L’Hyperloop démystifié Marchés, applications au Canada, obstacles et perspectives

Lundi 21 janvier 2019
Mobilité durable, Technologie, Gestion de la circulation, Infrastructures de transport, Logistique, Mobilité durable, Viabilité hivernale, Gouvernance, Sécurité et Aménagement
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Thierry Boitier
Directeur Développement des affaires
TransPod

Depuis la publication  de l’« Alpha Document » d’Elon Musk en 2013 décrivant un nouveau mode de transport baptisé « hyperloop », les médias regorgent d’articles à son sujet tout comme déferlent les annonces des entreprises développant cette technologie. Il est vrai que le sujet fait rêver : voyager au sol à 1200 km/h! Mais l’industrie est naissante et il est difficile de différencier « buzz » et révolution à venir, et encore plus de situer cela dans notre quotidien. Est-ce une invention d’Elon Musk ? Est-ce réalisable ou bien est-ce une utopie digne de Retour vers le futur ? Quelles sont les applications ? L’Hyperloop annonce-t-il la fin du train ? Quels sont les défis auxquels sont confrontées les compagnies qui y travaillent ? Essayons d’y voir plus clair.

 

Tout d’abord, il convient de replacer les éléments dans leur contexte. En 1904 à Worcester au Massachusetts, l’étudiant en physique Robert H. Goddard rédige un essai portant sur les transports en 1950, et y décrit un système s’affranchissant des frottements avec les rails, avec l’air, et réduit les temps de trajet en accélérant continuellement jusqu’à la moitié du parcours. Les « trains sous vide » sont nés. L’idée fait son chemin, et sera finalement brevetée en 1950. Diverses entreprises s’emparent ensuite du sujet : ET3 (É.-U.) en 1997, Swissmetro (Suisse) en 2000, l’institut de recherche sud-coréen KRRI en 2001. Puis, le 12 août 2013, Elon Musk, s’appuyant sur l’idée originale de Goddard, publie un document présentant l’« hyperloop » et ses avantages par rapport  au projet de train à grande vitesse (TGV) Los Angeles - San Francisco.

 

Qu’est-ce que l’Hyperloop : un avion sans ailes, un métro à l’échelle d’un pays, ou les deux?

 

Les concepts de base de cette idée centenaire n’ont pas changé : contourner deux obstacles majeurs auxquels sont confrontés les transports au sol :

  • Frottements résultants du contact rail - roues : éliminés via des mécanismes de sustentation (magnétiques ou coussins d’air) ;
  • Frottements aérodynamiques de l’air contre le véhicule : réduits via la diminution de la pression du milieu dans lequel les véhicules évoluent.

La combinaison de ces facteurs permet de faire circuler des véhicules électriques, au sol, avec relativement peu d’énergie, et a priori sans limitation de vitesse – les limites actuelles sont le franchissement du mur du son (1224 km/h sous pression standard).

En revanche, les technologies considérées pour ce mode de transport ont, elles, évolué à travers le temps. L’ensemble de l’industrie s’accorde aujourd’hui pour décrire l’Hyperloop comme un réseau de tubes bidirectionnels en acier de plusieurs mètres de diamètre, sous vide moyen (environ 100 Pa), dans lesquels lévitent et circulent des véhicules de 25 à 35 m de long, appelés « pods », qui transportent plusieurs tonnes de marchandises ou une trentaine de passagers. Lévitation et propulsion sont assurées par des systèmes électromagnétiques, et c’est d’ailleurs le nerf de la guerre : comment réduire les coûts d’infrastructure qui ont rendu le Maglev trop cher à construire ? Sur ce point, diverses solutions existent. La start-up canadienne TransPod propose notamment un système de lévitation et de propulsion uniquement sur le véhicule, qui supprime l’installation d’électroaimants coûteux sur la voie, et divise ainsi par trois le coût de l’infrastructure, le rendant similaire à celui du train à grande vitesse. Ces caractéristiques permettent de considérer le pod comme un avion sans ailes, guidé par des systèmes magnétiques, et pour lequel les conditions de basse pression atmosphérique sont recréées sur terre.

Enfin, les opérations jouent un rôle crucial dans cette révolution annoncée des transports. Les pods sont de petite capacité et la fréquence de départ est de l’ordre de deux à trois minutes. On ne prend pas son billet à l’avance - on voyage avec le prochain pod prêt à partir, et des aiguillages permettent aux véhicules de s’arrêter ou non aux stations intermédiaires. L’Hyperloop peut également  s'apparenter à un métro à l’échelle d’un pays offrant rapidité, flexibilité, grande fréquence de départs, et couvrant de grandes distances.

 

Innover, pourquoi pas, mais pour quoi et pour qui ?

 

Pour paraphraser Gibran Hadj-Chikh, Directeur Transports Innovants chez Parsons Corp., une nouvelle technologie a peu de chance de succès si elle est n’est pas intégrée dans un écosystème global. Si l’Hyperloop a le vent en poupe, c’est que l’écosystème y afférent a déjà pris forme. Voyons cela à travers quatre applications.

 

Ralentir l’hyperurbanisation :

L’urbanisation est un fait. Or, le citoyen souhaite pouvoir habiter près de son lieu de travail tout en bénéficiant d’un coût de la vie raisonnable. Le transport par Hyperloop propose une solution à cette équation si difficile à résoudre. Un trajet urbain domicile - travail de 30 minutes représente une distance de 5 à 10 km, à condition d’habiter à proximité d’un centre-ville, à un coût élevé. Un trajet de 30 minutes en Hyperloop couvre une distance de 200 km (à 465 km/h en moyenne, tenant compte des temps d’accélération et décélération). Dans ce scénario, les villes de région remplacent les couronnes périurbaines actuelles. Un coût de la vie plus abordable, un meilleur confort et une décentralisation de l’urbanisation sont les transformations à venir dans le domaine du transport domicile – travail.

 

Réduire la multiplication des entrepôts :

L’Hyperloop s’intègre également dans la chaîne logistique de nos commandes en ligne. Le développement de la culture du « tout, tout de suite » stimule la croissance du commerce en ligne et des livraisons J+1, voire le jour même. Les solutions actuelles sont, à court terme, le développement du transport de marchandises par avion, et à moyen terme, la multiplication des centres logistiques, avec les inconvénients suivants : pollution et coûts élevés du trafic aérien, augmentation des coûts d’entreposage et des niveaux de marchandises entreposés. L’implantation d’un réseau Hyperloop cargo bouleverse ce modèle; ainsi, un seul entrepôt régional majeur alimente des centres de réception locaux, d’où les marchandises sont transférées vers des navettes qui assurent la livraison du dernier kilomètre. Plus besoin de multiplier les entreposages autour de chaque ville pour assurer une livraison le même jour ; une commande passée avant midi peut être expédiée à 1500 km en deux heures et livrée le soir même.

 

Absorber l’augmentation du trafic aérien :

La hausse du trafic aérien est un autre fait. Les tendances indiquent que le  nombre de passagers double tous les 15 ans, avec les effets indésirables qui en résultent : pollution de l’air et sonore, émissions de gaz à effets de serre, agrandissement des infrastructures aéroportuaires. Le cas français de Notre-Dame-des-Landes a récemment montré les difficultés rencontrées par les nouveaux projets aéroportuaires. Plutôt que de construire, pourrait-on tirer profit de ce qui est existant, relier des aéroports entre eux et en faire des terminaux connectés formant un seul et même aéroport ? Se déplacer d’un terminal à l’autre peut prendre de trente à quarante minutes dans les grands aéroports, alors que l’Hyperloop peut relier trois aéroports régionaux distants de 200 kilomètres en moins de trente minutes. En optimisant la répartition des destinations afin d’éviter des doublons, trois aéroports connectés peuvent engendrer une réduction du nombre de petits porteurs pour se concentrer sur les appareils plus gros et plus efficaces. Ils encaissent la hausse du trafic de passagers, via un temps de correspondance pour les usagers qui est similaire à celui déjà expérimenté dans les grands aéroports.

 

Remplacer les vols court-courriers :

Si l’avion est encore le meilleur moyen de couvrir rapidement les grandes distances et les trajets intercontinentaux, qu’en est-il des vols court-courriers ? Moins rentables que les vols long-courriers, surtout lorsqu’il s’agit des premières ou dernières étapes d’un trajet avec correspondances, ils sont également moins efficaces que les gros porteurs en termes d’énergie et de pollution, et occupent la même unité d’espace qu’un long-courrier en ce qui concerne les portes d’embarquement, les salles d’attente et les interactions avec les stations au sol. En se déplaçant au sol à la même vitesse qu’un avion et réduisant l’impact environnemental, une ligne Hyperloop peut assurer le service des vols réguliers court-courriers et laisser les aéroports couvrir les grandes distances.

Les applications potentielles au Canada ne manquent pas : les centres urbains de l’Est fonctionnent de façon indépendante. Alors que les aéroports de Toronto, de Montréal, et de la Ville de Québec approchent de la saturation, ces centres urbains pourraient chacun offrir des destinations différentes, à condition d’être à moins d’une heure de route les uns des autres. Une ligne Hyperloop entre ces villes permettrait également de réduire le nombre de camions circulant sur les autoroutes. Enfin, les expressistes tels que UPS et DHL opèrent des vols quotidiens des États-Unis vers Toronto et Montréal. Une liaison Hyperloop entre ces deux villes leur permettrait de n’utiliser qu’un seul cargo à destination de Toronto, puis de transférer les marchandises vers Montréal au sol, via un transport électrique propre et aussi rapide que l’avion.

 

Cela semble si évident, alors, quels sont les obstacles ?

 

Les principaux obstacles rencontrés par les entreprises développant cette technologie sont un manque de preuves de concept, de régulation, et un rejet de l’innovation. Si les deux premiers sont peu à peu compensés par la construction de pistes d’essais et de prototypes à travers le monde d’une part, les travaux réglementaires initiés avec le gouvernement du Canada et l’Union européenne d’autre part, le troisième point demande, quant à lui, de nombreux efforts. La nouveauté fait peur et s’accompagne de craintes et de doutes qui, dans le cas d’une industrie récente et compétitive ayant encore peu de publications techniques et économiques, sont largement compréhensibles. À grand renfort de conférences, de publications, de discussions informelles, de FAQ et d’articles, les entreprises du secteur font de leur mieux pour démocratiser la connaissance autour de l’Hyperloop.

 

Au milieu de cela, deux arguments contre la mise en place de lignes Hyperloop méritent éclaircissement et approfondissement : un pod a moins de capacité qu’un train, et l’on ne veut plus d’infrastructures défigurant le paysage. L’incompréhension et la méconnaissance de cette solution transparaissent à travers ces exemples. L’Hyperloop n’a pas pour vocation de remplacer les trains à grande vitesse, mais de compléter l’offre de transport au sol. Un TGV transporte des centaines de voyageurs à horaires fixes, mais tous les corridors de transport n’ont pas la capacité nécessaire pour justifier l’implantation d’une telle ligne. L’Hyperloop apporte flexibilité et grande fréquence : partez quand vous voulez et vers où vous voulez le long du réseau. 

Ensuite, contrairement à ce qui peut être perçu, l’infrastructure répond à de nombreuses problématiques actuelles. La construction sur pylônes évite de percer des bandes de 50 m à 100 m de large et de diviser les propriétés en deux. Une ligne Hyperloop surélevée ne perturbe pas les réseaux routiers et électriques existants et permet le passage des animaux et des engins agricoles. Enfin, l’infrastructure n’est plus à usage unique, mais assure des fonctions multiples : génération d’électricité via des panneaux solaires, distribution de l’électricité dans des zones éloignées, transport d’information par fibre optique là où il serait trop coûteux d’installer une ligne télécom, etc.

Les défis technologiques existent, certes, mais semblent finalement moins importants que les défis sociaux, à savoir convaincre les investisseurs, les gouvernements et la population que l’innovation a du bon, crée de l’emploi, et permet le développement de nombreux produits technologiques dérivés bénéficiant finalement au bien de tous.

 

Finalement, l’Hyperloop n’est pas le rêve fou d’un milliardaire californien. Il n’est pas non plus un canon magnétique à passagers ou l’allégorie d’une course à la vitesse. Il est un mode de transport conceptualisé il y a plus d’un siècle, ayant pour vocation de compléter l’offre existante, quitte à léviter sur certaines platebandes monopolisées par l’avion et le train à grande vitesse. Au-delà d’une concurrence, il faut plutôt y voir une diversification. Au-delà du défi technologique que l’Hyperloop représente, il faut voir des projets de recherche. Comme la conquête de l’espace nous a apporté le GPS, les aliments sous vide, les coussins gonflables, les pompes à insuline, les panneaux solaires, le développement de toute nouvelle technologie s’accompagne de découvertes et de développements de produits ayant une influence insoupçonnée sur notre quotidien. La place de l’Hyperloop est déjà trouvée, dans les domaines du cargo express, de l’urbanisation, les connexions aéroportuaires … Ironiquement, si l’Hyperloop apporte des solutions à une société en constante accélération, son implémentation implique une vision posée, réfléchie et à long terme de la part des investisseurs et des gouvernements.

 

Sur la toile

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