Réfection du pont d'aluminium d'Arvida
Historique
Le pont d’aluminium d’Arvida a été construit en 1950 dans le but d’offrir un second pont afin de soutenir la croissance démographique de la rive nord de la rivière Saguenay. Il était également destiné à permettre un lien plus direct à la centrale hydroélectrique de Shipshaw, Aluminum Company of Canada Limited, devenue par la suite Alcan, puis plus récemment Rio-Tinto-Alcan.
Le caractère patrimonial de cet ouvrage est extrêmement élevé, obtenant une note maximale de 100 selon la grille d’évaluation patrimoniale du ministère des Transports du Québec (MTQ). D’Arvida fut également le premier pont au monde entièrement construit en aluminium et a été reconnu comme un « Lieu national historique de génie civil » par la Société canadienne de génie civil (SCGS).
La géométrie en arc à tablier supérieur fut rapidement retenue en raison de la topographie vallonnée ainsi que de la géologie du site. Les approches du pont sont en escarpements très abrupts, ce qui permettait un très haut dégagement au-dessus de la rivière Saguenay. De plus, la présence d’un socle rocheux de très grande capacité, sur les deux rives, permettait de supporter les énormes poussées produites par les appuis des deux arcs.
L’étude de deux options fut demandée à la Dominion Bridge Company Limited. La première option correspondait à une structure en acier et la seconde à une structure en aluminium. Dans le cas de l’option en aluminium, comme l’expérience de fabrication d’une structure entièrement en aluminium de cette envergure était inexistante, l’estimation fut purement budgétaire.
L’option de pont en arc entièrement en aluminium fut tout de même retenue (photo 1), principalement afin de démontrer les capacités structurales de l’aluminium. Il faut rappeler que c’était l’après-Seconde Guerre mondiale et que l’industrie de l’aéronautique fut subitement interrompue. Après avoir développé de manière très importante la technologie des alliages ainsi que les capacités de production, l’industrie de l’aluminium avait grandement besoin de nouveaux débouchés pour le métal gris. Malgré toutes ces avancées technologiques, l’utilisation de l’aluminium à des fins structurales était toujours relativement peu répandue. L’entente avec la Dominion Bridge Company Limited fut donc de type à « prix coûtant majoré » considérant toutes les incertitudes de conception et de complexité de la fabrication.
Propriétés de l’aluminium
L’une des caractéristiques les plus importantes de l’aluminium est la possibilité de créer différents alliages. Par exemple, certains alliages ont une très grande résistance à la corrosion, comme les séries 1000 (aluminium presque pur) et 6000 (magnésium et silicium) tandis que certains autres ont d’excellentes propriétés mécaniques comme les séries 2000 (cuivre) et 7000 (zinc et magnésium).
Le principal alliage retenu pour la fabrication du pont d’Arvida fut l’alliage 2014 (Alcan 26 S-T) en raison de ses excellentes propriétés mécaniques. À titre comparatif, la limite élastique de cet alliage est de 345 MPa. L’acier le plus couramment utilisé à l’époque avait une limite élastique de 230 MPa et, de nos jours, les aciers courants ont une limite de 350 MPa.
Cependant, cet alliage offre une moins bonne résistance à la corrosion galvanique, compte tenu du fait que les alliages de la série 2000, comme le 2014, sont à base de cuivre. Le potentiel de dissolution (électronégativité) de l’aluminium pur (1050A) comparativement à celui du cuivre est suffisant pour activer, dans des conditions favorables (humidité et acidité), une faible pile galvanique. Comme l’aluminium est plus électronégatif, ce dernier se sacrifiera. Cela a pu s’observer surtout aux pièces d’aluminium près de la dalle de béton puisque le contrôle des eaux de ruissellement était considérablement déficient et qu’une bonne quantité d’eau chargée de sels déglaçant a imprégné les longerons et les consoles de trottoir. Dans les zones d’accumulation d’eau, l’aluminium est revenu partiellement à l’état d’alumine (photo 2), soit sous forme de poudre blanche grisâtre ou en corrosion feuilletante (« mille-feuilles »).
Comme la sensibilité à la corrosion de certains alliages était déjà bien connue, Alcan développa un système de tôles fortes appelé Alclad. Ce système consiste à plaquer, lors des étapes de laminage, deux minces couches d’aluminium de la série 1000. Ces couches peuvent représenter environ 5 à 10 % de l’épaisseur de l’âme (ou cœur). N’apportant pratiquement aucune propriété mécanique, elles forment une protection extrêmement efficace contre la corrosion. Des tôles d’Alclad, avec cœur en alliage 2014, ont été largement utilisées pour la fabrication du pont d’Arvida.
Conception initiale
Tablier supérieur
Le tablier existant (figure 1) est constitué d’une dalle de béton coulée sur place d’environ 8,2 m de largeur. Cette dalle de béton ne couvre pas toute la largeur du tablier. Deux trottoirs en béton préfabriqué ont été simplement déposés à une extrémité sur la dalle de béton et de l’autre sur des longerons de trottoirs. Le tablier d’origine a une largeur hors-tout d’environ 10,1 m.
Afin de supporter la dalle de béton, deux longerons principaux espacés de 7 010 mm supportent une série d’entretoises espacées de 3 048 mm. Chaque entretoise se prolonge en porte-à-faux afin de supporter les longerons des trottoirs.
Colonnes et arcs
Les longerons principaux sont continus sur toute la longueur du pont. Ils sont supportés par des colonnes toutes les deux entretoises, soit tous les 6 096 mm.
Ces colonnes sont constituées de deux tôles d’Alclad et de deux extrusions en C de manière à former des colonnes carrées. Au niveau des travées d’approche, ces colonnes reposent sur des piédestaux en béton, tandis qu’elles reposent directement sur les deux arcs dans la travée centrale. Les arcs ont une forme parabolique (figure 2) et ont une portée de 88,4 m ainsi qu’une hauteur de 14 m. Les extrémités des arcs ont été conçues encastrées dans les culées afin d’augmenter considérablement la rigidité des arcs.
Rivets
Toutes les pièces sont assemblées et reliées entre elles à l’aide de rivets en aluminium. Les rivets installés en usine ont été mis en place à chaud. Les rivets de chantier, identifiables par la marque de la bouterolle pointue, ont été installés à l’aide d’une méthode et des outils conçus spécifiquement pour ce chantier en raison de leur taille.
Travaux de réfection
Travaux antérieurs
Mis à part quelques travaux d’entretien mineurs, les premières interventions d’importance ont lieu en 1995, soit près de 45 ans après la construction du pont. En raison de leur détérioration, les appareils d’appui ont été remplacés par des élastomères confinés en acier galvanisé afin de conserver le même aspect que les appareils d’appui d’origine. Aussi, tous les pieds des colonnes des travées d’approche ont été réparés en raison de la corrosion trop importante de l’aluminium en contact avec le béton. Quelques membrures de contreventements d’arc ont également été remplacées par des équivalents en alliage 6061-T6.
Lors de ces réparations, des boulons en acier inoxydable ont remplacé les rivets défectueux. Selon la littérature, il est parfaitement acceptable d’utiliser ce type de boulons afin d’assembler des pièces d’aluminium. Bien que la différence de potentiel électrochimique de ces deux matériaux soit grande, l’acier inoxydable est considéré comme un métal « à surfaces passives » qui freine l’effet de pile galvanique.
Remplacement de la dalle de béton
Considérant l’état global de la structure, une réfection majeure devenait inévitable. En effet, la dalle de béton, âgée de plus de 60 ans, montrait des signes de délaminage et de désagrégation importants du béton. Plus particulièrement dans la zone d’appui des trottoirs préfabriqués sur la dalle de béton coulée sur place. Ce détail de conception fut la cause de la grande majorité des détériorations tant de la dalle que de la structure d’aluminium.
La géométrie du tablier (figure 3) a été modifiée afin de mieux répondre au besoin de la Ville de Saguenay, ainsi qu’aux normes contemporaines sur la sécurité routière. L’exigence principale de la Ville de Saguenay était de conserver le plus possible l’aspect général du tablier et, plus particulièrement, les deux trottoirs ainsi que les garde-corps existants en aluminium. Les garde-corps existants ne pouvaient être considérés comme des glissières de sécurité, conformément à la norme CAN S6-06. Une glissière entièrement en aluminium, répondant au niveau de sécurité TL-4, avec tests d’impact conforme à la FHWA, fut donc retenue. En fait, c’était la seule glissière en aluminium répondant aux normes de sécurité routière. Il s’agit de la VGAN 300 (figure 3), conçue et fabriquée par la compagnie Varley & Guilliver Limited de Birmingham au Royaume-Uni. Cet ajout a donc permis la réutilisation des garde-corps existants en aluminium pour les piétons.
Afin de permettre l’ajout des deux glissières en aluminium, la largeur hors-tout du tablier a été augmentée à 11,14 m, soit près de 1 030 mm de plus. Cet élargissement a engendré une augmentation de la charge permanente d’environ 22 %. Cependant, l’évaluation de la capacité portante a démontré que l’affichage pouvait être remis à celui prévu lors de la conception du pont, soit de 20 tonnes. Il faut mentionner que la conception originale prévoyait un camion de 20 tonnes, ainsi qu’une charge spéciale de 80 tonnes (livraison d’un transformateur) circulant seule sur le pont et à basse vitesse.
Réparations de la structure d’aluminium
La plupart des réparations de la structure d’aluminium ont porté sur les cornières des longerons principaux amont et aval, ainsi que sur celles des consoles de trottoirs. De plus, les longerons de trottoirs ont tous été remplacés, indication que la source du problème émanait de l’étanchéité entre le trottoir préfabriqué et la dalle de béton. Toutes les réparations ont été réalisées à l’aide de pièces d’aluminium 6061-T6.
Les réparations ont toutes été effectuées à l’aide de boulons en acier galvanisé, le comportement des boulons en acier inoxydable des réparations antérieures se montrant insatisfaisant. En effet, un produit de corrosion de l’aluminium s’est formé dans la zone de contact du boulon et de l’aluminium, au point de faire plier les rondelles en acier inoxydable. Tous les boulons en acier inoxydable ont été remplacés par des boulons en acier galvanisé à chaud.
L’inspection de l’intérieur des arcs a révélé quelques détériorations très mineures et localisées, mis à part près des appuis des arcs. Comme les arcs s’appuient directement sur une plaque en acier et que des couvercles en tôle d’aluminium recouvraient les ancrages et conservaient ainsi une certaine humidité, un début de corrosion galvanique a été constaté dans les zones des ancrages. La majorité des raidisseurs d’appui a dû être remplacée. Un revêtement riche en zinc a également été appliqué sur la plaque d’appui en acier ainsi que sur certaines zones devenues difficiles d’accès. Les plaques ainsi que les cornières formant les arcs n’ont nécessité qu’un simple nettoyage.
Conclusion
Le pont d’aluminium d’Arvida est sans contredit une œuvre magistrale et avant-gardiste de l’ingénierie québécoise, tant par l’utilisation novatrice et optimisée de l’aluminium que par le choix d’une structure en arcs à tablier supérieur, relativement peu fréquent même de nos jours. Cette œuvre d’art mérite toute l’admiration ainsi que ses lettres de noblesse.
Malgré l’âge de cette structure (supérieur à 64 ans) et le fait que l’aluminium ait été laissé sans protection, cet ouvrage d’art peut être considéré comme en très bon état. N’eût été des problèmes d’étanchéité du joint entre la dalle de béton et les trottoirs préfabriqués, qui ont grandement détérioré les longerons ainsi que les consoles des trottoirs, la quantité de réparations d’aluminium aurait été grandement diminuée.
La nouvelle configuration de la dalle permettant un meilleur drainage, le choix d’un béton moderne moins perméable ainsi que la mise en place d’une membrane étanche devrait permettre de prolonger considérablement la durée de vie de cet ouvrage d’art.
Références bibliographiques :
Pimenoff, C.J., The Arvida Bridge : Design of the Aluminum Superstructure, The Engineering Journal, avril 1949.
Beaulieu, D., Calcul des charpentes d’aluminium, Les Presses de l’aluminium, PRAL, 2003.
Vargel, C., Corrosion de l’aluminium, Édition Dunod, 1999.