Révolution des transports : Comment mettre en œuvre un projet pilote de navettes automatisées

Jeudi 25 avril 2019
Mobilité durable
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Martin Thibault
Vice-président – Réalisation de projets Infrastructures, Amérique du Nord
Stantec Experts-conseils ltée
Martin Chevrier
Directeur Géomatique, STI et environnement
Stantec Experts-conseils ltée

Le secteur des transports connaît une profonde transformation. L’émergence de nouvelles technologies et la recherche de solutions visant à diminuer la congestion routière favorisent l’évolution des modes de transports. L’automatisation, l’électrisation des transports et l’autopartage se trouvent au cœur de cette révolution.

L’arrivée des navettes automatisées joue un rôle clé dans cette transformation et constitue un vecteur de changement important dans l’amélioration de la mobilité des citoyens. Les navettes automatisées représentent une option efficace pour effectuer le premier et le dernier kilomètre d’un trajet de transport collectif. En effet, le transport en commun en périphérie de nos métropoles est aujourd’hui bien développé. Cependant, il fonctionne selon des horaires et des trajets bien déterminés, ce qui force l’usager à s’adapter. De plus, la distance de marche entre la maison et le point de départ est souvent trop grande pour l’usager ce qui le décourage d’utiliser le transport en commun pour se rendre aux stations de transports lourds (système léger sur rail, tramway, tram-train, train de banlieue, métro) ou les circuits d’autobus qui utilisent les grands axes routiers. L’usager doit donc parcourir ces premiers et derniers kilomètres en voiture solo et utiliser les stationnements incitatifs.

L’automatisation des transports, avec le déploiement des navettes automatisées, vient donc pallier ce problème; ces navettes peuvent être utilisées sur des circuits de rabattement vers des pôles de transfert modal et ainsi éviter la prolifération des stationnements incitatifs et l’utilisation de la voiture solo.

Le déploiement à grande échelle de ces navettes doit d’abord passer par une période de projet pilote réalisé dans diverses conditions, et qui s’échelonne habituellement sur une période de 20 à 24 mois. Cette étape est nécessaire afin d’assurer le bon fonctionnement, la sécurité et la fiabilité de ce nouveau mode de transport. Voici les éléments à considérer pour la mise en œuvre d’un tel projet et les principales étapes à franchir.

 

Réinventer la mobilité

En plus de promouvoir l’expérience du transport collectif, la navette automatisée peut améliorer la mobilité des citoyens ainsi que la fluidité des déplacements dans de nombreux contextes. En effet, il suffit d’avoir un générateur de déplacements important qui se trouve à proximité d’un secteur à forte densité de population. Prenons l’exemple d’un centre commercial ou d’une épicerie qui seraient situés tout près d’une résidence pour personnes retraitées. La navette pourrait devenir le mode de transport privilégié pour les résidents désirant se déplacer vers ce pôle commercial, en évitant l’utilisation de la voiture. Le tourisme est également un secteur où la mise en place du transport automatisé serait fort intéressante. Par exemple, dans le cas où une attraction touristique et son parc de stationnement se trouvent à une grande distance de marche l’un de l’autre, l’utilisation de la navette augmenterait l’accessibilité et, du coup, éviterait que certains visiteurs ne puissent se rendre sur les lieux par manque de mobilité.

 

Mais qu’est-ce qu’une navette automatisée?

Une navette automatisée est un véhicule automobile doté de fonctions de conduite automatisée qui lui permet de se déplacer sans intervention humaine. Les navettes peuvent généralement transporter une douzaine de passagers. Elles se déplacent le long d’un trajet prédéterminé qui a été cartographié à l’aide de technologies géospatiales d’une grande précision, ce qui permet de créer une base de données cartographique en 3D du trajet. Une fois cette étape complétée, la navette peut circuler le long du trajet en se fiant à de nombreux capteurs et équipements de positionnement (lidar, GPS, caméras et autres détecteurs) qui agissent comme organes sensoriels. Les navettes sont également pourvues d’équipements permettant la communication avec les autres véhicules, de même qu’avec d’autres infrastructures dotées d’équipements appropriés. L’ensemble des données recueillies par les capteurs et traitées en temps réel par de puissantes applications sera comparé avec la cartographie en 3D du trajet. Ces applications, utilisant des concepts d’intelligence artificielle, permettront d’identifier toute différence saisie par les capteurs et la cartographie initiale. Dès qu’une différence sera identifiée, celle-ci sera traitée par d’autres applications et la navette réagira de la même manière que le ferait un humain. Les navettes automatisées sont donc très sensibles à tout changement survenant dans leur environnement. Le développement des applications liées à la prise de décisions du véhicule compte actuellement parmi les sujets de recherche les plus actifs liés aux navettes automatisées.

 

Mieux comprendre le cadre juridique

Jusqu’à tout récemment, le cadre juridique ne permettait pas de tester des véhicules automatisés sur les routes du Québec. La législation entourant les véhicules autonomes ou automatisés est fort complexe et deux enjeux principaux posaient problème.

Tout d’abord, il y avait la question du permis de conduire. En effet, au Québec, pour conduire un véhicule motorisé sur la route, il faut être obligatoirement détenteur d’un permis de conduire. Traditionnellement, le Code de la sécurité routière ne reconnaissait pas l’automatisation des véhicules. Depuis la mise à jour du Code en avril 2018, l’utilisation de véhicules comportant un certain niveau d’automatisation est permise, ce qui représente le niveau 3 dans l’échelle de SAE International. Ce niveau octroie à un conducteur la permission de déléguer complètement les fonctions de conduite à la machine dans un contexte très particulier (par exemple, un contrôle de vitesse dynamique avec détection de lignes sur les autoroutes). Le conducteur demeure toutefois responsable et doit à tout moment être prêt à reprendre le contrôle du véhicule. Lors de la récente mise à jour du Code, il y a aussi été ajouté la possibilité d’obtenir des autorisations du ministère des Transports du Québec (MTQ) et de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) pour réaliser des projets pilotes avec des véhicules ayant un niveau d’automatisation de 4 ou 5, ce qui est le cas des navettes automatisées.

Le deuxième enjeu reposait sur le fait que l’opérateur d’une navette automatisée doit obtenir, avant d’exploiter sa navette, une assurance responsabilité qui répond aux exigences de la SAAQ. Les modifications au Code rendent donc possible la réalisation de projets pilotes, pourvu que ceux-ci se fassent en collaboration avec les agences gouvernementales.

 

Mettre en place un projet pilote en 3 étapes

Maintenant que l’idée de mettre en place un projet pilote de navettes automatisées a germé, il faut planifier le tout afin que ce projet se déroule harmonieusement. Ce type de projet n’est pas commun et un processus rigoureux doit être suivi, une étape à la fois, afin que rien ne soit oublié et que chaque décision soit prise au moment opportun. Voici les trois grandes étapes à suivre et leurs principales caractéristiques.

Étape 1 : Étude de faisabilité

À cette étape, les questions sont nombreuses. Pour bien y répondre, il faut recueillir de multiples données qui s’avèrent fort précieuses. Essentiellement, il s’agit de répertorier quelques tracés dans le secteur de l’étude et d’y faire l’inventaire de tous les éléments présents, tels que le nombre d’intersections, leur mode de contrôle (feux, panneaux d’arrêt), le marquage, les trottoirs, les pistes cyclables, les types de bâtiments et leur usage, la présence de stationnements, etc. Ces éléments ont un impact direct sur la conception du projet. De plus, à cette étape, une analyse SWOT (forces, faiblesses, opportunités et menaces) permettra de déterminer les risques et la méthode d’atténuation pour chacun d’entre eux. Les cadres juridiques et réglementaires doivent être également bien définis. L’élaboration d’un concept d’opération sur le tracé choisi permettra d’identifier les besoins en infrastructures et en équipements. Par exemple, un abaissement du trottoir pourrait être requis sur le tracé et l’installation de marquage distinctif pourrait être souhaitable, tout comme l’ajout d’équipements de communication dans les contrôleurs des feux de signalisation. Les coûts estimatifs préliminaires peuvent alors être connus. Cette étape peut être réalisée au cours d’une période de deux à quatre mois.

 

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Description : Les trois principales étapes de la mise en place d’un projet pilote.
Source : Stantec.

 

Étape 2 : Communication, conception et permis

Une fois le projet relativement bien défini, il s’agit alors d’intégrer au processus les autres parties prenantes afin que celui-ci prenne en compte leurs différents besoins et obtienne les approbations réglementaires requises, notamment par le comité mixte MTQ-SAAQ, tel que mentionné ci-dessus. Les principales activités sont donc la communication, la conception détaillée et l’approvisionnement. L’adoption par les citoyens de ce mode de transport est tributaire de leur niveau de connaissance et de la confiance qu’ils ont envers le projet. Des campagnes d’information, incluant des représentations publiques, s’avèrent essentielles pour assurer le succès du projet. Afin d’éviter une mauvaise compréhension des comportements de la navette, il est également crucial de fournir de l’information aux usagers de la route circulant dans le secteur où la navette sera en service.

La conception détaillée doit comprendre, quant à elle, les infrastructures civiles, électriques, de communication et de contrôle, ainsi que la planification des transports, l’étude de la circulation, l’étude des stationnements et l’urbanisme. Le cas échéant, les éléments d’architecture et d’aménagement paysager doivent aussi être détaillés à cette étape.

L’approvisionnement peut alors débuter avec, en tout premier lieu, la navette elle-même. Actuellement, au Québec, deux modèles de navettes sont disponibles auprès de deux exploitants de flotte d’autobus. Un devis doit être élaboré et satisfaire plusieurs critères de performance.

Une fois que la conception détaillée est terminée, le dossier d’approbation conforme à l’arrêté ministériel peut être déposé auprès du comité mixte MTQ-SAAQ afin d’obtenir l’autorisation du ministre pour mettre la navette en service. L’échéancier pour compléter cette étape peut varier grandement selon la complexité du projet et les délais d’approbation de l’ensemble des intervenants. Il serait sage de prévoir entre six mois et un an.

Étape 3 : Construction, mise en service et suivi

Une fois les autorisations en main, la dernière étape consiste à mettre en œuvre la construction puis à aller de l’avant avec la mise en service. La méthode de collecte de données et l’analyse de celles-ci doivent également être mises en place conformément aux exigences de l’arrêté ministériel. Il est recommandé qu’en début d’opération, la navette circule sans passagers un certain temps, afin de s’assurer que la planification se concrétise sur la route, en présence des autres usagers et dans l’environnement. La sécurité de tous est l’élément crucial dans ce type de projet pilote. L’étape 3 peut prendre de 12 à 18 mois et varier selon la saison à laquelle l’étape 2 a été complétée.

 

Passer de l’idée à la réalisation

La mise en place d’un tel projet pilote est maintenant à la portée de toute ville, de tout transporteur ou de toute autre organisation (université, centre commercial, administration aéroportuaire et gestionnaire de grands stationnements) soucieux d’améliorer la mobilité de ses usagers et de jouer un rôle clé en matière d’innovation et de développement durable. Bien que l’échéancier global de mise en œuvre puisse être adapté en fonction des projets pilotes et de l’environnement de ceux-ci, les développements technologiques permettent désormais la mise de l’avant de ces projets, tout en continuant de se pencher sur la et la fiabilité. La question n’est pas de savoir si oui ou non ces véhicules feront partie de notre quotidien, mais plutôt quand ils deviendront un mode de transport privilégié.

Sur la toile

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