Turcot : un projet novateur

Jeudi 18 mai 2017
Infrastructures de transport
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Sébastien Marcoux
Directeur adjoint de projet/KPH Turcot
KPH Turcot, un partenariat S.E.N.C.
Sandra Sultana
Directrice générale
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)

L’échangeur Turcot constitue une plaque tournante en ce qui a trait à la circulation routière dans la région de Montréal, puisqu’il permet de relier les autoroutes 15, 20 et 720, en plus de faciliter l’accès au pont Champlain. Le projet Turcot, qui est actuellement le chantier routier le plus complexe en Amérique du Nord, est le lieu de plusieurs innovations et premières au Québec, tant en matière de conception que de construction.

Il ne fait aucun doute que le plus grand défi du projet est de maintenir la mobilité des 300 000 véhicules qui transitent quotidiennement par l’échangeur Turcot. Cette contrainte majeure est au cœur même de la planification et de la gestion du projet. Inversions des voies de l’autoroute 20, différentiel de hauteur des structures (existantes et à construire), proximité avec le milieu bâti, présence de voies ferrées actives, espace restreint et échéanciers serrés sont également des défis avec lesquels les équipes doivent travailler afin d’établir la séquence des travaux et ensuite les exécuter. Afin de relever ces nombreux défis, KPH Turcot doit parfois faire appel à une conception sortant de l’ordinaire ou encore à des méthodes de construction innovantes.

 

Élaborer la séquence des travaux

Dans l’idée de maintenir en priorité la mobilité, les activités de construction ont été planifiées, et sont gérées quotidiennement, afin de diminuer les impacts sur les usagers de la route. L’élaboration de la séquence des travaux a permis de déterminer les conflits ou les contraintes à la réalisation de certains ouvrages et de raffiner les scénarios pour le maintien de la mobilité. Remédier à ces obstacles relève d’un effort multidisciplinaire tant du point vue du concepteur que du constructeur.

Pour établir la séquence des travaux, KPH Turcot a d’abord procédé à la modélisation en imagerie en trois dimensions (3D) de l’échangeur existant, puis des ouvrages à construire. Une fois les deux modélisations juxtaposées, un véritable jeu de casse-tête s’en est suivi. À cette étape, il était possible de voir l’espace disponible pour la réalisation des travaux et de trouver un point de départ pour la construction en dehors de la route, tout en tenant compte des contraintes du milieu environnant. Ensuite, il a fallu déterminer comment il était possible de relier les anciennes et les nouvelles structures pour maintenir la mobilité.

La modélisation en 3D est utilisée à plusieurs fins, que ce soit pour confirmer l’espace disponible pour la circulation (hauteur de dégagement, largeur disponible, etc.) ou encore valider la constructibilité des ouvrages. Ces outils permettent également de mettre en relief les conflits avec les infrastructures souterraines comme les services publics. Il est ainsi possible de déceler les conflits d’espace entre les structures existantes et les nouvelles, ce qui permet d’adapter la séquence des travaux ou les méthodes de construction.

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L’imagerie 3D est codifiée par couleur. Le gris représente les structures existantes; le rouge, les structures en démantèlement; le bleu, les nouvelles structures, etc.

 

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C’est au moment d’établir la séquence des travaux que KPH Turcot a constaté que les haubans du nouveau pont du canal de Lachine étaient en conflit avec les structures existantes. Afin d’y remédier, le pont sera construit et mis en service en étapes jusqu’à ce que l’ancienne structure soit démantelée.

Système de transport intelligent : pendant et après le projet

Une fois la mise en service d’aménagements temporaires, de détours ou d’itinéraires facultatifs réalisée, il est important de suivre les répercussions sur la circulation afin d’adapter, au besoin, les mesures d’atténuation mises en place. Pour ce faire, le calcul du temps de parcours des usagers est utilisé, ce qui permet d’intervenir de façon ciblée dans les secteurs qui ne répondent pas aux critères de performance du maintien de la mobilité qui ont été dictés par le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports.

Le suivi des temps de parcours en période de construction est réalisé à l’aide d’un système de transport intelligent fonctionnant avec des balises Bluetooth. Celles-ci captent le signal des cellulaires ou des véhicules munis de Bluetooth lorsque les usagers passent à proximité des balises situées tout au long du trajet. La localisation des divers capteurs permet de suivre l’itinéraire du signal, donc de connaître le temps de parcours.

Pour le changement de configuration effectué à la fin de l’automne 2016[1], une quinzaine de capteurs ont été déployés sur le terrain. Les temps de parcours permettent de confirmer les hypothèses de réaffectation de la circulation formulées au moment de la conception. Avec cet outil, il est aussi possible de mesurer les impacts sur la circulation et de déterminer les interventions nécessaires pour fluidifier les détours, par exemple : revoir la programmation de certains feux de circulation.

Au terme du projet Turcot, 15 stations permettant de capter les signaux Bluetooth auront été mises en place de façon permanente sur l’ensemble du périmètre du projet. L’utilisation de cette technologie permettra au Ministère de recueillir des informations concernant les temps de parcours et les mouvements de circulation. Les données seront transmises par le réseau de télécommunication au Centre intégré de gestion de la circulation du Ministère.

Les données recueillies fourniront des statistiques importantes aux professionnels du Ministère qui permettront de faciliter et d’optimiser la planification des entraves et des chemins de détour ainsi que la conception des routes en donnant un portrait fidèle de la circulation sur un tronçon donné. Éventuellement, ces données pourraient permettre au Ministère d’offrir des systèmes de transport plus efficaces, par exemple en affichant les temps de parcours sur des panneaux à messages variables. Il s’agit des premières stations installées de façon permanente sur le réseau autoroutier au Québec. Des projets-pilotes ont toutefois déjà été réalisés au Ministère par le passé. L’un des intérêts de l’approche avec les systèmes Bluetooth est d’être non intrusive, facile à installer et peu coûteuse tout en donnant accès à des données en temps réel.

De plus, le projet permettra l’ajout de 12 caméras de télésurveillance de dernière génération dont l’emplacement a été déterminé grâce à un modèle 3D du projet Turcot. Ainsi, les caméras seront positionnées principalement dans l’échangeur Turcot, de manière à monitorer toutes les voies de circulation.

Enfin, un nouveau panneau aérien à messages variables sera installé sur l’autoroute 15 Nord, en amont de l’échangeur Turcot, afin d’informer les usagers de l’état de la circulation dans l’échangeur.

Concevoir et construire des ouvrages en fonction des contraintes

Afin de maintenir la mobilité, l’optimisation des ouvrages commence dès la conception. Les nouvelles structures reliant l’autoroute 20 et la route nationale 136 (anciennement l’A-720) enjamberont le nouveau corridor ferroviaire en plus d’être en conflit avec de multiples structures existantes. Cet ouvrage a été conçu avec un biais très important, soit plus de 70 degrés. Ce choix de conception permet de construire l’ouvrage en minimisant les conflits avec les structures existantes et de permettre ainsi sa mise en fonction plus rapidement. De plus, cela libère l’emprise ferroviaire plus tôt et optimise les délais de construction.

Ce type de structure présente son lot de défis, que ce soit pour les analyses structurales ou pour la réalisation. La méthode de construction retenue est d’incliner les poutres pour permettre la connexion des contreventements intermédiaires, car ceux-ci sont fabriqués en position finale (forme rectangulaire). Pendant la construction, chaque étape de chargement crée une perte de cambrure différentielle des poutres. Ce phénomène engendre une rotation globale du tablier ayant pour effet de redresser les poutres à la verticale à la fin de la construction. Cette méthode requiert aussi la conception d’appareils d’appui permettant une amplitude de rotation importante couplée avec de faibles charges verticales.Le défi technique à relever consiste à construire un bipoutre qui sera ouvert partiellement à la circulation après sa première étape de construction. Cela permettra le démantèlement des bretelles existantes et la construction de la deuxième partie de l’ouvrage tout en s’assurant que les deux parties se connectent.

Comme le démontre la conception de l’ouvrage des nouvelles bretelles de l’autoroute 20 et de la route nationale 136 (A-720), le choix des méthodes de travail joue un rôle important pour réaliser les travaux en fonction des contraintes. Par exemple, la cour Turcot étant un ancien lac, plusieurs sols compressibles devaient être remplacés par des matériaux adéquats à la construction. En milieu urbain et à une profondeur de plus de 10 m par endroit, les excavations nécessaires pour les retirer auraient demandé beaucoup d’espace et de temps, sans parler de la gestion et du transport des sols. Dans certains secteurs où les matériaux compressibles étaient profonds, KPH Turcot a choisi de rendre les sols adéquats à l’aide de colonnes à module contrôlées. L’injection de coulis cimentaire a donc permis de rendre les sols propices à la construction, évitant ainsi des excavations profondes et du transport supplémentaire de matériaux.

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Le temps et le milieu environnant ont également conduit les équipes de KPH Turcot à utiliser une méthode de démantèlement exceptionnelle pour le tunnel ferroviaire dans le secteur du boulevard de Sainte-Anne-de-Bellevue. Alors que les voies ferrées devaient demeurer actives et que le Canadian National autorisait une fenêtre d’opération limitée de quatre heures par nuit, une méthode de levée par grue-portique a été retenue. Des transporteurs modulaires automoteurs ont été utilisés comme une grue-portique. Le tunnel a été scindé en neuf sections de 11,3 m de long. Chaque section de 1 100 tonnes métriques a été transportée dans une aire de travail en dehors de l’emprise ferroviaire pour ensuite être démantelée de façon mécanique.

Gestion du chantier : matériaux, équipements et santé-sécurité

S’insérant dans un milieu urbain de 7 km sur 3 km, le chantier Turcot est très vaste. La technologie est partie prenante de sa gestion au quotidien. Alors que 5 millions de mètres cubes d’excavation et de remblais sont prévus dans le projet, la gestion des matériaux est une facette importante de la planification.

Le suivi des quantités et des piles de matériaux est effectué par drone. Cette technique accélère grandement le processus de relevé topographique. Une fois les images captées, elles sont traitées en imagerie 3D afin de sortir des volumétries. Les relevés permettent de suivre la progression des travaux ainsi que d’assurer le suivi des quantités. Il s’agit d’une méthode avantageuse qui permet de calculer les volumes, ce qui est impossible à réaliser à l’aide d’une photo standard ou d’une orthophoto. Cette utilisation est un domaine émergeant dans l’industrie de la construction.

KPH Turcot a également recours à la télématique pour la gestion des équipements roulants alors que son parc compte plus de 600 pièces. Chaque unité est dotée d’un identifiant à six chiffres et d’une boîte de transmission de données qui permet la transmission cellulaire des données émises par l’équipement, vers un système externe de gestion accessible grâce à un nuage informatique. Les dispositifs de télématique fournissent, en temps réel, des renseignements concernant, entre autres, l’utilisation, la maintenance et la localisation des équipements, optimisant ainsi les activités au chantier.

Les systèmes de télématique enregistrent également les heures d’utilisation qui serviront à planifier l’entretien de l’équipement. Le système utilisé par KPH Turcot peut enregistrer les heures d’utilisation de tous les véhicules qui y sont connectés et offre également un espace entretien où sont regroupées les données historiques de chaque équipement roulant sur une période donnée. Cet historique permet de passer en revue les différents codes d’erreur émis par l’équipement et d’effectuer les réparations nécessaires.

Le système inclut par ailleurs un guidage dynamique assisté par géolocalisation (GPS), afin d’assister l’opérateur lors d’un creusage et d’éliminer ainsi le recours aux services d’un arpenteur. Un avantage en matière de productivité, mais aussi de santé et de sécurité du travail, puisque cela limite la quantité de travailleurs à pied d’œuvre à proximité de la machinerie lourde.

Une autre technologie a été implantée en 2016 sur près d’une quarantaine d’équipements sur roues de KPH Turcot. Il s’agit d’un système de détection des travailleurs qui émet une alarme à l’intérieur et à l’extérieur de la cabine lorsqu’un travailleur se trouve dans une zone à risque ou dans un angle mort de l’équipement. Un collant est apposé sur le casque des travailleurs. Celui-ci communique avec le système fixé à l’intérieur de l’équipement et déclenche l’alarme signalant ainsi le danger à l’opérateur et au travailleur.

À ce jour, les défis du projet Turcot ont été nombreux et relevés avec succès grâce à une vision innovante et à l’apport de la technologie, et ce, à chaque étape de réalisation. Grâce aux différentes innovations et premières, le projet Turcot laissera sa marque dans l’industrie de la construction et contribuera à la vitalité de la métropole.


[1] Le 21 novembre 2016, KPH Turcot a procédé à la fermeture définitive de l’A-720 en direction est et à la mise en service des deux premières voies de la route nationale 136 en direction est. Ce lien routier vient remplacer l’A-720.

Sur la toile

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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