Données ouvertes et transport

Vendredi 21 juin 2013
Technologie
Données ouvertes

Introduction

Le mouvement de promotion des données ouvertes vise à obtenir des gouvernements qu’ils publient numériquement, sans restrictions, les données non personnelles qui sont collectées dans le cadre du fonctionnement des organisations publiques. Le mouvement a été lancé en 2006 par la campagne « Free our data » du journal The Guardian s’adressant au gouvernement britannique. Sensibilisés par les enjeux, notamment la transparence gouvernementale et le développement économique, villes et États ont progressivement embrassé ce mouvement, publiant un nombre croissant de jeux de données, allant de données socialement délicates, comme des données criminelles, à des données plus spécialisées comme certaines informations agricoles. Le comité « Open Definition » qualifie d’ouvertes des données que toute personne peut utiliser et redistribuer librement1.

Le transport est l’un des domaines où les bénéfices des données ouvertes sont les plus évidents, et depuis longtemps. Bien avant les données ouvertes, des programmeurs informatiques ont commencé à développer des outils pour enregistrer les pages Internet d’horaires d’autobus ou de train (une méthode connue sous le nom de « scraping ») pour récupérer automatiquement les données sous-jacentes et ainsi faire des applications Internet ou mobiles. Les applications développées à la suite de l’ouverture des données de transport en commun dans un format standard restent ainsi l’un des meilleurs et des plus populaires exemples de l’utilisation des données ouvertes.

Toutefois, bien du chemin reste à faire pour développer les données ouvertes de transport à leur plein potentiel. Le présent article dresse un état de la situation des données ouvertes et du transport au Québec, puis dessine des pistes pour développer ce potentiel, tout en montrant en quoi le Québec est bien positionné dans ce domaine.

Historique

Tandis que les demandes en matière d’ouverture des données ont commencé à se structurer dans le milieu des années 2000, c’est vers 2009 que se produit le virage gouvernemental avec les premières adoptions de politiques de données ouvertes. Ces politiques combinaient la libération des données avec des licences d’utilisation ouvertes, autorisant notamment l’usage commercial.

Proches de nous, tous les paliers gouvernementaux canadiens ont embrassé les données ouvertes ces dernières années. Le gouvernement fédéral fait figure de leader à l’échelle mondiale, le gouvernement du Québec a mis en place une politique de données ouvertes en 2012 et trois villes ont également un portail de données ouvertes (Montréal, Québec et Gatineau).

En parallèle, en 2005, Trimet, l’agence de transport en commun de Portland en Oregon, a développé avec Google un format ouvert de données pour la publication et l’échange des données de transport en commun (localisation des arrêts, horaires, prix, etc.). Ce format, appelé « General Transit Feed Specification » (GTFS), a été adopté par plusieurs centaines d’agences de transport en commun à travers le monde et est sans conteste le fer de lance des données ouvertes en matière de transport.

L’expertise québécoise

La réalisation des bénéfices des données ouvertes tient à la combinaison de plusieurs expertises qui peuvent se regrouper en deux catégories : la collecte et la gestion de l’information; la publication et l’utilisation.

Expertise en collecte et en gestion de l’information

Pour avoir des données ouvertes, il faut des données. En ce domaine, le Québec a plusieurs atouts intéressants. À titre d’exemple, les données mises à disposition par le ministère des Transports sur le site Internet Québec 5112 sont parmi les meilleures au Canada en cumulant des informations à jour et précises sur le réseau national, tout en agrégeant également des informations locales comme les travaux de la Ville de Montréal.

Dans un domaine connexe, la Ville de Montréal gère un outil nommé Info-RTU (Infogestionnaire des Réseaux Techniques Urbains) qui permet à près de 53 organisations gouvernementales et privées de collaborer à la coordination des travaux ayant un impact sur la fluidité de la circulation des personnes et des biens dans le grand Montréal. Cet outil, développé et maintenu pour et par la Ville en coopération avec de nombreux partenaires, permet d’obtenir un niveau de coopération et de partage d’information qui suscite l’intérêt de bien d’autres régions métropolitaines.

L’expertise technologique

L’expertise en technologies de l’information est le second volet nécessaire pour réaliser le plein potentiel de données ouvertes : elle permet la mise à disposition des données et leur utilisation. Là aussi, les exemples intéressants ne manquent pas. Une analyse de la partie publique du site Québec 511 met en évidence une architecture technologique reposant sur des interfaces programmables au format JSON qui est l’un des choix les plus populaires parmi les développeurs pour utiliser des données ouvertes. Cela a notamment rendu possible la mise en place de l’application mobile Québec 511.

Bien que n’étant pas officiellement intégré à une démarche d’ouverture des données, le contenu de Québec 511 se prête très bien à la réutilisation souhaitée dans le cadre de la politique de données ouvertes du Québec. Par exemple, des outils québécois comme ZoneCone3 et NaviCone4 ont repris les données de Québec 511 pour proposer des fonctionnalités supplémentaires comme des systèmes de notification.

Dans le domaine des données officiellement ouvertes, l’ensemble des données de service planifié de transport en commun de la région de Montréal est disponible au format GTFS sous l’égide de l’AMT, de la STM, de la STL et du RTL. Ici aussi, toutes les régions métropolitaines ne peuvent se prévaloir d’une disponibilité complète des données avec un nombre aussi élevé d’agences de transport (18 agences en comptant les CIT). Cela a donné lieu à un écosystème informationnel riche. En plus des applications génériques comme Google Maps, plusieurs applications québécoises ont vu le jour comme l’application mobile Transit.app5, reconnue comme l’une des meilleures applications iOS de transport en commun, ou encore une installation du logiciel de planification de trajet multimodal OpenTripPlanner6 qui peut combiner les transports en commun, la marche et le vélo.

Toutes ces initiatives qui apportent aux citoyens des services précieux ont été développées à partir des expertises technologiques des Québécois qui ont utilisé les données ouvertes à leur disposition.

De toute évidence, l’expertise technique au Québec n’a pas à rougir de ce qui se fait ailleurs. Tant en matière de collecte des données que de compétences pour les publier et les utiliser, certaines expériences sont très concluantes. L’étape suivante est donc une plus grande prise de conscience du potentiel des données ouvertes en matière de transport.

Développements

Bâtir un écosystème

Pour bien comprendre le potentiel des données ouvertes, il est peut être utile de changer de perspective. Trop souvent, les gouvernements et les organismes publics considèrent qu’ils sont les seuls à pouvoir valoriser les données qu’ils possèdent.

Pourtant, l’ouverture des données est un multiplicateur de valeur. En mettant les données de transport en commun dans tous les téléphones cellulaires, Google et autres applications mobiles ont mis dans ces données une valeur d’utilisation que les agences de transport auraient difficilement pu atteindre.

Les données ouvertes obligent à réévaluer le positionnement des gouvernements dans les services aux citoyens. En ces temps de budgets serrés, les administrations ont-elles la capacité de répondre à tous les besoins des citoyens? Dans le domaine de l’information aux voyageurs par exemple, est-ce pertinent de développer des applications mobiles pour toutes les plateformes alors que des citoyens ou des entreprises sont prêts à le faire? Les gouvernements peuvent-ils favoriser l’éclosion d’un écosystème informationnel utilisant les données ouvertes et comblant différents besoins? Les réponses à ces questions sont loin d’être établies et varient en fonction des situations. Ce qui est certain c’est que les données ouvertes font partie de la solution pour faire parvenir des informations pertinentes aux citoyens. Dans le cadre des transports, où l’information aux usagers, souvent en temps réel, est primordiale, il faut considérer tous les canaux pertinents pour valoriser et faire circuler l’information.

Collaboration

Sur la base des données ouvertes, la collaboration entre gouvernements, citoyens et compagnies peut être améliorée : il devient possible de tirer profit des motivations de chaque acteur pour mieux collaborer et ainsi être plus efficace. À titre d’exemple, certaines données ouvertes de la Ville d’Ottawa servent aux entrepreneurs sous-traitants en ramassage des ordures pour planifier leurs tournées.

L’exemple d’Info-RTU présenté ci-dessus pourrait être amélioré avec des données ouvertes. Tandis qu’il est possible pour chaque acteur de fournir des informations dans cette base de données centralisée, il ne leur est pas possible d’accéder au contenu pour, par exemple, permettre à une Ville de publier certaines de ces informations sur son site Internet. Ce serait difficile en l’état, car certaines données sont couvertes par des clauses de confidentialité, alors qu’il serait possible de modifier le système pour rendre une partie de ces données ouvertes, donner accès à plus d’utilisateurs potentiels et ainsi augmenter le potentiel de collaboration de cet outil.

Standardisation

Un dernier point crucial dans le développement des données ouvertes et l’adoption d’une méthode ou d’une technologie est la standardisation. Le format GTFS a atteint le niveau de pénétration qu’on lui connait parce que c’était un standard générique, ouvert et pensé pour les données ouvertes et proche de la logique Internet. Pour que d’autres données ouvertes deviennent aussi populaires, il faut suivre une démarche similaire. Coexistent en parallèle d’autres protocoles plus orientés vers les besoins des professionnels, comme NTCIP (National Transportation Communications for Intelligent Transportation System Protocol).

Là encore, des acteurs québécois mènent des projets innovateurs. Par exemple, l’AMT et la STL, tout en publiant leurs données en format GTFS (incluant des données en temps réel), développent actuellement un projet de synchronisation de leurs services basé sur les standards NTCIP. Cela démontre bien la capacité à gérer plusieurs canaux de services, certains orientés vers le public grâce à des développeurs externes, d’autres vers les professionnels.

Concernant les données routières, nous travaillons actuellement, sous l’égide d’un organisme montréalais, Nord Ouvert, sur un format similaire à GTFS, 511 Ouvert, consacré à la publication des entraves routières et potentiellement capable de transmettre d’autres informations comme les données de limite de vitesse par segment de route ou les informations de stationnement. Ce format suscite l’intérêt de plusieurs organisations nord-américaines et est notamment développé en collaboration avec le ministère des Transports de Colombie-Britannique et la Metropolitan Transportation Commission de la région de la baie de San Francisco. Ce format vise également à vivre en parallèle avec des formats plus spécialisés comme le Transportation Management Data Dictionnary (TMDD).

Discussion et conclusion

En plus d’augmenter les capacités d’action des citoyens, les données ouvertes amènent aussi les organisations publiques et parapubliques à revoir leur position en matière de service aux citoyens. Les gouvernements peuvent en effet profiter de cette occasion pour définir et se concentrer sur certaines missions critiques, tout en favorisant l’émergence d’un écosystème technologique capable de fournir une vaste panoplie de services. Cette option est particulièrement attrayante dans le domaine du transport pour fournir de l’information et des services aux usagers de toutes les façons utiles et imaginables. Ce faisant, il faut soutenir les initiatives individuelles des citoyens et des sociétés (« bottom/up ») en premier lieu en libérant des données, quitte à ne pas avoir un contrôle complet sur le résultat. En la matière, la société de transport en commun de la région de San Francisco BART possède un écosystème hors du commun avec près de 90 applications répondant à presque tous les besoins possibles sur toutes les plateformes technologiques.

Si la région de San Francisco peut difficilement être égalée pour son vivier technologique, nous avons montré que le Québec jouit d’une expertise technique reliée au transport le mettant dans une position de possible leader dans ce domaine. Le défi actuel le plus important au Québec nous semble être politique et consiste à soutenir et à développer la pratique des données ouvertes dans les organisations publiques et toute la société.

Il faut aussi avoir conscience que les données ouvertes ne vont pas résoudre tous les problèmes de transport, pas plus que le marché ne répond seul à tous les besoins. Le développement des données ouvertes doit être suivi de près pour comprendre dans quelles conditions il se traduit par les meilleurs résultats. Le mouvement des données ouvertes est encore jeune et nous avons peu de recul pour tirer des leçons des expériences passées. Tous les concepts et les outils sont cependant à notre disposition pour tirer le meilleur parti des données ouvertes pour des transports efficaces et sécuritaires pour tous.

Notes

1- http://opendefinition.org/

2- http://511quebec.info/

3- http://zonecone.ca/

4- http://www.navicone.ca/

5- http://thetransitapp.com/

6- http://multimodal.pourmontreal.net/

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr

https://aqtr.com/association/actualites/deposez-votre-candidature-devenez-membre-comites-techniques-groupes-detude-lassociation-mondiale
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