Aménagement de voies cyclables pour faire du vélo un mode de transport utilitaire au Québec
Avec une augmentation de près de 17 % en 10 ans de l’utilisation, quotidienne ou occasionnelle, du vélo pour se déplacer dans les villes au Québec et une demande en infrastructures cyclables qui dépasse l’offre actuelle, les municipalités doivent maintenant s’interroger sur la place qu’elles veulent réserver au vélo comme mode de transport utilitaire sur leur réseau routier.
Une solution serait d’interdire l’accès aux vélos au réseau routier et de créer des voies cyclables séparées, réservées et exclusives. Séparer les modes de transport selon leur vitesse respective est ce qui est le plus sécuritaire. Toutefois, cette option mérite une grande attention car, parmi les fondements du problème actuel, se trouve une profonde incompréhension des besoins et de la réalité du cycliste qui se déplace pour des raisons utilitaires.
Déplacements utilitaires à vélo
Au Québec, le vélo est encore vu comme un véhicule récréatif d’usage secondaire et cette considération est décelable à même la configuration des voies cyclables, tant en matière d’aménagement que de géométrie. Les voies cyclables sont souvent trop étroites, desservent peu de destinations utilitaires, manquent de connectivité entre elles, fusionnent avec les voies piétonnes, et leur entretien est souvent négligé. L’effort physique qu’implique le vélo et son incidence sur la conception des voies cyclables sont parfois mal compris au Québec. Une grande majorité de cyclistes acceptent difficilement de faire des détours, de monter des côtes abruptes ou de descendre de leur vélo. Par ailleurs, sur une route, un cycliste est souvent vu comme un usager de second ordre, comme quelqu’un qui s’approprie le réseau d’un autre, c’est-à-dire celui du véhicule motorisé.
Pourtant, depuis 2000, l’utilisation du vélo à des fins utilitaires a connu une bonne croissance au Québec, principalement à Montréal. Avec sa Politique du vélo (2008), le gouvernement du Québec a reconnu ce potentiel cycliste et a réaffirmé sa détermination d’augmenter la part modale du vélo, qui est actuellement d’environ 2 %, dans la province. Or, le champ d’application de cette politique est limité au réseau ministériel, situé majoritairement en zones rurale ou périurbaine, là où les déplacements utilitaires à vélo sont peu nombreux.
Conception d’infrastructures cyclables en milieu urbain
En ville, les accidents entre cyclistes et véhicules motorisés et les complications en circulation poussent différentes instances à promouvoir des solutions rapides et peu coûteuses, comme le partage de la route. Or, cette cohabitation, mal comprise par plusieurs usagers de la route, s’avère souvent peu sécuritaire pour les cyclistes et est dissuasive à l’utilisation du vélo.
Des infrastructures cyclables de qualité, offrant efficacité, sécurité et confort, constituent un prérequis prépondérant pour favoriser leur fréquentation par un large spectre de la population. La documentation technique sur l’aménagement cyclable en milieu urbain n’est pas assez exhaustive au Québec. Les Normes des Ouvrages routiers – Tome I : Conception routière de Transports Québec et les publications de Vélo Québec ne suffisent pas aux concepteurs en milieu municipal pour créer des solutions d’aménagements sécuritaires, confortables et pratiques adaptées aux omniprésentes et singulières zones de conflits urbaines.
Si les municipalités décident de prioriser l’utilisation du vélo en lui créant un réseau sécuritaire, leurs références pourraient être celles des Pays-Bas. À la suite d’une baisse drastique de l’utilisation du vélo au profit de l’automobile de 1950 à 1975, les Pays-Bas ont réussi à faire monter la part modale du vélo à 27 %, soit la plus grande part modale au monde pour le vélo à l’échelle nationale. Le guide néerlandais de design des voies cyclables CROW présente les principaux critères d’un réseau cyclable utilitaire efficace, sécuritaire et populaire.
Critères d’aménagement en milieu urbain
Certains critères doivent être retenus et appliqués conjointement pour réaliser un réseau cyclable utilitaire en milieu urbain. Un réseau cyclable utilitaire doit être étendu, ramifié, hiérarchisé, direct, uniformisé, sécuritaire, confortable et attrayant.
Un réseau cyclable étendu, ramifié et hiérarchisé, c’est-à-dire composé de voies de différentes importances ayant une fonction spécifique dans un maillage global, permet de répartir le flot cycliste sur l’ensemble du territoire et maximise son accessibilité. De plus, un réseau continu composé de voies cyclables connectées assure une liaison entre toutes les origines et les destinations (résidences, travail, écoles, commerces, etc.). Un marquage adéquat et une signalisation abondante, claire et donnant des indications sur les points d’intérêts locaux de fréquentation quotidienne (gare d’autobus, bibliothèque, etc.) participent également à la bonne orientation des cyclistes sur leur parcours et à la cohérence d’ensemble du réseau.
L’accès direct et la rapidité de parcours sont des incitatifs importants dans le choix du vélo pour les déplacements utilitaires. Le temps de parcours peut être minimisé par un réseau bien ramifié, ainsi que par des mesures d’optimisation du temps de trajet, comme des feux cyclistes synchronisés, la présence de boutons déclenchant la fin du cycle du feu de circulation ou l’élimination des panneaux « Arrêt » sur les voies cyclables. L’accès direct aux pôles de service de transport en commun ainsi qu’à de nombreux stationnements pour vélos est également déterminant dans le choix de l’utilisation du vélo.
Un aménagement cyclable uniformisé sur un grand territoire, selon un design simple et rapidement lisible, augmente le sentiment de confort et de sécurité de tous les usagers de la route. L’utilisation d’un guide de design unique, la collaboration intermunicipale et la révision des plans des aménagements cyclables par une instance chapeautant un grand territoire sont des façons d’assurer l’uniformisation du réseau.
Le sentiment de sécurité et de confort que procure un réseau cyclable est essentiel à sa popularité. Bien que plusieurs mesures participent en synergie à ce sentiment, certaines en constituent la base : la réduction des points de rencontre entre les vélos et les véhicules motorisés, la création de voies cyclables réservées, exclusives et physiquement séparées des voies pour automobiles et la modération de la vitesse des véhicules motorisés dans les zones où le partage de la route est inévitable, comme dans les zones résidentielles. À Montréal, par exemple, la transformation de nombreuses ruelles en routes cyclables à usage automobile limité pourrait être envisagée.
Les intersections sont les endroits clefs des accidents impliquant les cyclistes et une grande attention doit être portée à leur design. Des voies cyclables séparées, clairement identifiables et si possible colorées, des lignes d’arrêt avancées pour maintenir les cyclistes dans le champ de visibilité des automobilistes, des feux prioritaires pour cyclistes, des distances de traverses diminuées, des îlots de protection, des voies de virage à droite séparées des voies automobiles et l’aménagement de voies unidirectionnelles (plutôt que bidirectionnelles) de part et d’autre de la route sont des interventions recommandées aux Pays-Bas.
En plus d’être idéalement revêtues d’un revêtement bitumineux coloré, pour être rapidement reconnaissables par tous les usagers, les bandes cyclables ne devraient être aménagées que sur des routes de 50 km/h ou moins. Par ailleurs, des voies cyclables larges, permettant le transport de matériel, le contournement des obstacles, le dépassement ou l’accompagnement (par exemple, des enfants), accroissent largement la sécurité et le confort de cyclistes. La largeur minimale de 1,50 m, spécifiée dans les normes du MTQ, ne devrait s’appliquer que lorsque les conditions d’aménagement sont optimales.
La création de voies piétonnes larges, situées loin des voies pour véhicules motorisés, attrayantes et physiquement séparées des voies cyclables augmente la sécurité et le confort tant des piétons que des cyclistes.
Enfin, un éclairage adéquat ainsi qu’un entretien continu et régulier en toutes saisons des voies cyclables sont des mesures de sécurité et de confort qui participent à l’efficacité d’un réseau cyclable.
Concertation, volonté politique et projet de société
On peut penser que si ces notions étaient appliquées au Québec, le réseau cyclable de la province en milieu urbain pourrait être grandement amélioré. Cependant, il est important d’ajouter que, même aux Pays-Bas, la popularité modale du vélo ne repose pas que sur les infrastructures cyclables. La planification, le développement, l’entretien et le financement du réseau cyclable néerlandais sont le résultat d’une étroite collaboration entre les différents paliers gouvernementaux (municipal, régional et national). De plus, depuis les années 1970, ce pays multiplie les politiques visant à favoriser les cyclistes et à dissuader les automobilistes, notamment par l’augmentation des taxes sur l’essence et la restriction de la circulation automobile sur certains tronçons de route.
En se basant sur l’expérience néerlandaise, un changement de culture profond, soutenu par une volonté politique concrétisée par le biais d’aménagements cyclables sécuritaires, confortables et efficaces, de mesures concertées, de révision de la distribution routière, de nouvelles règlementations et de structures financières soutenant le développement d’infrastructures cyclables de qualité et compétitives à l’usage de l’automobile, pourrait fort probablement augmenter la part modale du vélo au Québec.
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