Les villes de demain peuvent-elles être sauvées de l’asphyxie ?

Lundi 15 mai 2017
Mobilité durable
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Jean-Marie Carrara
Professeur
Billoo Development

Plus étendues et plus peuplées qu’aujourd’hui, les villes de demain verront la demande de déplacements urbains et périurbains exploser. Or, faute de pouvoir mailler le territoire de façon suffisamment fine, les réseaux de transports en commun ne sont ni rapidement ni facilement accessibles à la population.

Faute d’une capacité d’accueil suffisante aux heures de pointe, les transports en commun n’offrent pas aux usagers le niveau de confort qu’ils sont en droit d’attendre. Pour ces raisons, et de nombreuses autres comme la disponibilité des transports en commun et leur prix, la voiture reste, plus que jamais, le moyen de transport privilégié par les populations pour leurs déplacements urbains et périurbains.

Dans ce contexte, la fluidité des déplacements, dans les villes de demain et à leur périphérie, constitue un enjeu majeur pour que les populations ne finissent pas prisonnières de leurs villes. La solution trouvera ses racines dans une augmentation drastique du taux d’occupation des véhicules circulants et dans un allongement de la durée d’utilisation du parc automobile. Pour y parvenir, l’idéologie qui a présidé aux choix retenus ces dernières décennies doit être mise à bas et la gratuité de la circulation sur le réseau routier urbain et périurbain doit être manifestement remise en question.

 

Une concentration urbaine toujours plus forte

Depuis plusieurs décennies, un flux migratoire constant fait grossir les villes.

Au cours des quarante dernières années (1975-2015), le nombre de zones urbaines de plus de 10 millions d’habitants – les mégapoles – est passé de 4 à 29, et ces zones regroupent déjà, à elles seules, 6 % de la population mondiale.

Mais ce classement montre aussi que les huit premières métropoles, appelées désormais « métapoles » par l’ONU, dépassent chacune les 20 millions d’habitants. Avec 38 millions d’habitants, la métapole de Tokyo prend la tête de ce classement. Elle compte désormais autant d’habitants que l’Océanie, plus d’habitants que bon nombre de pays comme l’Australie ou le Canada, voire que certains groupements de pays développés comme le Benelux.

Cet accroissement de la population urbaine n’est pas l’apanage d’un continent ou d’un pays, mais est commun à tous les continents et à tous les pays. De surcroît, les nombreuses études prospectives menées sur le sujet estiment que cet afflux de population, loin de se tarir, se poursuivra encore pendant plusieurs décennies.

 

Une demande de déplacements qui explose

Plus les villes sont peuplées, plus leur pouvoir d’attraction est fort. Plus le pouvoir d’attraction des villes est fort, plus le flux migratoire vers ces villes est soutenu. La boucle est bouclée et s’autoalimente.  Or, le facteur qui influence le plus la mobilité urbaine est la taille de la population.

Plus les villes sont peuplées, plus la demande de déplacements est élevée et cette demande de déplacements touche non seulement les villes concernées, mais aussi leur périphérie. Ainsi, plus les villes sont peuplées, plus la fluidité des déplacements doit constituer une priorité pour les décideurs politiques. L’objectif est clair : éviter la paralysie et l’asphyxie des villes de demain.

Loin du simple bon sens, l’idéologie qui prévaut depuis plusieurs décennies postulait que la multiplication des entraves et des contraintes quant à l’utilisation de l’automobile induirait automatiquement une réduction du trafic. De surcroît, les mêmes affirmaient que les transports en commun étaient capables de répondre aux besoins des populations. Notre vie quotidienne montre chaque jour que c’est le contraire qui s’est produit.

 

Des transports en commun structurellement insuffisants

Afin de répondre à la demande de déplacements des populations urbaines et périurbaines, les réseaux de transports en commun doivent mailler finement le territoire pour éviter aux usagers de devoir utiliser un moyen de transport complémentaire permettant d’effectuer le first mile – distance entre le point de départ et le point d’entrée sur le réseau de transport en commun – et le last mile – distance entre leur point de sortie du réseau de transport en commun et la destination finale.

La gestion du first mile et du last mile est un critère essentiel au moment de choisir d’utiliser, ou non, les transports en commun. À la distance à parcourir s’ajoutent la difficulté et le prix du stationnement du moyen de transport utilisé pour effectuer chacune de ces approches.

Pour répondre à la demande de déplacements des populations urbaines et périurbaines, la disponibilité et la fréquence de passage des transports en commun doivent être adaptées aux contraintes personnelles et professionnelles des populations, afin que la durée de leur déplacement soit la plus courte possible.

Enfin, pour répondre à la demande de déplacements des populations urbaines et périurbaines, la politique tarifaire des transports en commun doit être suffisamment incitative et a minima pour compenser les contraintes des transports en commun comme l’absence de flexibilité. Faute de quoi, la voiture privée restera le moyen de transport privilégié par les populations urbaines et périurbaines pour se déplacer.

 

Une anticipation inadaptée rendra la situation inextricable

L’horizon d’analyse des besoins en matière d’infrastructures de transport n’intègre que partiellement l’évolution, à moyen et à long terme, de l’implantation de la population dans les centres urbains. Malheureusement, une fois la population installée, le déploiement de nouvelles infrastructures de transport est très difficile tant juridiquement, que techniquement et économiquement.

À cet égard, on se rappellera les difficultés vécues par le baron Haussmann pour rénover le paysage urbain d’un Paris qui, pourtant, en 1850, ne comptait qu’un million d’habitants !

Pour des raisons économiques, le maillage du territoire par le réseau de transports en commun ne peut pas être aussi fin que souhaité par les populations qui attendent un véritable service de proximité.

Pour des raisons économiques, la capacité d’accueil du réseau de transports en commun aux heures de pointe sera toujours insuffisante pour assurer un bon niveau de confort et de sécurité aux utilisateurs.

Le résultat est simple : les transports en commun n’arriveront jamais à satisfaire les besoins de déplacement de toute la population urbaine ni aux heures de pointe ni, d’ailleurs, le reste du temps.

 

La voiture reste une nécessité pour se déplacer

La voiture permet de pallier les insuffisances des transports en commun. Plus les villes sont peuplées, plus l’utilisation de l’automobile progresse dans les zones urbaines et périurbaines. Les conséquences sont connues : des embouteillages toujours plus fréquents et plus longs à résorber et un impact de plus en plus difficile à supporter tant sur les plans économique, social, sociétal, environnemental qu’en matière de santé publique.

Ces conséquences sont d’autant plus graves qu’en milieu urbain les immeubles freinent la dispersion des polluants par le vent. Aussi, plutôt que de rejeter l’utilisation de la voiture, il convient de rechercher comment utiliser au mieux cette extraordinaire capacité de transport inexploitée.

 

L’augmentation de la durée d’utilisation des véhicules

Avec moins de 45 minutes par jour, la durée d’utilisation moyenne d’une automobile est inférieure à 3 %. De nombreuses expériences de voitures partagées (car-sharing) ont vu le jour ces dernières années.

Les points d’équilibre économique sont encore loin d’être atteints, si l’on en croit les dernières publications financières des grands acteurs du marché.

Cela étant dit, le marché des solutions permettant d’augmenter la durée d’utilisation des véhicules est très porteur d’autant que le frein le plus puissant à son large développement reste d’ordre psychologique.

Si l’automobile reste un marqueur identitaire fort, la conception de la voiture sans chauffeur, l’augmentation croissante des assistances au conducteur et du véhicule partagé casse cette relation émotionnelle.

Les fabricants d’automobiles ont conscience du risque que cela représente pour leurs productions et la question de « Comment enchanter à nouveau l’utilisation de la voiture par la relation avec le monde qui l’entoure » a été au centre des débats du congrès CONFERE 2016.

 

L’augmentation du taux d’occupation des véhicules circulants

Le covoiturage s’est fortement développé ces dernières années, principalement sur les longues distances. Malheureusement, les modèles actuels ne permettent pas de covoiturer pour des déplacements de courte distance par le biais d’application simple, rapide et efficace.

En janvier 2017, une application révolutionnaire de covoiturage est entrée en phase de test à grande échelle. L’application GOVOIT offrira aux utilisateurs un niveau de service proche de celui obtenu avec leur propre automobile en matière de flexibilité, de proximité, de disponibilité, de facilité d’utilisation, de coût, de sécurité et de protection de la vie privée.

De cette façon, les décideurs pourront faire usage de l'application afin d’améliorer la coordination du trafic routier urbain et suburbain tout en sauvegardant les intérêts des autorités, des collectivités locales et des entreprises.

La gratuité de l’utilisation du réseau routier doit être reconsidérée

Tous les modèles imposant des restrictions de circulation, sous une forme ou sous une autre, ont abouti à un échec. Comme nous le constatons chaque jour, les files de voitures s’allongent, de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps, à l’approche des villes.

L’impact des péages urbains mis en place dans différentes capitales, comme Londres ou Stockholm, doit être analysé de façon beaucoup plus approfondie pour en mesurer très précisément l’efficacité. De la même façon, aujourd’hui, de nombreuses villes soutiennent, chaque année, à coup de dizaines, voire de centaines de millions d’euros, un réseau de transports en commun qui ne pourra jamais répondre aux besoins des populations.

Les options évoquées – véhicules partagés et covoiturage – permettent aux États et aux villes de supprimer la gratuité de l’utilisation du réseau routier urbain et périurbain et de collecter des fonds qui contribueront au financement de solutions pour remplacer la voiture privée et rendre ce cercle vertueux.

 

Conclusion

Les villes de demain étant plus peuplées, les déplacements urbains et périurbains y augmenteront fortement.

La fluidité des déplacements représente un problème majeur qui ne peut pas être résolu par les seuls transports en commun. La solution passe, notamment, par l’augmentation du taux d’occupation des véhicules circulants et par l’accroissement de la durée d’utilisation du parc automobile. Pour financer les solutions qui éviteront aux habitants d’être prisonniers de leur ville, il est nécessaire d’implanter le péage du réseau routier urbain et périurbain.

Bien évidemment, pour pouvoir vivre dans les villes de demain et s’y déplacer facilement, il est également nécessaire d’envisager d’autres mesures allant au-delà du domaine du transport, comme celles visant, notamment, l’urbanisme et l’organisation du travail.

C’est à ces conditions que les villes de demain ne seront pas asphyxiées.

Sur la toile

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