autres mesures ont un effet modérateur immédiat, notamment les avancées de trottoir aux intersections qui créent un effet entonnoir favorable à la circulation des piétons et des cyclistes. On trouve de telles avancées à Val-d’Or et à Chambly. Les dos d’âne allongés, fréquents en Europe et ailleurs en Amérique du Nord, ont également un effet ralentisseur puisqu’ils créent un inconfort important chez les automobilistes qui roulent au-delà de la vitesse permise.
Troisièmement, rappelle Marc Jolicoeur, on doit prévoir ou aménager, au coeur de la trame urbaine, un espace réservé aux cyclistes. Ces couloirs vélos doivent épouser les grands axes afin de permettre aux cyclistes de se déplacer d’un quartier à l’autre.
Quatrièmement, il faut miser sur une plus grande densité du tissu urbain plutôt que sur l’étalement en vogue ces dernières années. De cette façon, on établit un cadre de vie plus propice aux déplacements à vélo et à pied.
Enfin, selon le directeur de la recherche de Vélo Québec, après avoir longtemps privilégié la ségrégation, il est préférable de favoriser la mixité des fonctions au sein des quartiers. On a séparé les espaces où l’on habite de ceux où l’on travaille et de ceux où sont installés les commerces, ce qui a eu un effet multiplicateur sur les distances quotidiennes à parcourir. « Le temps est venu de faire marche arrière », conclut-il.
La gestion du transport actif constitue aujourd’hui pour les administrations municipales un défi stimulant, en phase avec les valeurs des Québécois. Aussi la question nourrira-t-elle, ces prochaines années, de nombreux échanges et réflexions. Dans cette perspective, au coeur de ce débat, Vélo Québec organise un colloque intitulé À pied, à vélo, des villes actives. L’événement, qui se tiendra en juin prochain, réunira des intervenants de toutes les régions du Canada.
Le transport actif : un choix qui s’impose
Si la conjoncture semble favorable à la mise en valeur du transport actif sur l’ensemble du territoire national, c’est que les intérêts de nombreux acteurs de la société convergent. Ainsi, les spécialistes de la santé, inquiets de l’augmentation alarmante du taux d’obésité, un phénomène directement lié à la sédentarité d’une partie importante de la population, voient dans la pratique quotidienne de la marche et du vélo un moyen efficace de renverser le mouvement par le biais d’une activité utile. De leur côté, les environnementalistes prennent également position en faveur du transport actif puisqu’il contribue à réduire l’émission des gaz à effet de serre, un objectif stratégique que partage le premier ministre du Québec. Des citoyens pragmatiques les appuient, conscients qu’il est devenu urgent d’agir pour faire face à la tendance à la hausse du prix du pétrole. Enfin, les différents acteurs de la vie municipale qui travaillent à la revitalisation des quartiers centraux, partout au Québec, conviennent de la nécessité d’aménager un espace urbain à hauteur d’homme où l’on puisse prendre plaisir à marcher et à circuler à vélo.
Marc Jolicoeur ajoute un dernier argument à cette liste déjà impressionnante. « Pourquoi miser sur la voiture quand on sait qu’au Québec on n’en produit pas, pas plus que de pétrole d’ailleurs, alors qu’on fabrique des trains et des autobus ? », se demande-t-il. Faut-il rappeler que le Québec fabrique aussi, avec un savoir-faire indiscutable, quantité de vélos…