Synthèse du mémoire – Une décennie de giratoires au Québec : bilan du comportement des usagers

Mardi 21 décembre 2010
Infrastructures de transport, Gestion de la circulation
Carrefour giratoire
Michèle St-Jacques
Professeure
École de technologie supérieure (ÉTS) - Professionnels
Alexandre Beaupré
Chargé de projet
Stantec Experts-conseils ltée

Depuis l’implantation du premier carrefour giratoire sur le réseau routier québécois, la multiplication de ce type d’aménagement n’a cessé de croître. Les usagers de la route se familiarisent encore avec le giratoire, relativement nouveau au Québec. Existe-t-il une problématique de  comportements erratiques dans les giratoires québécois? Le cas échéant, sont-ils liés au manque de connaissance qu’en ont les usagers? Ce sont les questions auxquelles le mémoire Une décennie de giratoires au Québec : bilan du comportement des usagers, lauréat du premier prix au concours de mémoire de l’AIPCR Québec 10e édition (2010), s’est intéressé. Cet article présente une synthèse de ce mémoire.

Historique

L’invention du carrefour à giration revient au Français Eugène Hénard au début du XXe siècle. C’est toutefois en 1966 que le giratoire, tel qu’on le connaît aujourd’hui, fait son apparition avec l’adoption de la règle de priorité à l’anneau en Grande-Bretagne. Il faudra attendre jusqu’en 1998 pour voir se construire le premier giratoire canadien à Ville St-Laurent, au Québec. En 2001, le premier giratoire du réseau du ministère des Transports du Québec (MTQ) est construit à Val-d’Or. En 2002, avec l’apparition des giratoires, l’Association québécoise du transport et des routes (AQTR) forme un comité de travail sur les giratoires et tient le colloque « Des carrefours giratoires pour le Québec » tandis que le MTQ publie un guide de conception sur le sujet.

En 2009, on comptait environ 220 carrefours giratoires au Canada, dont 80 au Québec. Malgré le fait que le nombre de constructions est toujours en progression en 2010, aucune campagne de sensibilisation n’a été réalisée à l’échelle provinciale, le giratoire n’est pas réglementé dans le Code de la sécurité routière  et il ne fait l’objet d’aucune question aux examens de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Types d’aménagements circulaires

Le réseau routier québécois compte trois types d’aménagements circulaires : le carrefour giratoire, le rond-point et les autres aménagements circulaires. Considérés comme des synonymes par l’Office québécois de la langue française, le giratoire et le rond-point présentent peu de différences. Leurs dissemblances sont d’ordre technique : le rond-point est régi par la règle de priorité à droite et le giratoire par la règle de priorité à l’anneau. Les autres aménagements circulaires sont ceux qui ne sont pas régis par de telles règles. Ils peuvent ne comporter aucune signalisation, être gérés par des feux de circulation ou des arrêts.

La présence de trois types d’aménagements circulaires peut engendrer de l’incertitude de la part des usagers de la route, car ils sont contraints de déterminer eux-mêmes devant quel type d’intersection ils se trouvent, en plus de devoir adopter le comportement approprié. Ce qui importe pour les usagers, c’est de comprendre la signalisation à l’approche d’un aménagement afin d’adopter le bon comportement. Une réponse favorable à la question « existe-t-il une problématique de comportements erratiques dans les giratoires québécois? » impliquerait nécessairement une incompréhension de  la signalisation de la part des usagers de  la route.

Bilan comportemental  des usagers québécois

Afin de vérifier l’existence d’une problématique comportementale dans les giratoires québécois, un portrait du comportement des usagers québécois a été réalisé à partir de l’observation d’extraits vidéo. Ces derniers ont été tournés sur 11 sites de carrefours giratoires québécois, entre 2007 et 2009. La localisation des aménagements couvre six régions administratives du Québec où 67 % de la population1 est représentée. L’ensemble des extraits vidéo, de sept heures et demie, a été réalisé aléatoirement entre 8 h et 20 h.

L’étude des comportements erratiques des usagers dans les carrefours giratoires a relevé la présence d’un mauvais comportement environ toutes les deux minutes. Les comportements erratiques les plus fréquemment observés (76 %) concernent la règle de priorité à l’anneau. Il faut noter que les giratoires observés n’ont pas un fort débit de circulation piétonnière ou cycliste. À cet égard, la proportion de véhicules omettant de céder le passage aux piétons ou aux cyclistes est moins significative que les autres comportements erratiques. Cette étude révèle indubitablement une problématique de comportements erratiques dans les giratoires québécois. Ces mauvais comportements sont-ils liés au manque de connaissance des giratoires?

Formation des usagers

Comme le mentionnent Pellecuer et St-Jacques (2008)2, le manque d’éducation des usagers de la route a un impact direct sur leur comportement dans les carrefours giratoires. À ce jour, pourtant, aucune campagne de sensibilisation sur leur fonctionnement n’a été réalisée à l’échelle de la province. Ce sont plutôt des campagnes de sensibilisation locales qui sont privilégiées lors de l’implantation de nouveaux giratoires. Ces campagnes sont menées sur de courtes périodes et ne touchent pas l’ensemble des usagers, particulièrement si l’aménagement se situe dans une région touristique ou près d’un axe de transit. Il est toutefois possible de trouver, par l’entremise de recherches personnelles, de l’information sur le web, notamment sur le site du MTQ.

En contrepartie, il faut mentionner que la SAAQ n’estime pas la pertinence d’inclure une question relative au carrefour giratoire dans ses examens de  conduite. Effectivement, selon une conseillère en sécurité routière de la SAAQ, « Étant donné son faible nombre sur le réseau routier, ce type d’aménagement n’est pas représentatif du réseau routier. Par conséquent, aucune question relative à ce type d’aménagement n’est présente dans les examens théoriques et pratiques émis par la Société. »3 Ces propos démontrent le non-désir de la SAAQ de s’impliquer dans la formation des apprentis conducteurs.

Afin de pallier le manque d’éducation des usagers de la route, il faut s’en remettre à la formation prodiguée dans les écoles de conduite et à l’information contenue dans les manuels de conduite. Malheureusement, une étude réalisée en 2008 auprès de 42 écoles de conduite reconnues par l’AQTR dans les régions de Montréal et de Laval démontre que seulement 38 % de ces écoles donnent de la formation théorique sur les giratoires et 69 % de la formation pratique.  De surcroit, une comparaison des manuels de conduite américains, français et québécois a démontré que les manuels français présentent adéquatement les giratoires, tandis que les manuels américains et québécois ne sont ni complets ni mis à jour. En effet, l’ouvrage de référence recommandé par la SAAQ, le Guide de la route, présente seulement trois images des panneaux de signalisation du giratoire accompagné d’une explication très succincte, soit les panneaux « cédez le passage à un carrefour giratoire », « intersection » et « chevrons d’alignement dans un carrefour giratoire ». Alors qu’on retrouve dans les manuels français les définitions du giratoire, de la priorité à gauche (giratoire) et de la priorité à droite (rond-point) en plus des indications sur la façon de se positionner sur la chaussée annulaire d’un giratoire à plusieurs voies, sur la façon de signaler ses intentions à l’aide du clignotant et sur le comportement à adopter en présence de cyclistes. Des tableaux récapitulatifs des comportements à adopter dans chaque type d’intersection sont aussi présentés. On y retrouve même, dans des sections d’exercices, des questions sur le comportement à adopter aux giratoires, souvent imagées.

À la lumière de ces faits, il en ressort que la formation offerte aux usagers de la route québécois est insuffisante. La problématique de comportements erratiques dans les giratoires est forcément liée au manque de connaissance des usagers.

Recommandations

Les problématiques de la présence de comportements erratiques dans les carrefours giratoires québécois et le manque de connaissance du giratoire des usagers de la route ont été soulevés et vérifiés. Différentes recommandations sont proposées afin de favoriser la sécurité des giratoires et d’assurer leur pérennité.

D’abord, pour que cesse la confusion, nous préconisons de ne pas contraindre les usagers de la route à faire une absolue distinction entre les termes giratoire et rondpoint. Il est même recommandé d’abandonner les aménagements circulaires avec priorité à droite. Puis, pour éduquer la population, il est suggéré de réaliser une campagne de sensibilisation à l’échelle provinciale tout en continuant à réaliser des campagnes de sensibilisation locales lors  de l’implantation de giratoires.

Parallèlement, il faut intégrer adéquatement le giratoire aux cours de conduite.  Il s’agit d’un moyen peu coûteux et efficace d’éduquer les nouveaux conducteurs, notamment compte tenu du caractère obligatoire des cours de conduite. Ce moyen efficace et peu coûteux pourrait également avoir des répercussions positives sur la compréhension des giratoires dans l’entourage des apprentis conducteurs. Le rôle des écoles de conduite est d’enseigner le Code de la sécurité routière aux apprentis conducteurs, mais également de les former en vue de la réussite de leur examen de conduite. De ce fait, il faudrait intégrer des questions sur les comportements à adopter dans les giratoires dans les examens d’obtention du permis de conduire, car cela favoriserait l’augmentation du niveau de formation donné sur cet aménagement dans les cours de conduite. De plus, pour donner un caractère légal à la règle de priorité à l’anneau, il est impératif d’inclure les giratoires dans le Code de la sécurité routière.

Assurément, il y aurait lieu d’effectuer une mise à jour des manuels de conduite québécois sur le giratoire. Minimalement, on devrait y retrouver des informations sur sa géométrie, la façon de se comporter, la signalisation verticale et horizontale, les bénéfices de l’aménagement et des illustrations. Des précisions sur le comportement à adopter dans les giratoires à plus d’une voie devraient aussi y être apportées, en plus de mises en contexte en guise d’exercices. La mise à jour des manuels de conduite pourrait être appuyée par la publication de dépliants pour les conducteurs plus expérimentés. Enfin, les tests de pratique en ligne pour les examens de conduite de la SAAQ ne contiennent pas de questions sur le giratoire. Ces tests devraient donc également être mis à jour.

Enfin, il serait intéressant de reconstituer le comité de travail de l’AQTR afin de réaliser le bilan des aménagements et d’apporter des recommandations sur les correctifs ou les ajouts à faire sur la conception de giratoires. Comme le soulignent Beaupré et St-Jacques (2008)4, la non uniformité des aménagements influence négativement le comportement des usagers de la route. Il est donc important de faire le recensement des giratoires du point de vue de leur géométrie et de leur signalisation, afin d’en assurer l’uniformité. Le manque de connaissance des usagers de la route n’est assurément pas la seule cause des comportements erratiques.

Conclusion

Il y a déjà plus d’une décennie que le Québec a vu le carrefour giratoire faire son entrée sur son réseau routier. Depuis, il en compte près d’une centaine, faisant de lui le leader canadien. Malgré sa popularisation, le giratoire est un aménagement méconnu des Québécois. Comme le démontre le mémoire Une décennie de giratoires au Québec : bilan du comportement des usagers, les comportements erratiques des usagers dans les giratoires sont liés à leur manque de connaissance à ce sujet.

L’étude des définitions des trois aménagements circulaires présents sur le réseau a révélé qu’il y a lieu d’évaluer la pertinence, pour les usagers, de différencier le giratoire et le rond-point, des termes quasi synonymes qui sèment la confusion. L’étude sur le comportement des usagers a mis en évidence un comportement erratique toutes les deux minutes dans les giratoires québécois. Elle a aussi révélé que 76 % des mauvais comportements étaient dus à la méconnaissance de la règle de priorité à l’anneau, principe de base du carrefour giratoire. Enfin, la formation des usagers s’est révélée inadéquate en raison de l’absence de campagne de sensibilisation à l’échelle nationale, du peu de formation pratique et théorique prodiguée par les écoles de conduite et de manuels de conduite incomplets.

Nous avons démontré que le manque de connaissance des usagers de la route entraînait des comportements hasardeux dans les carrefours giratoires. Or, ces mauvais comportements pourraient enrayer les avantages du giratoire. Si l’on veut assurer la pérennité des giratoires sécuritaires au Québec, on doit améliorer la situation en répondant aux différentes recommandations proposées précédemment.

Enfin, le mémoire Une décennie de giratoires au Québec : bilan du comportement des usagers dégage différentes avenues de recherche, notamment celle d’effectuer un bilan des aménagements déjà implantés au Québec. Une telle recherche permettrait de déterminer l’existence d’autres problématiques pouvant influencer le comportement des usagers, comme la nonuniformité des aménagements.

  1. Calculé à partir des données de l’Institut de la statistique de 2010.
  2. Pellecuer, Luc et Michèle St-Jacques. 2008. « Dernières avancées sur les carrefours giratoires ». Revue canadienne de génie civil, Vol. 35, p. 542-553.
  3. Propos recueillis le 9 février 2010 lors d’une correspondance entre l’auteur et ladite conseillère en sécurité routière de la SAAQ.
  4. Beaupré, Alexandre et Michèle St-Jacques. 2008 « Conception de carrefours giratoires au Québec : doit-on suivre le mouvement tel quel ou entreprendre des actions? ». In L’heure des choix : 43e congrès annuel de l’Association québécoise du transport et des routes (AQTR). (Québec, 15 avril 2008).

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
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AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
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MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
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AQTr