Étude concernant l’utilisation d’une ligne continue de délimitation à gauche de la voie 1 (GCGV1) vis-à-vis des entrées et des sorties d’autoroutes

Mercredi 21 mars 2012
Infrastructures de transport, Sécurité et Aménagement, Technologie
Autoroutes

L’objectif de cette étude de sécurité des autoroutes a été d’examiner l’efficacité d’un marquage (appelé « ligne continue à gauche de la voie 1 » ou LCGV1) visant à interdire les changements de voie depuis les voies intérieures vers la voie extérieure des autoroutes urbaines au niveau des bretelles de sortie et d’entrée. Ce traitement a été mis en place sur des sections d’autoroute dans la région métropolitaine de Montréal et depuis a proliféré au Québec. Le traitement LCGV1 a pour but d’atténuer le rabattement des usagers sortant de l’autoroute à la dernière minute et de faciliter l’insertion des usagers aux entrées d’autoroute. Lors de notre travail, d’importants efforts ont été réalisés pour élaborer une méthodologie d’analyse originale ainsi que pour rechercher et combiner différentes sources de données [les détails de l’étude sont disponibles dans l’article (1) et le mémoire de maîtrise (2)].

Pour des raisons de manque de données et de sécurité, une analyse de type « avant-après » est impossible hormis pour un site auquel la LCGV1 a été temporairement enlevée. Pour cette étude, nous avons suivi deux approches distinctes. La première approche consiste en une analyse transversale traditionnelle des accidents et la deuxième en une analyse substitutive de sécurité (reposant sur l’analyse des conflits). L’analyse transversale d’accidents se base sur un modèle de régression et sur un inventaire de sites comprenant les débits, les données géométriques et les données historiques d’accidents. L’analyse substitutive de sécurité explore les conflits arrière et les conflits d’entrecroisement en utilisant, comme mesure de conflit, le temps estimé avant collision TTC (time-to-collision) (3). L’analyse des conflits repose sur l’extraction automatique des trajectoires des véhicules et leur extrapolation à partir de données vidéo. Aux conflits s’ajoute la mesure des taux d’infraction bruts.

Pour l’étude transversale, nous étudions l’historique des accidents sur les autoroutes de Montréal entre les années 1999 et 2008. Les accidents sont regroupés par zone autour de chaque bretelle étudiée, longue de 200 et 400 m, en amont et en aval (l’ensemble amont-aval est aussi considéré). La longueur de 400 m est de l’ordre de grandeur des zones d’influence de bretelle utilisées dans le guide de conception HCM 2000 (4), ainsi qu’à la moyenne des distances entre bretelles dont les zones d’influence ne se chevauchent pas.

Avant de développer les modèles statistiques, nous avons fait les observations suivantes. Premièrement, le taux d’accident aux sites avec LCGV1 est supérieur au taux des sites sans LCGV1 mais, puisque l’application de la LCGV1 se fait de façon non aléatoire, cela peut simplement indiquer un biais de sélection. L’étude statistique transversale devra donc tenir compte, en plus du débit journalier moyen, de tous les facteurs géométriques pouvant expliquer une hausse d’accidents sur certains sites. Deuxièmement, le taux de gravité des accidents semble être égal entre les sites avec et sans LCGV1. De plus, les accidents sévères se produisent principalement durant les périodes hors pointe, lorsque la circulation est rapide et le débit, faible. On constate le contraire pour les accidents non sévères. Enfin, une légère migration des accidents est observée vers l’amont des sorties d’autoroute avec application de la LCGV1.

En corrélant le débit journalier moyen et les facteurs géométriques aux différents regroupements des accidents, selon le site et la zone d’analyse, on observe une augmentation non significative des accidents après application de la LCGV1 aux entrées en amont et en aval. Pour les sorties, une corrélation négative entre LCGV1 et accidents, faible mais significative, est observé en amont. Les autres facteurs explicatifs sont le débit journalier moyen, le pourcentage d’usagers sortant ou entrant par rapport au débit de l’autoroute, les distances entre bretelles, la longueur d’insertion et la longueur des chevrons peints.

L’étude fait usage des caméras de sécurité du MTQ placées en bordure de l’autoroute afin de recueillir des données de comportement des conducteurs le long de la LCGV1. En raison de problèmes de champs de vision avec plusieurs caméras et du fait que l’usage premier de ces caméras n’est pas l’analyse comportementale, un système de collecte de données vidéo mobile a été conçu afin de compléter cette collecte. Ces caméras sont placées sur un poteau télescopique afin de couvrir de larges zones d’étude et de réduire les erreurs de détection causées par la parallaxe. De plus, l’installation discrète de la caméra vise à ne pas trop gêner ou distraire les conducteurs.

Les trajectoires sont extraites à l’aide d’une méthode classique de suivi de points caractéristiques (5). Les trajectoires sont ensuite analysées en les extrapolant à vitesse et direction constantes afin de détecter les collisions potentielles entre chaque paire de véhicules. Le TTC et l’emplacement de chaque collision potentielle sont enregistrés pour chaque image de la vidéo (avec environ 30 images par seconde). En théorie, lorsque le TTC diminue, la probabilité qu’un accident survienne augmente exponentiellement. L’étude repose sur l’observation des différences entre les distributions du TTC et des points de conflit entre sites comparables.

La figure 1 montre les répartitions cumulées des observations de conflit arrière selon le TTC mesuré sur neuf sites. On n’observe pas de tendance vis-à-vis de l’application de la LCGV1. Ces répartitions contrastent avec les répartitions cumulées des observations de conflit d’entrecroisement (figure 2) qui semblent indiquer un lien entre des TTC plus grands et la LCGV1 pour ces conflits.

La carte de densité de conflit pondérée avant application de la LCGV1 (figure 3) démontre une forte concentration de conflits de suivi dans (en ordre d’importance) la troisième et la deuxième voie tandis que, après application (figure 4), nous remarquons une migration de la densité des conflits de suivi vers (en ordre d’importance) la deuxième et la première voies. Pour les conflits d’entrecroisement, nous observons une répartition uniforme mais bruitée sur toutes les voies sans LCGV1, tandis qu’une répartition est concentrée mais très bien définie sur la deuxième voie au début du marquage, soutenant l’hypothèse que le début de la LCGV1 produit un point critique artificiel sur l’autoroute qui expliquerait la migration observée des accidents en amont des sorties avec LCGV1. De plus, nous constatons que les conflits arrière sont plus nombreux et plus importants que les conflits d’entrecroisement en général, aussi bien aux entrées qu’aux sorties, avec ou sans LCGV1. Cette observation est aussi reflétée dans la répartition des types d’accident observés.

La présence de la LCGV1 ne semble pas être le facteur le plus important qui détermine les changements de voie. Dans la Table 1, nous observons des taux élevés de changement de voie par véhicule-km aux sites avec LCGV1, y compris dans la direction interdite (colonne démarquée d’un **). Le site A20-E-E56-3, analysé avant et après application de la LCGV1, voit même une augmentation des changements de voie depuis la deuxième voie vers la première voie après application de la LCGV1.

La conclusion générale de notre étude est que, pour tous les sites étudiés, la présence de la LCGV1 ne conduit pas à des changements appréciables d’occurrence des accidents, pas plus qu’il ne produit des répartitions de conflits sensiblement différentes. Les facteurs géométriques semblent jouer un rôle plus important dans l’occurrence d’accidents et dans la répartition des TTC. De plus, l’étude a permis de remarquer l’existence d’un léger effet de migration des accidents et certains éléments suggèrent que, dans certains cas, la LCGV1 peut nuire au bon écoulement des usagers. Ces observations conduisent aux recommandations suivantes : (i) l’efficacité du traitement en matière de sécurité n’est pas prouvée ou est négligeable dans la plupart des cas à l’étude, et (ii) le traitement ne devrait pas être appliqué systématiquement. Il est possible cependant d’y recourir dans des cas spécifiques. Les inconvénients doivent être examinés au regard des bénéfices pertinents associés aux contraintes imposées aux conducteurs dans des situations particulières. D’autres analyses sont nécessaires pour définir les conditions optimales d’efficacité d’application de la LCGV1.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier le ministère des Transports du Québec qui a financé ce projet et Marie Beauchemin et Danielle Martin du MTQ pour leur soutien tout au long du projet.

Références

1. St-Aubin, Paul, Miranda-Moreno, Luis and Saunier, Nicolas (2012) A Surrogate Safety Analysis at Protected Freeway Ramps Using Cross-Sectional and Before-After Video Data. Washington, D.C. : Proceedings of 91st Annual Transportation Research Board.

2. St-Aubin, Paul (2011) Traffic Safety Analysis for Urban Highway Ramps and Lane-Change Bans Using Accident Data and Video-Based Surrogate Safety Measures. Montreal : M.Eng. Thesis, McGill University.

3. Laureshyn, Aliaksei, Svensson, Ase and Hyden, Christer (2010) Evaluation of traffic safety, based on micro-level behavioural data: Theoretical framework and first implementation. Accident Analysis and Prevention.

4. Transportation Research Board. Highway Capacity Manual. Washington, D.C. : s.n., 2000. ISBN 0-309-06681-6.

5. Saunier, Nicolas, and Sayed, Tarek (2006) A feature-based tracking algorithm for vehicles in intersections. s.l. : IEEE,.

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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