L’électrification du transport collectif : une voie porteuse
Il ne se passe guère de mois sans que ne resurgissent dans l’actualité reportages, études et analyses sur les hausses de prix du pétrole. Qu’on nous le dise sur le ton alarmé ou avec la placidité des discours fatalistes, les diagnostics pointent à peu près tous dans la même direction : l’ère du pétrole bon marché est terminée. Pour le monde du transport, comme pour tous les autres secteurs de l’économie, ce fait impose d’ores et déjà des révisions radicales.
Longtemps récalcitrant, le secteur automobile nord-américain a fini par se faire à l’idée. Il aura sans doute fallu la crise majeure qu’il a traversée pour que s’amorce le changement de paradigme que les grands constructeurs du reste du monde avaient déjà entrepris. Les divers Salons de l’auto de cette année ont, à Montréal aussi bien qu’à Détroit, marqué l’entrée dans une nouvelle ère : celle de l’électrification. La voiture électrique ou hybride a volé la vedette. Des modèles performants, des prix abordables, la chose a cessé d’être une curiosité. Un créneau existe désormais, des segments de marché se dessinent de plus en plus clairement, on peut d’ores et déjà penser que la voiture électrique va s’imposer.
Vue du Québec, cette perspective est prometteuse. Les percées technologiques dans le domaine des batteries, en particulier les travaux réalisés par les chercheurs de l’Institut de recherche sur l’électricité du Québec (IRÉQ), nous permettent d’espérer le développement d’un secteur appelé à jouer un rôle déterminant dans le renouveau de l’industrie. Le déploiement d’une industrie dans le secteur de la production de batteries – que ce soit par la vente de brevets, par l’accroissement des investissements en recherche et développement ou par des usines de fabrication – donnerait une impulsion intéressante à notre économie.
La croissance du parc automobile électrifié ne serait pas non plus sans intérêt du point de vue de notre performance énergétique : la substitution du pétrole par l’électricité permettrait d’accroître la part de cette dernière dans notre marché. Cela serait profitable pour Hydro-Québec et pour les consommateurs que nous sommes qui pourraient bénéficier d’un prix abordable, mais aussi pour l’environnement, car cela améliorerait notre bilan carbone.
Le pétrole plombe notre balance commerciale
La réduction de la consommation de pétrole ne peut qu’être favorable à l’économie québécoise qui, chaque année, doit verser des milliards de dollars pour l’importer. Le secteur du transport, à lui seul, compte pour la moitié de la consommation totale des énergies fossile et c’est, grosso modo, chaque année environ sept milliards de dollars qui sortent du Québec pour soutenir notre consommation. C’est énorme. Et cela plombe notre balance commerciale. Ce sont les prix du pétrole qui pèsent sur notre déficit commercial qui fluctue selon les mêmes mouvements que ceux des prix du carburant. La situation est d’autant plus déplorable que le Québec dispose de surplus d’électricité qui seraient mieux utilisés s’ils servaient d’énergie de remplacement. Pire encore, comme l’ont montré les analystes dans le documentaire Chercher le courant, les récents contrats d’exportation d’électricité vers les États-Unis ne sont pas à notre avantage : dans le cas du contrat d’approvisionnement à long terme récemment signé avec le Vermont, le Québec subventionne littéralement la consommation américaine en vendant ses kilowatts à la moitié du coût de revient pour les produire dans les nouveaux barrages.
Les transports électriques, la pierre angulaire d’une stratégie énergétique
Il n’y a donc aucune raison de laisser perdurer cette situation. Nous avons la chance de disposer d’une énergie de remplacement. Nous avons la possibilité de rediriger dans l’économie du Québec des milliards de dollars. Pour tirer le maximum des effets bénéfiques d’une stratégie énergétique qui viserait à l’indépendance énergétique par le recours aux énergies renouvelables, il faut néanmoins faire les bons choix en matière de transport. Il faut à la fois considérer la réduction de la consommation par personne en encourageant les bons choix de véhicules, mais également viser à structurer une meilleure offre de transport collectif pour optimiser la consommation énergétique.
Il faut effectuer à la fois le virage de l’électrification et celui du transport collectif pour tirer le meilleur parti de la nouvelle conjoncture énergétique. En effet, parce que le Québec ne fabrique pas d’automobiles, l’impact économique à tirer des nouveaux développements dans l’électrification du transport resterait relativement limité. Dans le domaine du transport, c’est du côté de la fabrication du matériel de transport collectif que se trouve notre force. Et c’est sur lui qu’il faut prendre appui. Dans une étude récemment publiée L’électrification du transport collectif : un pas vers l’indépendance énergétique accessible en ligne au www.irec.net, nous avons tenté de souligner les avantages d’une approche stratégique qui combinerait indépendance énergétique, reconversion industrielle et structuration de l’espace économique par la mise en place d’un réseau intégré de transport collectif électrifié.
L’hypothèse d’une grande corvée transport
Le rapport de recherche de l’IRÉC a testé l’hypothèse d’une grande corvée transport qui viserait à lancer un immense chantier d’électrification des transports collectifs. Les analystes ont calculé les retombées économiques que pourraient avoir les projets actuellement proposés dans le domaine du transport électrique s’ils étaient envisagés et considérés comme une seule et même grande opération lancée sur un même échéancier de réalisation. Si, au lieu de se contenter d’échéanciers lointains (allant parfois jusqu’à 20 ans), la décision était prise de lancer immédiatement les huit grands projets actuellement dans les cartons des grandes agences de transport, c’est près de 50 000 emplois qui seraient créés. Le but de l’analyse était de montrer que si l’on se place du point de vue des comptes nationaux au lieu d’en rester aux seuls budgets des sociétés de transport prises une à une, les choses prennent un tout autre sens. Les chiffres sont convaincants : le Québec aurait tout intérêt à agir maintenant et à le faire d’un seul coup. Une grande opération transport ouvre des voies de prospérité fort intéressantes.
Un réseau national de monorail électrifié
Le rapport de l’IRÉC a poussé encore plus loin son hypothèse en examinant les effets structurants que pourrait avoir la construction d’un réseau national de monorail électrifié. Le physicien Pierre Langlois a fait une première estimation des coûts d’implantation de ce monorail. C’est une invention québécoise, c’est Pierre Couture, l’inventeur du moteur roue, qui a inventé ce concept. Il s’agit essentiellement d’un monorail à moteur roue bidirectionnel qui s’installe sur les emprises des autoroutes existantes. Nous pourrions même envisager de les installer sous les lignes à haute tension d’Hydro-Québec. Techniquement, il est possible de le faire. Le physicien a aussi fait la comparaison avec les coûts qui sont actuellement discutés pour la construction du train à grande vitesse (TGV) Québec-Windsor.
Le rapport de l’IRÉC a imaginé un tracé reliant les huit plus grandes villes du Québec. En rattachant la métropole et la capitale nationale aux principales capitales régionales, ce réseau donnerait vraiment un moyen de véritablement habiter notre territoire. Un TGV serait payé par l’ensemble des contribuables, mais laisserait les régions, isolées, enclavées et, du coup, handicapées pour participer aux échanges économiques alors que le monorail donnerait au Québec tout entier un véritable atout de compétitivité, car il inclut toutes les régions du Québec.
Pierre Langlois a estimé qu’il en coûterait douze milliards de dollars pour relier Montréal aux huit plus grandes villes. C’est trois fois moins cher qu’un TGV et cela donne une structuration de l’espace économique comme le Québec n’en a jamais eu dans toute son histoire. La construction d’un tel réseau créerait audelà de 100 000 emplois et ses retombées seraient plus qu’aux deux tiers injectées dans l’économie du Québec. En outre, ce projet donnerait des retours fiscaux au-delà de trois milliards au gouvernement du Québec. Si l’on ajoute les coûts de réalisation des projets existants, la corvée transport représenterait un investissement d’environ 20 milliards de dollars et la création de près de 140 000 emplois. La valeur ajoutée serait de 11,9 G $, dont 6,3 G $ versés en salaires, 5,3 G $ en rémunération du capital et 320 M $ en revenus nets des travailleurs autonomes. Par ailleurs, les revenus fiscaux des deux niveaux de gouvernement (impôts, taxes, parafiscalité) s’élèveraient à près de 2,3 G $.
Un instrument pour façonner l’avenir
Douze milliards de dollars pour construire un réseau de transport collectif par monorail, c’est un gros chiffre, mais il faut bien le situer : le programme d’immobilisations du ministère des Transports pour les prochaines années représente 40 milliards de dollars pour uniquement mettre à niveau le réseau existant. Avec le réseau du monorail, nous aurions un instrument pour façonner l’avenir.
La grande corvée transport donnerait à l’industrie un formidable élan. Elle pourrait non seulement fabriquer un matériel original, elle aurait la possibilité d’en exporter aussi bien la technologie que la réalisation. Ce projet pourrait devenir le point névralgique d’une véritable grappe du transport collectif électrique.
Il s’agit d’oser
On entend évidemment l’objection : des monorails de ce genre, il n’y en a pas. Mais il faut bien saisir le contexte. D’abord, les plus anciens en usage datent de 1901. Il existe des monorails à plusieurs endroits dans le monde, mais ils ne sont pas mus par le moteur roue, c’est vrai. Il n’y en a pas sur d’aussi longues distances, c’est vrai. Ce serait une innovation. Ce serait un précédent. C’est un fait.
Mais on ne peut sans cesse parler d’une économie de l’innovation et renoncer à considérer un projet sous prétexte qu’il constituerait un précédent.
En ces matières, notre histoire est porteuse d’enseignement : les lignes de transport de 735 000 volts n’étaient pas au point quand on a décidé de faire le développement nordique et Hydro-Québec l’a fait. Il s’agit d’oser.